State of the Union

Un grand merci à Movinside Editions pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « State of the union » de Frank Capra.

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« Si on pense à moi pour être candidat c’est que le parti doit être désespéré »

Riche industriel, intègre mais naïf, Grant Matthews brigue l’investiture du Parti républicain. Mary, sa femme, dont il est séparé, accepte de revenir provisoirement auprès de lui pour jouer le rôle de l’épouse aimante et dévouée. En réalité, Grant est manipulé par Kay Thorndyke, l’ambitieuse directrice d’un grand groupe de presse qui cherche à venger la mort ignominieuse de son père, repoussé par les Républicains. Peu à peu, les responsables de sa campagne le contraignent à infléchir son discours. Bientôt, ses interventions se limitent à des déclarations tièdes et sans audace, soigneusement préparées à l’avance. Mary ne le supporte pas…

« L’argent n’est pas le rêve américain. C’est la liberté. Nous ne pouvons être un îlot de richesse au milieu d’un monde de misère »

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A sa manière, Frank Capra illustre bien le rêve américain : modeste fils d’immigrés siciliens pauvres et illettrés, il travaillera d’arrache-pied pour mener à bien des études d’ingénieur avant d’obtenir un succès planétaire en tant que cinéaste. Pourtant, il arrive au cinéma un petit peu par hasard. Désœuvré, sans emploi, il fait ses premiers pas derrière une caméra en répondant à une annonce. Mais l’expérience s’avère être pour lui une révélation. Enchainant les petits boulots d’accessoiriste et de monteur dans des petits studios, il finit par être remarqué au cours des années 20 pour ses talents de gagman et de scénariste pour les films de Hal Roach et de Mack Senett. Ce qui lui vaut d’être embauché par la Columbia qui lui donne sa chance comme réalisateur dès la fin des années 20. Il réalisera ainsi une quinzaine de films de commande avant de pouvoir gagner une plus grande liberté au début des années 30 dans le choix de ses projets. En l’espace des deux décennies suivantes et d’une grosse quinzaine de films, il s’imposera alors comme un fin portraitiste peignant les dérives de la société américaine de son époque au travers de ses fables sociales (« New-York Miami », « La vie est belle », « Vous ne l’emporterez pas avec vous ») et morales (« L’extravagant Mr. Deeds », « Mr. Smith au Sénat », « L’homme de la rue »). Après l’échec commercial de « La vie est belle » en 1946, il tente de se relancer deux ans plus tard avec « State of the union » (sorti en France sous le titre « L’enjeu »), adaptation d’une pièce de Howard Lindsay et Russel Crouse qui avait connu un immense succès à Broadway quelques mois plus tôt. A noter que le film fut marqué par un tournage mouvementé, de grosses tensions se firent jour entre Adoph Menjou, témoin privilégie de la Commission McCarthy, et Katherine Hepburn, qui remplaça au pied levé Claudette Colbert quelques jours seulement avant le début du tournage.

« On n’achète pas le vote d’un homme libre »

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De prime abord, « L’enjeu » ressemble à un vaudeville ordinaire, s’amusant de l’expression du titre original « State of the union » qui renvoie à la fois au discours présidentiel annuel sur « L’état de l’Union » et qui par analogie renvoie ici à un état des lieux du couple Matthews, à la dérive et proche de l’explosion. Mais ce qui intéresse le plus Capra ici, c’est le sous-texte politique. Car « State of the Union » prend pour décor les coulisses du monde politique américain, permettant au cinéaste de renouer avec ce thème près de dix ans après « Mr Smith au Sénat ». Avec toujours le même postulat, basé sur la confrontation entre l’idéaliste provincial et le cynisme des professionnels de la politique bien établis de Washington. Reste qu’en l’espace d’une décennie, la société américaine - mais aussi le monde - a évolué : une guerre mondiale a lieu causant plus de 50 millions de morts, coupant le monde en deux blocs ennemis. En ces temps troublés (Le Sénateur McCarthy mène aux Etats-Unis sa chasse aux sorcières), l’heure n’est plus à l’idéalisme mais à une forme d’amère résignation, et la tonalité de Capra semble plus vacharde qu’à l’accoutumée. Derrière les bons mots et les savoureux dialogues de ses personnages, il dresse un portrait peu reluisant d’une classe politique américaine particulièrement cynique et hypocrite. Un microcosme déconnecté de la réalité et du peuple, prêt à toutes les compromissions pour gagner un peu de pouvoir, et dont le cinéaste ne cesse de pointer l’amoralité. Surtout, il y a chez Capra cette idée (une constante dans son œuvre) que le pouvoir finit toujours par corrompre tout ceux qui s’en approchent et abimer les êtres pures autant que les idéaux. Ainsi, son héros, un self-made-man idéaliste et plein de bon sens, manque de se faire avoir par ce jeu de dupes et de manipulations. Mais à la différence d’un Mr. Smith qui se battra jusqu’à l’épuisement pour défendre son honneur et faire entendre la vérité, Grant Matthews, rappelé in extremis à la raison par sa femme, préfèrera raccrocher les gants avant le combat afin de préserver son intégrité morale et ses idéaux de justice. Une ultime pirouette pleine de panache qui vient conclure cette brillante comédie mais qui ne saurait masquer le pessimisme et la désillusion du cinéaste vis-à-vis du système.

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Le blu-ray : Le film est proposé dans un nouveau Master haute-définition, en version originale américaine (2.0). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné d’une présentation du journaliste Marc Toullec.

Edité par Movinside Editions, « State of the union » est disponible en DVD ainsi qu’en blu-ray depuis le 29 août 2017.

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