Intrigue : causes et effets

Lorsqu’on finit par accepter quelque chose, l’angoisse souvent disparaît. Mais parce que l’on a accepté que certains de nos désirs ne seront jamais satisfaits ne signifie pas que ce désir ait totalement disparu.

Nous sommes enfin libéré de la peine et de la souffrance. Nous nous sentons libre. Du moins faussement libéré puisque le désir mis en veille œuvre toujours en dedans de nous. Comme l’écrivait Blaise Pascal, le cœur a ses raisons que la raison ne comprend pas.
Et au lieu que la vie éteint en nous ce désir, elle le ravive au contraire.

Et chez notre protagoniste, c’est précisément ce qui se passe. Au cours de l’intrigue, ses tribulations et les épreuves par lesquelles il passe peuvent sembler émousser ce désir vers lequel il tend si ardemment.
Mais rien ne sera plus faux parce que si votre intention est de démontrer son erreur de jugement et non de solliciter en lui un conflit interne entre sa volonté d’accomplir ce désir et le refus qui lui est imposé d’une manière ou d’une autre (souvent par lui-même), vous n’aurez pas vraiment d’histoire à raconter.
Nous avons donc un protagoniste dont la vie actuelle est fondée sur un mensonge et qui possède un désir. On part sur l’hypothèse que ce mensonge (dont l’origine est dans le passé du personnage) a pris racine en lui et s’est étendu en son âme comme un guide arbitraire de ses décisions, de ses choix et de ses actions.

Le mensonge éloigne du désir

Bien qu’il s’en défende, ce mensonge que le protagoniste se fait à lui-même lutte contre sa volonté. Tout au long de l’intrigue, il ne fera que l’entraver (concrètement par l’antagoniste ou par les circonstances).
Lorsqu’on découvre le personnage principal dès l’acte Un, les valeurs fausses qui le caractérisent sont totalement épanouies. Il est emprisonné dans un mode de pensée qui ne lui permet pas (souvent inconsciemment) de mener à bien ses projets.

L’auteur a besoin de connaître à la fois les croyances erronées de son héros mais aussi le désir qui le motivera tout au long de l’intrigue jusqu’au dénouement. Si par exemple, la famille du héros lui est arrachée dans l’acte Un, il sera motivé à la retrouver. Pour ce faire, peut-être devra-t-il se sevrer d’une addiction quelconque qui lui barre décidément la possibilité de réussite de son objectif.

L’hypothèse est donc de partir sur de fausses valeurs issues d’un événement dans le passé d’un personnage qui ont faussées le cours normal qu’aurait dû suivre sa vie. Comment ont-elles pu l’éloigner de sa véritable nature ?
Parce que le personnage s’est construit une zone de confort et de sécurité sur des données qui ne sont pas lui. Face aux événements, il répond par des habitudes forgées sur des croyances et des expériences qui se sont avérées positives en d’autres circonstances mais totalement inadaptées à la situation nouvelle.

Ce monde ordinaire est soudain investi par quelque chose qui va le forcer à prendre conscience et à suivre ce qu’il a toujours voulu ou désiré. Mais les habitudes vont s’offusquer (c’est comme cela que commence l’intrigue) et il devra apprendre à les surmonter.

L’intrigue : une trajectoire de causes et d’effets

Pour élaborer sur son protagoniste, il faut définir son point de vue sur le monde. C’est-à-dire qu’il faut envisager les idées, les souvenirs et même ses excentricités qui guideront son action et feront avancer l’intrigue par des relations de causalité.

Il faut donc inventer les personnages qui dans le passé du protagoniste ont facilité pour le meilleur ou pour le pire sa vision actuelle du monde (et même s’ils ne figureront pas dans l’histoire).
Et s’ils sont effectivement dans l’histoire, cela vous permettra d’établir les relations qui les unissent au personnage principal.

Vous saurez ainsi quand et pourquoi une relation est devenue tendue ou que le dialogue entre le héros et un autre personnage a été rompu. Vous saurez aussi les non-dits qui peuvent exister. Et vous pourrez même comprendre pourquoi une relation particulière est si douloureuse à vivre.
Ainsi, vous aurez les moyens de mettre en place toute un assortiment de conflits différents à travers un réseau de relations disparates.

Gardez à l’esprit que tout ce que vous posez dans un scénario ne peut être gratuit. Si vous souhaitez donner à votre héroïne un peu plus de profondeur et que vous décidiez qu’elle ait connu un amour de jeunesse tragique, cela influera sur la relation amoureuse qu’elle essaie éperdument de mettre en place avec ce garçon qu’elle vient de rencontrer. S’il y a effet, il doit y avoir une cause.

Et évidemment, son passé remonte à la surface au pire des moments pour insister davantage sur la portée du conflit. Il suffit de repérer dans le passé du personnage ce qu’il y a de plus pertinent avec l’histoire que vous souhaitez raconter. Cela vous donnera du matériel à inscrire dans votre intrigue.
En fait, lorsqu’il aborde cette dernière, le personnage principal n’a pas encore assumé et intégré son passé. Celui-ci est toujours très actif même si le personnage n’en a pas encore conscience. Le travail de l’auteur consiste précisément à ce que son protagoniste parvienne à confronter ce qui oblitère sa véritable nature.

Prévoir

Planifier ce n’est pas seulement lister une série d’événements ou de changement d’état chez un protagoniste, c’est aussi prévoir les réactions de son lecteur.
Votre histoire se raconte essentiellement par les didascalies. Vous pourriez écrire l’en-tête de la scène :
Lorsqu’il lui tendit le bouquet qu’il lui avait apporté, des larmes montèrent aux yeux de la fille.
Nous forçons ainsi le lecteur à s’interroger sur le pourquoi de ces larmes. Nous l’impliquons dans la réaction de l’héroïne parce que c’est exactement ce que nous cherchons à faire. C’est un indice qui trouvera une explication plus tard au cours de l’intrigue.

Mais si l’auteur n’avait pas imaginé préalablement à l’écriture de la scène que cette jeune fille a connu un amour tragique dans sa jeunesse, comment une telle didascalie aurait pu être justifiée ou seulement venir à l’esprit de l’auteur ?
La façon dont il faut voir les choses est de se demander comment ce qu’il advient au personnage peut avoir un effet en interne sur lui. Les larmes qui montent aux joues de l’héroïne sont la manifestation de ce qu’elle pense et de la signification qu’elle donne à ce bouquet à ce moment précis de l’histoire.

L’esprit du lecteur aspire à se synchroniser avec celui du personnage principal. Surtout lorsqu’il doit prendre une décision importante dont on sent clairement les conséquences. C’est-à-dire que l’on peut les anticiper. Cette anticipation sollicitée chez le lecteur est le fait de l’auteur.