Écrire un scénario : les fondamentaux (14)

Par William Potillion @scenarmag

Nous avons vu précédemment qu’une étape structurelle importante d’une histoire était l’incident déclencheur. Cet événement bouleverse la vie du héros et constitue pour celui-ci un véritable appel à l’aventure (le Call to Adventure de Joseph Campbell).

Nous avons aussi entrevu que le héros ne répondait pas immédiatement par l’affirmative à cet appel (ce que Campbell nomme le Refusal of the Call). Il y a une résistance naturelle à changer dans la nature humaine.
Le héros d’une histoire n’en est pas dépourvue.
Le passage dans l’acte Deux consiste à lancer le protagoniste dans son aventure, c’est-à-dire qu’il accepte de participer à cette aventure. Mais cet engagement n’est pas immédiat.
Il existe une temporisation entre le moment de l’incident déclencheur et la décision du héros à s’engager dans l’aventure.

Un retard voulu qui profite au suspense

Nous connaissons tous une résistance plus ou moins forte à voir les choses changées. Dans un scénario, l’aspect pratique d’une telle réticence facilite la connaissance que nous devons avoir du personnage principal.
Il faut du temps au lecteur pour qu’il apprécie non seulement la situation mais le personnage qui est au cœur de celle-ci.

Joseph Campbell a identifié à travers les mythes des cultures et des époques qui les véhiculent plusieurs points communs qui se répétaient avec seulement quelques variantes.
Parmi ceux-ci, il y a ce Call to Adventure. Un événement (souvent incarné par celui qu’il nomme le héraut ou messager) vient brutalement interrompre la réalité quotidienne du héros en le sollicitant pour une sorte de devoir qu’il doit accomplir comme de sauver son village, de tuer le dragon pour sauver la princesse ou tout autre demande qui dépasse la capacité actuelle du héros dans l’accomplissement de celle-ci.

Dans Le héros aux mille et un visages, il cite le cas de la petite princesse qui doit prendre soin d’un crapaud hideux comme allégorie du passage de l’enfance vers  la vie de femme qui est le devenir naturel de la petite princesse.

Si le personnage principal acceptait d’emblée de prendre en charge son problème (c’est-à-dire lorsque le problème soulevé par l’histoire devient son propre problème), ce personnage manquerait de profondeur (de complexité).
Forgé par des décennies de mythes, légendes, contes et fictions, l’esprit du lecteur accepte difficilement de voir le héros partir sans délai dans l’aventure.

Le héros refuse l’aventure

Dans un premier temps, le héros refuse de prendre part à l’aventure. Ce ne sera évidemment pas définitif sinon il n’y aurait même pas de scénario.
Par ailleurs, le suspense est un élément dramatique d’une importance capitale dans une histoire. Et il y a des scènes qui doivent participer de ce suspense ce qui crée de la tension.

La tension dramatique n’est pas facile à installer. C’est comme lorsqu’on presse une éponge pour en extraire l’eau, si une scène nécessite de la tension, il faut tenter d’en extraire cette tension.
C’est au moment de l’écriture de la scène et non lorsqu’on planifie les événements de son histoire qu’on doit travailler sur la tension dramatique d’une scène (si celle-ci exige une telle tension).

Lorsque le héros refuse d’abord l’aventure proposée, cela crée du suspense et donc l’auteur sait qu’il va pouvoir donner à quelques scènes une tournure plus dramatique par la réticence du héros.
Cette circonspection (méfiance ou prudence) est tout à fait naturelle. Ce sont des attitudes, comportements ou postures que nous reconnaissons tous lorsque nous les observons ou lorsque nous en faisons l’expérience.

Ce refus de participer à l’aventure rend le récit bien plus passionnant. Si le héros accédait aussitôt à la demande qui lui est faite, le lecteur le trouverait bien obéissant ce qui jette une ombre négative sur le personnage.
Or l’auteur recherche une empathie du lecteur envers son héros. Et le voir ainsi refuser quelque chose qui va perturber sérieusement sa zone de confort est facilement reconnaissable par le lecteur.

Les peurs du héros

Comme n’importe quel être humain, un personnage de fiction éprouve des peurs (et ce n’est pas de la procrastination seulement des freins tout à fait justifiés à faire les choses) et a des obligations dans sa vie.

Lorsque l’aventure se présente au héros, il faut pouvoir mettre en place un dilemme. Pour que le personnage principal du scénario puisse faire un choix, il lui faut des raisons pour partir et il lui faut aussi des raisons tout à fait légitimes et puissantes pour rester.

Le lecteur doit partager ce dilemme. Il doit le comprendre.
Par exemple, votre héroïne travaille dans une grande entreprise. Soudain, il lui est proposé un poste à l’étranger qui est un avancement considérable dans sa carrière.
Si elle ne prend pas ce tournant majeur de l’histoire (puisque le récit se passe justement à l’étranger), non seulement elle s’engage dans une voie de garage mais surtout, il n’y a plus de scénario.

Maintenant l’auteur doit trouver des raisons pour qu’elle refuse cette opportunité qui ne se représentera pas. Ces justifications sont autant d’obstacles qu’elle devra surmonter. Bien sûr qu’elle finira par accepter mais ce ne doit pas être évident.
Par exemple, son père est gravement malade et elle ne conçoit pas de s’éloigner de lui.

C’est là qu’intervient un personnage que Campbell qualifie de mentor. Cet archétype va tenter de convaincre le héros de poursuivre son aventure. Dans notre exemple, ce mentor est son père lui-même qui va comprendre le désarroi de sa fille.
Soit il décidera de rejoindre un institut médicalisé qui pourra prendre soin de lui et dégager sa fille de sa responsabilité envers lui. Soit il peut mourir.

Nous avons un tel mentor dans le personnage de Mickey qui non seulement presse Frank Galvin (Le Verdict) de s’occuper de cette affaire mais il lui a aussi amené cette affaire pour le sortir de la voie sans issue dans laquelle Frank s’est engagée.

Et James Bond ?

James accepte toujours la mission qui lui est confiée. Pourtant, vous avez sans doute remarqué que s’il est prêt du moins dans sa tête à prendre en charge cette mission dangereuse, il lui est nécessaire de se procurer les gadgets qui lui serviront pour traquer le méchant (Q est alors mentor) et bien souvent, il se lance sur une piste avec très peu d’informations.
Tout ceci est destiné à retarder le moment du passage dans l’acte Deux qui débute véritablement le récit.

Donc, comme il s’agit dans cette série d’articles de planifier les événements du scénario, il serait bien de créer une nouvelle note qui pointera sur un obstacle pertinent et qui justifie totalement ce qui retient le héros de prendre en charge le problème de l’histoire.
Cet obstacle renforce par ailleurs la nécessaire empathie du lecteur envers le héros.

Vous pouvez aussi inventer plusieurs raisons si vous estimez cela utile (peut-être pour expliquer davantage ou la situation ou votre personnage). Les détails aident à enrichir un scénario.
Chacune de ces notes sera donc une scène.

Mais il vous faudra aussi ajouter des notes qui correspondront à la solution de ces obstacles. Chaque solution sera aussi une scène. Vous ne pouvez poser un obstacle sans solution et passer ensuite dans l’acte Deux.

Prochain épisode :
ÉCRIRE UN SCÉNARIO : LES FONDAMENTAUX (15)