Écrire un scénario : les fondamentaux (19)

Nous avons vu qu’un protagoniste était animé à poursuivre un objectif. Et qu’il était mû par une véritable détermination. Celle-ci n’est cependant pas une évidence. Il lui faut une énergie. Et cette énergie est une motivation à faire les choses.

Néanmoins, cette motivation doit être elle-même explicitée. Qu’est-ce qui motive le héros à vouloir aller avec autant d’efforts jusqu’au bout de son objectif.
Habituellement, ce sont les enjeux qui déterminent cela. Plus le héros a de choses à perdre (et des choses auxquelles il tient), plus la tension dramatique sera présente et partant, le suspense.
C’est un aspect critique du scénario que de définir les enjeux parce que sinon, l’action du protagoniste en sera diminuée. On ne comprendra pas pourquoi il fait autant de bruit.
Par exemple, McClane de Piège de cristal n’aurait certainement pris aucun risque pour sauver les otages si parmi eux ne se trouvait pas sa femme.

La vie de la femme de McClane (même s’ils sont séparés) est un enjeu à la hauteur de la détermination de McClane de récupérer les otages sains et saufs.

Les enjeux sont partie intégrante du drame qui se joue

L’auteur doit donc connaître les enjeux pour son protagoniste et surtout pourquoi ils sont si important pour ce dernier.
Lorsque les enjeux sont élevés pour le héros, c’est parce qu’il a quelque chose à perdre. Et pas seulement quelque chose d’insignifiant dont il pourrait se remettre facilement.

S’il échoue dans son objectif, il perd tout. C’est ainsi qu’il faut voir les choses. Les enjeux sont une véritable puissance capable de renverser à jamais le personnage en cas d’échec. C’est pour cela que les enjeux participent si intimement à la tension dramatique.
Le lecteur partage avec le personnage principal l’idée même de cette perte. Et si le lecteur comprend ce qui est en jeu, l’identification s’en trouve renforcée.

Pour approfondir cette notion d’enjeu, je vous renvoie à :
UN ENJEU DANS CHAQUE SCÈNE

Une histoire, c’est à propos de quelqu’un qui désire quelque chose si ardemment qu’il est prêt à tout risquer pour l’obtenir. Néanmoins, il lui sera difficile d’accomplir ce désir. L’enjeu est alors déterminé par ce qu’il risque de perdre (et cela doit être clair aussi pour le lecteur) s’il échoue dans son entreprise.

Comme les pérégrinations et les tribulations du protagoniste au cours de l’intrigue tendent à démontrer qu’il lui sera de plus en plus impossible d’affirmer ce désir, la tension dramatique augmente et parallèlement, l’enjeu aussi.
Par exemple, votre héros est un flic qui doit résoudre une affaire (c’est son objectif dans ce scénario). S’il ne réussit pas, il craint de se retrouver à la circulation en conséquence de son échec. C’est un enjeu mineur mais qui le préoccupe tout de même.

Seulement, sur le plan dramatique, ce n’est pas suffisant. Comme l’intrigue progresse, il s’aperçoit que c’est sa vie qui est en danger s’il laisse filer le méchant. L’enjeu devient plus puissant mais il faut continuer la montée en pression (pour le bien-être du lecteur, principalement).
Le héros connaîtra une crise majeure lorsque sa fille sera enlevée par l’antagoniste. Et cette fois, l’enjeu atteint un maximum car s’il échoue, la vie de sa fille est menacée.

Garder l’attention du lecteur

Cette escalade de la tension (par la pression de l’enjeu sur le protagoniste) est nécessaire car si cette pression est trop basse ou égale à elle-même tout au long du scénario, le lecteur se désintéressera vite de ce qui peut arriver au protagoniste. Qu’il réussisse ou qu’il échoue n’aura pas d’importance.
Or l’empathie envers le héros doit être maintenue.

C’est pour cela que les enjeux sont essentiellement émotionnels. Si le lecteur comprend qu’échouer dévastera le protagoniste (émotionnellement s’entend), il ressentira que les enjeux pour ce personnage sont vraiment élevés. Et l’identification sera renforcée.
Partant, le lecteur voudra connaître comment les choses se dénoueront pour ce personnage dont il se préoccupe tant.
D’où l’importance d’avoir déjà posé sur le papier une petite note décrivant (ne serait-ce que sommairement) la fin que vous envisagez pour votre scénario.

Dans Le silence des agneaux, cet épisode de l’enfance de Clarice Starling où elle n’a pu sauver l’agneau explicite le profond écho émotionnel de son besoin de résoudre le problème de l’histoire et nous parvenons à la comprendre et ainsi nous sommes encore plus impliqués envers elle.
Et il devient presque logique que nous voulons savoir comment cela se terminera.

Le couple tension dramatique/suspense a besoin d’un enjeu important pour fonctionner. Ce couple donne envie d’en savoir davantage.
Par exemple, cette bande-annonce de Hush ( Pas un bruit) de Mike Flanagan et Kate Siegel :

http://www.scenarmag.fr/wp-content/uploads/2017/11/HushTrailer.mp4

Tout y est : tension, suspense et enjeu. Une triade qui crée irrésistiblement l’envie d’en savoir plus.

Bien sûr, l’enjeu pourrait être la fin du monde mais si le lecteur ne s’implique pas émotionnellement avec les personnages, qui se soucie de la fin du monde ?

L’enjeu doit être compris dès la présentation du personnage

Prenons l’exemple de Morning Glory écrit par Aline Brosh McKenna. Becky est une productrice pour la télévision dynamique, heureuse et volontaire dans son métier. Tout semble lui réussir jusqu’à ce qu’elle soit remerciée.
Commence pour elle alors une traversée du désert à la fois professionnelle et sentimentale (enfin de ce côté-là, cela fait déjà un moment).

En une quinzaine de pages, nous avons appris à connaître Becky. Ce qu’elle veut et les difficultés pour l’obtenir.
Si le scénario se contentait de montrer les déboires de Becky à retrouver son job de productrice, ce ne serait pas très dramatique.
La fiction n’est pas un documentaire. Ce sont deux choses relativement différentes qui fonctionnent selon leurs propres règles.

Alors elle prend en charge une nouvelle émission. Changement de lieu, changement d’acte. Mais cette émission est la matinale la moins regardée du pays. L’équipe elle-même semble complètement blasée.
Et c’est maintenant que l’enjeu intervient chez le personnage de Becky.
Parce que cette émission menace directement la vérité première de ce personnage. La réussite de cette émission sera sa propre réussite. Si elle échoue, elle échoue personnellement.

Quel est la force antagoniste qui s’attaque ainsi à Becky ? C’est l’atmosphère qui entoure cette émission de télévision. Si elle se laisse gagner par l’ambiance misérable qui règne sur le plateau, non seulement elle se sera conformée à la réalité mais elle aura ruiné aussi tout ce qu’elle est véritablement.

Et tout au long de ce second acte, l’enjeu augmente au fur et à mesure qu’elle croit trouver des solutions. Malgré son dynamisme, l’audience reste si basse que l’émission risque d’être annulée. Et lorsqu’elle parvient à améliorer l’audimat, les relations entre ces deux présentateurs vedettes est si misérable que l’un d’entre eux est sur le point d’abandonner.
Toutes ces épreuves jouent contre son objectif. A la fin de l’acte Deux, cependant, Becky a réussi à sauver l’émission. Son objectif semble atteint.

Mais malgré que cela pourrait être le dénouement, Becky est contacté par le Today Show, une émission vedette et très suivie de NBC. Le scénario se tourne maintenant vers un pic concernant l’enjeu de Becky. Son désir initial est certes rempli mais qu’en est-il de son besoin ?
Désir et besoin sont différents. Son désir lui a permis de s’affirmer. Le besoin, cependant, est quelque chose qu’un personnage ne réalise pas avant généralement la fin de l’acte Deux. Le besoin est quelque chose de plus profond, de plus sincère. Et si Becky ne parvient pas à combler ce besoin, la perte ressentie sera dévastatrice.

Becky ne veut pas seulement être une productrice qui réussit. Elle veut être plus que cela. Elle veut être une personne entière c’est-à-dire qui se manifeste dans le monde à la fois par son activité professionnelle mais aussi dans une relation sincère aux autres (ce qui est marqué par son désert affectif).

Trouver un enjeu élevé

La méthode la plus simple est encore d’inventer chez un personnage ce qu’il y a de plus important dans sa vie. Et de mettre ce qu’il tient avec autant d’estime en péril.
Ce peut être sa fortune, sa liberté, sa réputation… En somme ce qui lui permet d’exister en ce monde doit être en danger d’anéantissement. En cas d’échec, il y aura une mort littérale ou figurative.

Il faut donc inventer des situations dans lesquelles le lecteur sera amené à croire que le protagoniste peut perdre à jamais ce bien précieux qui lui permet d’asseoir sa place dans le monde.
Considérons un autre exemple : Mes meilleures amies écrit par Kristen Wiig et Annie Mumolo.

Lorsque Annie nous est présentée, le moins que l’on puisse dire est que sa vie est au plus bas. Lilian, sa meilleure amie, est la seule chose qui puisse encore la réconforter.
L’enjeu pour Annie est de ne pas sombrer davantage et Lillian est là pour cela. Lorsque Lilian annonce son prochain mariage, cela signifie pour Annie la solitude la plus complète.

Sa relation avec Lillian, qui la maintient encore debout, est alors menacée. C’est l’expression de cette menace qui augmente les enjeux et Annie va tenter de sauver cette relation, bien maladroitement.
L’antagonisme se manifestera alors en l’incarnation de Helen, la nouvelle amie de Lillian.

Ce que nous pouvons noter, néanmoins, est qu’il est évident que Helen appuie sur l’aspect de ce manque de confiance en elle qui caractérise Annie, mais c’est pourtant ce peu d’assurance de Annie qui est son véritable ennemi et qui la pousse à accumuler elle-même les obstacles pour sauver sa relation avec Lillian (son objectif).
Et lorsque Lillian finit par s’éloigner de Annie (crise majeure), l’enjeu pour cette dernière est encore plus terrible.

C’est ainsi que ce scénario peut fonctionner parce que les péripéties qui émaillent l’intrigue sont toutes concentrées à fragiliser l’objectif de l’héroïne.

Les moyens

A travers les exemples cités, nous pouvons apercevoir que les enjeux pour le protagoniste peuvent être élevés soit par l’antagoniste, soit par les obstacles extérieurs ou bien intérieurs provoqués par la faiblesse du personnage principal.

Vous avez ainsi à disposition de nombreuses possibilités narratives pour compliquer les situations. Ne soyez pas tendre avec vos personnages, votre lecteur appréciera.

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ÉCRIRE UN SCÉNARIO : LES FONDAMENTAUX (19)