BIENVENUE À SUBURBICON : La vie n’est pas si belle ★★★☆☆

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Avec sa nouvelle réalisation, George Clooney s’entoure des frères Coen pour une dystopie cinglante.

Au fil des diverses réalisations de George Clooney, impossible de ne pas voir l’influence des frères Coen, avec lesquels l’acteur-cinéaste a maintes fois collaboré. Déployant des contextes propices à la remise en question du rêve américain, géant broyant de ses mains cyniques des esprits naïfs ou idéalistes (Good Night and Good Luck, Les Marches du pouvoir), Monsieur What else ? atteint un nouveau stade dans la révérence à ses modèles avec Bienvenue à Suburbicon, que Clooney a directement co-scénarisé avec le duo. Cette collaboration s’avère après tout d’une logique implacable, les Coen ayant récemment magnifié leur amour pour le cinéma de Frank Capra en écrivant pour Steven Spielberg Le Pont des espions, chef-d’œuvre sur l’héroïsme ordinaire et sur l’Américain idéalisé, refusant de plier le genou malgré le poids de la société qui s’abat sur lui. James Stewart a laissé place à Tom Hanks, afin d’incarner un même symbole d’humanisme et de droiture dans un monde de concessions. Si une bonne partie de la presse est passée à côté de ce jusqu’au-boutisme, qui n’a plus sa place dans un monde toujours plus désenchanté, il fallait bien que les Coen offrent une réaction.

Bienvenue à Suburbicon prend ainsi la forme d’une version inversée du film de Spielberg. L’imagerie d’une Amérique fantasmée typique de Capra est grippée dès ses premières minutes, présentant un quartier résidentiel utopique, isolé du reste du pays. La mise en scène aérienne de Clooney appuie alors la symétrie presque trop parfaite de l’espace aménagé, apparence clinquante d’un microcosme cachant sous le tapis son auto-destruction inévitable, d’une manière proche de celle de Tim Burton avec l’allure faussement paradisiaque des pavillons d’Edward aux mains d’argent.

Et c’est peut-être la principale limite du long-métrage, qui paraît assez évident dans sa représentation d’une escalade de la violence inhérente à son parti-pris dystopique. La ville autarcique en elle-même est d’ailleurs rapidement éclipsée en tant qu’enjeu, ne parvenant pas à être présentée comme cette expérience de laboratoire que le réalisateur essaie pourtant de filmer avec une froideur clinique. D’une certaine façon, Bienvenue à Suburbicon semble passer à côté de son sujet, au point de compenser par l’inclusion forcée et artificielle d’une intrigue secondaire autour d’une famille noire ostracisée par le reste de la communauté. Heureusement, le film se rattrape grâce à sa galerie de personnages hauts en couleur, qui permet aux frères Coen d’insuffler dans l’ensemble leur goût pour un humour grinçant, servant leur regard sur les déviances d’un système menant à l’absurde. En cela, Matt Damon et Julianne Moore reflètent à la perfection cette middle-class dénaturée. La reconstitution de la fin des années 50 n’est qu’une façade dissimulant une culture foncièrement violente, égoïste et pervertie par ses propres règles.

En dépeignant ses protagonistes comme des allégories ratées, loin du pouvoir d’évocation offert à Stewart ou à Hanks, George Clooney et les frères Coen s’interrogent ainsi sur l’identité américaine, sur l’inéluctabilité de son altération et de sa corruption, peut-être ancrées au cœur même de sa nature. Certes, le propos n’est pas toujours subtil, mais on ne peut enlever au long-métrage la radicalité de son traitement, qui trouve ses plus beaux moments dans un humour lorgnant du côté d’un théâtre de boulevard détraqué par le nihilisme de ses anti-héros. Le cinéaste, toujours prêt à exploiter sa propre image à contre-emploi, fait de même ici en se gaussant volontiers d’une bien-pensance bousculée, notamment lorsqu’il convoque le personnage d’Oscar Isaac, inspecteur d’assurances hilarant qui n’est même plus choqué par les pires arnaques qu’il décèle. Pour lui, comme pour son réalisateur et ses auteurs, la cruauté de l’homme ne trouve aucune limite. Alors, quitte à en être conscient, autant en rire.

Réalisé par George Clooney, avec Matt Damon, Julianne Moore, Noah Jupe

Sortie le 6 décembre 2017.