[Berlinale 2018] “Isle of dogs” de Wes Anderson

Par Boustoune

Depuis l’excellent séjour dans son Grand Budapest Hotel, en 2014, nous étions sans nouvelles de Wes Anderson. Cette longue absence s’explique par le format inhabituel de son nouveau long-métrage, Isle of dogs, entièrement réalisé avec des techniques d’animation. Et quelles techniques! S’il utilise principalement le stop-motion (ou animation en volumes, pour parler français), avec des marionnettes ou des figurines de plasticine, comme dans Fantastic Mr Fox, le cinéaste emploie aussi la technique du théâtre d’ombres pour certaines scènes, et tout ce qui se passe sur des écrans (télévisions, écrans de contrôles…) est en animation classique, avec des séquences évoquant le manga ou l’art de l’estampe. Car l’idée du film était de rendre hommage à la culture japonaise, qu’affectionne particulièrement le cinéaste, et, bien évidemment à ses maîtres cinématographiques, Akira Kurosawa en tête.

La fameuse “île aux chiens” se situe bien au Pays du Soleil Levant. L’intrigue se déroule dans un futur proche, près d’une mégalopole tombée entre les mains d’une très ancienne famille de seigneurs de guerre, adorateurs des chats et haïssant les chiens. Comme par hasard, au moment où ils prennent le contrôle de la ville, une épidémie de “grippe canine” fait des ravages chez les toutous, altérant leur comportement. Au nom du principe de précaution, il est décidé que tous les chiens seront exilés sur une île au large de la ville, servant aussi de décharge et de site d’enfouissement de déchets chimiques ou radioactifs. Autant dire que ces braves bêtes sont condamnés à une mort certaine! Mais c’est compter sans leur capacité d’adaptation et leur instinct de survie. Ils s’organisent en bandes rivales, luttant pour la nourriture et faisant respecter leur territoire. A ce jeu-là, la bande de King, Rex, Duke et Boss, menée par le seul vrai chien errant du lot, Chief, est assez impressionnante. Mais la lassitude commence à les gagner peu à peu. A quoi bon se battre pour un terrain vague et le contenu d’un sac poubelle rempli de nourriture avariée? Heureusement, l’irruption d’un petit garçon de douze ans sur l’île aux chiens va bouleverser les choses et faire naître un nouvel espoir.

Le scénario, petit bijou entrelaçant fantaisie, humour, et critique sociale, multiplie les références à Kurosawa : l’intrigue évoque vaguement celle des 7 Samouraïs – une bande de guerriers s’organise pour lutter contre un oppresseur – le décor évoque le bidonville de Dodes’ kaden et les personnages rappellent ça et là quelques figures mythiques des films du grand Akira, de Barberousse aux paumés de… Chien enragé. Enfin, le scénario repose sur plusieurs flashbacks qui font avancer le récit et éclaire ses zones d’ombres. Dans l’esprit, on n’est pas très loin des expérimentations narratives de l’auteur de Rashomon. Pour autant, ces influences n’empiètent jamais sur le style si particulier de Wes Anderson. C’est bien sa “patte” – si l’on ose s’exprimer ainsi – que l’on retrouve dans ce film plein de poésie. Et les thèmes abordés sont totalement dans l’air du temps. Mine de rien, le film est nourri par des peurs tout à fait actuelles : problèmes environnementaux, pollution, crainte des virus de tout type – microbiologique ou informatique –, corruption des élites, multiplication des régimes totalitaires, ségrégation des individus, exil des populations… Mais la douceur et l’élégance de la mise en scène permettent de balayer tout cela et parviennent peu à peu à offrir aux spectateurs un pur plaisir cinématographique.

Alors que les enfants seront sans doute séduits par le côté attachant des personnages canins et se reconnaîtront dans le petit garçon qui les entraîne dans l’aventure. Les adultes, eux, apprécieront le message humaniste délivré par cette fable d’anticipation originale. Chacun devrait logiquement y trouver son compte et partager l’enthousiasme des festivaliers berlinois, séduits par ce film d’ouverture qui ne manque pas de chien…

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