« Le 15h17 pour Paris » : Imprimer la légende ?

« Le 15h17 pour Paris » : Imprimer la légende ? A l'annonce même du nouveau projet de Clint Eastwood cinéaste, Le 15h17 pour Paris était déjà sujet à polémique. Beaucoup redoutait le traitement que pourrait faire le cinéaste de l'attentat déjoué du Thalys : prétexte à un exercice de style type thriller dans un huis-clos ? Pamphlet interventionniste ? Des accusations sans fondements provenant, bien souvent, de préjugés résultant d'une méconnaissance relative des convictions politiques de Clint Eastwood et d'une mauvaise interprétation de ce que le cinéaste américain a fait transiter dans sa filmographie. Finalement, quel approche Clint Eastwood apporte-t-il sur l'événement du Thalys ?

En adaptant le livre co-écrit par les trois protagonistes de l'histoire (qui interprètent, dans le film, leurs propres rôles), le sujet du film n'est pas tellement porté sur l'événement du Thalys en lui-même, mais se trouve finalement ailleurs : retracer la vie de gens ordinaires, leurs aspirations et leurs frustrations, jusqu'au moment décisif de l'événement. En ce sens, la note d'intention est passionnante, en offrant à Anthony Sadler, Alek Skarlatos et Spencer Stone leurs propres rôles, le film se trouve dans un équilibre fascinant (qu'implique l'adaptation d'un récit écrit par les protagonistes d'une histoire réellement vécue) entre l'idée d'imprimer la légende (héritage Fordien) et une reconstitution presque naturaliste, proche du réel. L'acte terroriste et son auteur n'est pas le sujet. A la fois filmé comme un passager comme les autres (Eastwood filme son trajet, valise à la main, de la gare au quai jusqu'à ce qu'il monte dans le train), il est finalement montré (ou plutôt suggéré) comme un fantôme qui plane autour du film (parfois filmé en fragments, parfois en hors-champ), dans un récit qui est autre mais ponctué par de courts moments à bord du train.

Rémi Schotter

Là où le traitement de l'histoire est passionnant, c'est aussi, paradoxalement, par là qu'en résulte les plus grandes faiblesses du film. Clint Eastwood cherche à s'effacer derrière les protagonistes, presque comme s'ils les laissaient conter eux-mêmes leur histoire. Et force est de constater la relative faiblesse de l'écriture du film entre dialogues qui semblent tantôt improvisés (ce qui serait intéressant à expérimenter compte tenu du traitement) tantôt trop (et mal) écrits, entre scènes de la vie quotidienne à priori anodines et scènes relevant presque du récit initiatique servant de set-up/pay-off face à l'événement qu'ils auront à affronter, le film peine à passionner. Cependant les séquences de l'armée sont peut-être les plus intéressantes, entre fascination et frustration. Là où Spencer Stone montrait, dès l'enfance, une fascination pour l'arme à feu (conditionnement de l'enfant issu d'un pays à l'Histoire et à la culture parfois violente ?), il aspirera, adulte, à rejoindre l'armée de l'air dans un corps vouée non pas au combat mais au sauvetage, celui-ci voyant son engagement comme une quête, une recherche de soi. Quand bien même, certaines séquences offrent des pistes de réflexion dignes d'intérêt, celles-ci sont noyées dans un déluge de séquences de vie quotidiennes qui sont, sur le papier, intéressantes à inscrire dans un film qui cherche le côté universel du héros mais qu'Eastwood peine à transcender. Le portrait du héros se révèle, de plus, moins passionnant que dans ses deux derniers films ( American Sniper et Sully), offrant moins de réflexion, ou, en tout cas, finalement synthétique de ces derniers. Malgré tout, la scène finale (l'attribution de la légion d'honneur par François Hollande) est, néanmoins, formellement brillante tant elle conclue et représente à merveille l'intention du film entre reconstitution et recherche du réel, entre images tournées et images d'archives.

A la portée universelle et thématiquement synthétique, Le 15h17 pour Paris pourrait être une assez belle conclusion de la trilogie du Héros qu'a initié Clint Eastwood avec American Sniper si le film n'était pas, malheureusement, périclité par un matériau de base trop léger et moins passionnant malgré l'intention du cinéaste qui reste fascinante, mais l'enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions ?