VERSUS : La Mort de Staline vs. Le Dictateur

Par Ciné Maccro

La Mort de Staline, comédie satirique franco-britannique de 2018, réalisé par Armando Iannucci, avec Steve Buscemi, Simon Russell Beale et Jeffrey Tambor

Le Dictateur, comédie satirique américaine de 1940, réalisé par Charlie Chaplin, avec Charlie Chaplin, Paulette Goddard et Jack Oakie

La sortie récente de La Mort de Staline, pamphlet satirique d’Armando Iannucci, adapté de la BD de Thierry Robin et Fabien Nury, n’était pas sans nous rappeler dans l’intention (certes plus germanique) un chef d’oeuvre du genre, Le Dictateur du grand Charlie Chaplin. Les vues de la bande-annonce n’était pas sans nous rappeler la comédie acerbe qui, par l’absurde, dénonçait les vices d’un régime dictaturial. Le pari, 78 ans après, est-il transformé ? Tentative de réponses en quelques points.

Ce qui faisait la force du film de Chaplin, c’était bien évidemment le ressort comique. Par le burlesque, il tournait en ridicule Adenoïd Hynkel (copie à peine voilée d’Adolf Hitler) en utilisant méticuleusement le comique de situation pour, tout en gardant la cohérence du personnage dans ses actions, le décrédibiliser scène après scène. C’est ce même comique de situation qu’Andrea Iannucci arpente dans le premier acte de son film, en montrant des personnages totalement en marge de toute logique rationnelle, suscitant le rire par le ridicule des actions caricaturales de ses personnages. Mais, ce postulat si efficace de départ nous permet déjà de mettre en lumière une grande différence entre les deux oeuvres. Si Le Dictateur tire ce comique dans ses derniers retranchements pour finir de totalement détruire la crédibilité de son dictateur et ainsi offrir toute sa puissance au monologue final, La Mort de Staline va tendre à prendre une tournure plus dramatique, plus historique, délaissant quelque peu son esprit léger pour donner une lourdeur au film. En définitive, on se retrouve avec un film bâtard, oscillant entre les styles dans ses divers segments pour finir par perdre le spectateur, sorti totalement de la mécanique de l’oeuvre.

Si Le Dictateur est un film pleinement assumé de bout en bout, La Mort de Staline nous laisse l’impression d’un entre-deux, entre prendre des vrais parti-pris ou coller à une certaine justesse historique. Le Dictateur brillait par son optimisme rayonnant, alors que La Mort de Staline s’affirme presque comme un pamphlet sombre et la promesse d’un cercle vicieux qui se répète sans fin. Ces morales, bien évidemment, reposent avant tout sur les antagonistes des deux oeuvres, bien plus proches qu’il n’y paraît. D’un côté, Lavrenti Beria (campé, au passage, par un excellent Simon Russell Beale), de l’autre, Adenoïd Hynkel : la bête humaine contre le bête humain, deux versions de terreurs opposées sur la forme et non sur le fond. Si Beria terrorise le peuple soviétique et le spectateur par des arrestations et des exécutions à outrance, Hynkel nous provoque des sueurs froides par l’étendue infinie de sa bêtise. Chaplin cherche ici à créer le détachement par la stupidité de son personnage, comme nous l’avons dit plus haut, tandis que Iannucci opère lui une certaine hyperbolisation des actes du chef du NKVD pour lui offrir le véritable statut d’antagoniste et susciter un rejet chez le spectateur, tout comme Hynkel. Mais on dit souvent qu’un bon antagoniste à également besoin d’un bon personnage principal pour exister pleinement, chose qu’offre les deux films et qui marque une différence nette entre les deux.

Si les deux antagonistes marquaient une convergence plus importante qu’on ne pouvait le penser, c’est bien l’inverse qui se produit pour les personnages principaux. D’un côté, le barbier juif, le yang du ying Hynkel, dualisme tellement parfait que les deux sont campés par Chaplin lui-même, permettant ainsi au réalisateur d’amplifier les différences d’Hynkel avec l’humanité : la pauvreté contre l’opulence, la malice contre la bêtise, et la plus belle et la plus puissante des différences : celui qui parle devant les micros en fermeture contre celui qui vocifère des choses inaudibles en ouverture. En créant une telle dualité aussi pure entre ces deux personnages, Chaplin va faire tendre naturellement le spectateur vers son point de vue tout en rejetant l’autre de manière nette. La Mort de Staline prend quant à lui un chemin tout à fait opposé en brouillant les pistes au fur et à mesure. En choisissant, comme on l’a exprimé plus tôt, d’introduire un Beria terrifiant dans son premier acte, c’est un Khroutchev (campé par un Steve Buscemi toujours aussi juste) bien tendre qui nous apparaît en premier lieu, s’imposant avant tout comme le raconteur d’histoires et le blagueur du Comité. Mais plutôt que de maintenir cette opposition, Iannucci va au fur et à mesure de l’oeuvre brouiller les pistes jusqu’à provoquer une inversion des rôles. De réformateur humaniste, Khroutchev se transforme peu à peu en un sombre manipulateur, tandis que Beria devient progressivement un doux agneau, tout d’abord de manière superficielle pour tenter de s’imposer à la tête du Parti, avant de s’avilir totalement. Cette distinction nous illustre de manière nette la différence de morale portée par les deux oeuvres : Le Dictateur se veut comme une ode humaniste à l’horreur humaine que représente le fascisme, en le tournant au ridicule. Tourner au ridicule, il en est aussi question dans La Mort de Staline, pour discréditer le régime soviétique ; mais le film veut avant tout nous alerter sur le fait que face au pouvoir, l’agneau peut devenir loup, et que le cercle vicieux du pouvoir politique semble sans fin. Ce n’est pas parce que Staline meurt que les méthodes changent… Au delà de ces messages, on remarque également que les messages véhiculés sont aussi image d’une époque ; la Seconde Guerre Mondiale venait de débuter pour Le Dictateur, et il fallait donner aux populations l’espoir de surmonter le conflit ; tandis que La Mort de Staline illustre l’héritage, les enseignements de l’Histoire, et le fait que la menace du fascisme, de plus en plus présente en Europe en ce moment, n’a pas besoin de s’exprimer d’une manière aussi frontale que sous Staline pour être dangereuse.

En définitive, malgré l’hypothétique ressemblance à l’origine, Le Dictateur et La Mort de Staline s’impose comme deux films très différents, transcrits de deux époques et deux mentalités différentes. Si les deux utilisent en premier lieu le ressort comique pour discréditer la menace, les deux films vont prendre des pistes différentes pour exprimer les peurs et le danger que représente le fascisme. Si d’un point de vue cinématographique, Le Dictateur est un sans faute parfait et s’affirme comme un immense classique du septième art, La Mort de Staline connaît plus de difficultés en offrant un film « bâtard », ne sachant jamais véritablement sur quel pied danser et dans quel registre s’inscrire, manquant de peu de passer de la catégorie « bon film » à celle de véritable oeuvre marquante, et cela malgré une mise en scène très inventive et un duo Simon Russell Beale/Steve Buscemi impressionnant dans les deux rôles principaux (compensant notamment un Jeffrey Tambor monolithique dans le rôle de Malenkov). Entre un chef d’oeuvre parfait et universel, oeuvre parfaite de l’immense Charlie Chaplin à l’acmé finale dantesque, et un très bon moment de 2018, les désireux de morale politique sont diablement bien servis !


La Mort de Staline

Note :

3.75/5

Satire politique portée par un duo Simon Russell Beale et Steve Buscemi, La Mort de Staline reste malheureusement trop perfectible pour offrir un vrai moment marquant. Plombé par trois actes trop indépendants dans le registre et trop diverses dans la qualité, et par une rimbabelle de personnages soit trop mal exploités (comme Maria Youdina interprétée par Olga Kurylenko) ou interprétés de manière trop monolithique (comme Gueorgui Malenkov par Jeffrey Tambor), La Mort de Staline reste un agréable moment de cinéma, mais ne laissera pas un souvenir impérissable après visionnage.


Bande-annonce : 


Le Dictateur

Note :

5/5

Manifeste politique immense en pleine Seconde Guerre Mondiale et explosion du fascisme, Le Dictateur semble être un de ces films ultimes, qui poussent le cinéma dans ces derniers retranchements pour offrir tout ce qu’il a de plus pur et de plus immense. Porté par un double Charlie Chaplin en état de grâce et une Paulette Goddard plus que touchante, Le Dictateur est, à l’image de son incroyable monologue final, un sublime pamphlet humaniste, un de ces films que tout le monde doit voir une fois dans sa vie.


Bande-annonce :