Une histoire : une offre qu’on ne peut refuser

Par William Potillion @scenarmag

Une histoire bien conçue est une offre que notre esprit ne peut refuser. Le pouvoir qu’une histoire a sur nous est quelque chose de naturel.
Un auteur doit comprendre pourquoi son histoire est capable d’une telle influence sur son lecteur. Il doit se saisir de ce qui donne à son écriture cette faculté à subjuguer et peut-être même  à transformer la vie de son lecteur.
Pourquoi sommes-nous si enclin à nous fondre dans un monde fictif en faisant fi de notre propre réalité ?
Cet univers fictif ne nous rend-il pas vulnérable ?

Une réalité virtuelle

Une histoire nous permet de sortir de notre quotidien et d’envisager le futur afin que nous puissions faire face à ce qui nous effraie le plus : l’inconnu ou l’inattendu.

Comment prendre cette abstraction qu’est le futur ? Une histoire nous permet par personnage interposé à vivre des situations difficiles dont nous n’avons pas encore fait l’expérience. Cela nous donne une idée de ce que nous pourrions vivre dans de telles situations et de ce dont nous aurions besoin d’apprendre pour y répondre.

Une histoire est quelque chose de très séducteur. Nous sommes sous son emprise. Et même si nous n’en prenons pas conscience immédiatement, il y a dans les histoires quelque chose qui nous éduque. L’effet qu’une histoire peut avoir sur nous est profond.

Et cela pourrait être parce que le monde réel s’évanouit pour que nous éprouvions le monde fictif. Notre esprit sécrète une intense curiosité lorsqu’une œuvre de fiction est capable de la solliciter. Nous avons besoin de savoir comment l’histoire se terminera peut-être seulement parce que nous pourrions apprendre quelque chose que nous avons besoin de savoir.

Pourquoi ne pas admettre que lorsque nous sommes sous la magie d’une fiction, nous n’éprouvons pas aussi avec le protagoniste quelques changements internes qui nous font voir le monde autrement ? Une histoire parvient à instiller en nous, dans notre propre système de croyances, des significations au même titre que le font nos expériences.
Néanmoins, elle ne nous dit pas ce qui est juste ou mal. Elle ne cherche pas à régler notre conduite mais à sentir par nous-mêmes certaines vérités en leur apportant une lumière dont nous ne nous savions pas capable.

L’émotion, la voie royale

Tout comme dans la vie réelle, une histoire se fonde sur les émotions. Cela peut paraître paradoxal, mais dans la vie, nos décisions pourtant rationnelles ne sont possibles que parce que nous éprouvons des émotions.
Et si nous ne ressentons pas d’émotion à la lecture d’une histoire, nous n’avons nulle envie de continuer à la lire.

C’est par l’émotion et non par la logique que la signification parvient jusqu’à nous. La fiction doit parvenir à nous toucher par l’émotion en établissant un lien direct entre son protagoniste (ou personnage principal) et nous.

C’est affaire d’empathie : nous désirons ressentir ce que ressent ce personnage, nous voulons comprendre par quoi il passe et nous l’exigeons de l’auteur. Quand nous lisons une histoire, nous ne sommes plus de simples observateurs mais vraiment des participants.
Pourquoi réagissons-nous si viscéralement à ce qui se passe sur un écran ? C’est parce que nous ne pensons plus. Nos émotions ne nous en laisse pas le temps. Nous faisons l’expérience de ce qui arrive aux personnages.

Un impact sociétal

Appartenir à une communauté n’est peut-être pas un besoin aussi prégnant que de se nourrir ou de se reproduire. Mais quelles que soient nos croyances, si nous souhaitons rendre notre vie sans regret, il faudra bien être intégré afin non de survivre mais de prospérer au cours de notre vie.
Pour progresser dans la vie, il nous faut vivre et travailler ensemble. Nous devons développer nos facultés qui nous rendent socialement humains afin de donner à nos vies un véritable sens par le regard des autres.

Ce sont les autres qui nous définissent tout comme est déterminé le personnage principal d’une histoire : par le regard d’autrui. Et de cela nous pouvons déduire que nous devons d’abord comprendre les autres.
La finalité d’une histoire ou son but n’est plus de nous expliquer les mystères du monde mais bien plutôt de nous aider à déchiffrer les arcanes d’un monde bien plus compliqué : celui de notre relation aux autres.

La société est un terrain bien plus impénétrable que la jungle. Nous observons ce que font les autres mais comprendre pourquoi ils font ce qu’ils font est insaisissable. Pour l’évidente raison que nous ne sommes pas dans la tête d’autrui. En les observant, il nous est difficile de voir en quoi ils croient et pourquoi.
Et c’est là qu’un auteur intervient. Parce qu’il est capable de sonder intimement ses êtres de fiction (qui sont des copies d’êtres réels) et d’apporter une lumière, une compréhension sur les étendues secrètes de l’esprit d’autrui.

L’auteur nous donne l’opportunité de toucher du doigt ce qui anime l’autre. Même lorsqu’il s’agit du méchant de l’histoire. Nous comprenons ce qui le motive, nous saisissons ses intentions.
Comprendre la motivation derrière les actes d’une personne ou d’un personnage est ce qui apporte de la signification.

Une apparence trompeuse

Le pourquoi éclaire les choses. Si l’on ne considère que les apparences, nous n’avons rien. Les choses sont souvent très différentes de ce qu’elles apparaissent en surface. Nos observations et les démonstrations que l’on nous fait peuvent nous apporter certaines certitudes. Nous ne réfutons pas une démonstration géométrique.
Mais comment comprendre intimement les choses ? Comment faire en sorte qu’elles parlent directement à notre cœur avant notre entendement ?

Certains érudits mettent en avant l’intuition comme moyen de percevoir des choses invisibles. Et pour en revenir à la fiction, et à l’aide de l’intuition, elle nous permet d’interpréter (une sorte d’herméneutique intuitive),  et d’anticiper nos actions et celles des autres.

Une fiction ne nous permet pas d’échapper à la réalité. Ce n’est d’ailleurs pas ce que nous voulons. Nous voulons qu’elle nous apprenne à composer avec cette réalité. Et le langage employé dans la fiction ne doit pas nous détourner. Dans une histoire, le langage poétique par exemple ou l’usage trop prononcé de métaphores épuisent notre curiosité.
Nous avons besoin de réponses bien plus pratiques. Et c’est avec un langage assez direct que l’auteur pourra capter notre attention et la maintenir.