[Critique] « Call Me By Your Name » – Luca Guadagnino.

[Critique] « Call Me By Your Name » – Luca Guadagnino. Été 1983. Elio Perlman, 17 ans, passe ses vacances dans la villa du XVIIe siècle que possède sa famille en Italie, à jouer de la musique classique, à lire et à flirter avec son amie Marzia. Son père, éminent professeur spécialiste de la culture gréco-romaine, et sa mère, traductrice, lui ont donné une excellente éducation, et il est proche de ses parents. Sa sophistication et ses talents intellectuels font d'Elio un jeune homme mûr pour son âge, mais il conserve aussi une certaine innocence, en particulier pour ce qui touche à l'amour. Un jour, Oliver, un séduisant Américain qui prépare son doctorat, vient travailler auprès du père d'Elio. Elio et Oliver vont bientôt découvrir l'éveil du désir, au cours d'un été ensoleillé dans la campagne italienne qui changera leur vie à jamais.

Adapté d'un roman d'André Aciman, culte dans la communauté LGBT mais demeurant toutefois assez confidentiel, Call Me by Your Name est un voyage au cœur du sentiment amoureux dans sa forme la plus crue et viscérale. Réalisé d'une main de maître par Luca Guadaguino, le scénario quant à lui, a été écrit par le grand James Ivory pour qui le sujet n'est pas inconnu. En effet, en 1987, il réalisait Maurice qui racontait une histoire d'amour homosexuelle dans une époque où vivre sa sexualité librement n'était pas simple. Nous pouvons toutefois apercevoir ici le fait que l'antagoniste est totalement absent. Hormis la tragédie de l'amour et ses tourments, personne ne fait obstacle à la passion que vont vivre les deux personnages. Quelques différences entre le film et le livre sont à noter mais comme il l'a expliqué de nombreuses fois en interview, André Aciman accepte et comprend le passage d'une oeuvre d'un média à un autre. Nous pouvons d'ailleurs y voir la narration d'Elio qui devait au début exister sous la forme d'une voix off mais qui a très rapidement été remplacée à travers le prisme des sublimes chansons de Sufjan Stevens. Elles nous emmènent dans les méandres des pensées du personnage sublimant par la même occasion trois moments clé du film. L'écrivain a d'ailleurs déclaré préférer la fin choisie au film à celle de son propre livre. On peut alors dire que le défi est remporté haut la main.

Le film dure 2h12 et a l'intelligence et la délicatesse de laisser les gestes, les regards, les séductions verbales voire intellectuelles faire monter le désir de ses protagonistes (et du spectateur) jusqu'à l'explosion. Montrer moins pour apporter plus construit une tension qui offre une réelle magie. Elio, joué magnifiquement par Timothée Chalamet, est étonnant de maturité et de sensualité. Il incarne son personnage avec une physicalité désarmante qui dégage une profonde humanité. Sa sexualité en constante recherche, en tâtonnement n'est jamais vraiment définie, jamais enfermée dans une case ou un jugement et est le résultat d'une sensibilité aiguë de la part d'un acteur parfaitement dirigé par son réalisateur. Ondulant de l'italien au français en passant par l'anglais, il nous surprend, nous conquis et nous laisse rêveur face à la carrière assez réjouissante qui l'attend. Armie Hammer est lui, également, impeccable. Son jeu plus intériorisé que celui de son partenaire n'en est pas moins bouleversant. Plus souvent habituée à des rôles moins ouverts émotionnellement parlant, il apporte à son personnage une certaine complexité entre jeux de cache-cache, refoulement et puis capitulation. L'alchimie du duo crève l'écran. Les acteurs ont souvent expliqué à quel point leur relation avant et pendant le tournage, en passant beaucoup de temps ensemble, a apporté à leur complicité, leur confiance l'un envers l'autre et cela se ressent évidemment à l'image. Même si Timothée Chalamet souligne une certaine " chance de l'univers " concernant la réussite cinématographique de leur couple, on ne peut qu'être touché par le total investissement que les deux acteurs offrent à leurs personnages. Le reste du casting brille par ses seconds rôles auxquels on s'attache immédiatement. Amira Casar, Esther Garrel ou encore le très sous-estimé Michael Stuhlbarg nous livrent des performances touchantes et empathiques. Une famille où la tolérance et le partage de l'éveil intellectuel sont les piliers des relations familiales laissant alors rêveur le reste du monde. Cela poussera également Luca Guadagnino à décrire de nombreuses fois le film comme une oeuvre sur l'amour et la famille.

Le travail du chef opérateur est somptueux. Sayombhu Mukdeeprom, directeur de la photographie connu notamment pour son travail sur le film palmé d'Apichatpong Weerasethakul, Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Live s, a réalisé la prouesse de rendre complètement étranger à l'œil du spectateur le fait que durant le tournage, l'Italie a subi une période de pluies torrentielles historiques. Il lui aura fallu réunir tous le moyens techniques acquis par l'expérience et l'aide de son coloriste Chaitawat Thrisansri pour rendre ses plans aussi lumineux et retransmettre cette chaleur italienne suffocante si particulière. Nous offrant ainsi cette immersion si délicieuse. Le film est teinté d'une telle sensualité que même les scènes de repas, les breuvages fruitées ou la nourriture en général participent dans un certain langage symbolique du désir qui ne nous laisse pas d'autre choix que de succomber. La bande originale se divise en deux partie : la première est constituée de quelques perles pop des années 80 comme le cultisme Love my Way des Psychedelic Furs ou encore le très suave Lady, Lady de Giorgio Moroder & Joe Esposito qui offrent au film une scène anthologique de danse entre lâcher prise et séduction, la deuxième de morceaux classique allant de John Adams à Ryuichi Sakamoto ou encore Bach. La musique tient également le rôle " de marqueurs de mémoire " pour les personnages en apportant au film l'impression d'une certaine idéalisation de leurs souvenirs. Le film se clos alors sur un séquence déchirante mais inévitable nous rappelant l'amertume des histoires les plus éthérées, faisant au passage un petit clin d'œil au très aimé Boyhood de Richard Linklater. On aimerait en sortir indemne.