[Mostra de Venise 2017] Jour 11 : Del Toro triomphe, Kitano bégaie

Par Boustoune

Le jury de la 74ème Mostra de Venise, présidé par Annette Bening, a rendu son verdict lors de la soirée de clôture, livrant un palmarès assez éclectique, entre cinéma Art & Essai radical et films hollywoodiens plus “populaires”, jeunes cinéastes et auteurs confirmés, oeuvres ancrées dans le réel et cinéma de genre…


Warwick Thornton reçoit le prix spécial du jury pour Sweet Country, huit ans après sa caméra d’Or cannoise. Samuel Maoz, lui, rate de peu un second Lion d’Or après Lebanon. Son très bon Foxtrot remporte seulement le Lion d’Argent, le Grand prix du jury vénitien. Les deux hommes n’ont que deux films à leur actif, mais ces films ont été tous les deux primés dans des grands festivals.
On peut presque en dire autant du français Xavier Legrand. Son court-métrage Avant que de tout perdre avait reçu le grand prix du festival de Clermont-Ferrand en 2013, puis le César du meilleur court-métrage et une nomination aux Oscars. Sa suite directe, Jusqu’à la garde, a également su se distinguer. Le cinéaste repart avec le Lion d’Argent du meilleur metteur en scène et le Lion du Futur, récompensant le meilleur premier long-métrage. Le jeune cinéma hexagonal est à la fête, puisque Gros chagrin de Céline Deveaux remporte le prix du Meilleur court-métrage.
Assez logiquement, le jury a également récompensé Martin McDonagh d’un Lion d’Argent du meilleur scénario pour Three bilboards outside Ebbing, Missouri, petit bijou de script aux dialogues finement ciselés. Le cinéaste s’en contentera, même s’il aurait pu prétendre à un prix un peu plus élevé.

Côté comédiens, Annette Bening et ses jurés ont choisi de récompenser une star en tant que meilleure actrice – Charlotte Rampling, effectivement très bien dans Hannah – et un inconnu en tant que meilleur acteur –  le Palestinien Kamel El Basha pour son rôle dans L’insulte de Ziad Doueiri.
Ils ont aussi primé le jeune acteur de Lean on Pete, Charlie Plummer. Le garçon est effectivement touchant dans le film d’Andrew Haigh, mais le jury aurait aussi pu primer les jeunes acteurs d’Abdellatif Kechiche dans Mektoub is mektoub ou les jeunes actrices chinoises du film de Vivian Qu, Angel wear white. Ils font partie des grands absents du palmarès, tout comme Mother! ou Suburbicon.


Finalement, c’est Guillermo del Toro qui a reçu le fameux Lion d’Or pour The shape of water, une fable fantastique sur la monstruosité et la différence, rendant hommage à l’âge d’or du cinéma hollywoodien.
C’est loin d’être immérité, car il s’agit assurément d’un très bon film, porté par une mise en scène inventive, de beaux numéros d’acteurs et des thématiques dans l’air du temps. On aurait pu penser que d’autres films étaient mieux armés pour remporter cette compétition, mais c’est le jury qui décide et, par principe, il a toujours raison…

La grande première de ce palmarès, c’est la remise des prix de la toute nouvelle compétition de films en réalité virtuelle.
Hélas, faute de temps, nous n’avons pas pu voir l’intégralité des films présentés, mais nous en avons au moins vu un parmi les films primés : Bloodless de Gina Kim, reconstitution glaçante du meurtre d’une prostituée sud-coréenne dans l’un des secteurs américains de la ville. La cinéaste entend ainsi dénoncer tous les crimes impunis, toutes les violences faites aux femmes dans ces zones de non-droit au coeur du pays. La réalisatrice joue habilement du dispositif à 360° pour mettre mal à l’aise le spectateur ou pour révéler ce qui est généralement caché sous le tapis, au sens propre comme au figuré…
Globalement, les oeuvres présentées étaient de bon niveau, montrant l’étendue des possibilités de cette forme artistique encore balbutiante. Le plus amusant, c’était la partie “installations”, faisant intervenir de vrais acteurs pour accentuer les sensations virtuelles. Par exemple Separates silence du danois David Wedel, dans lequel le spectateur est prié de s’allonger sur un lit d’hôpital et se fait palper par des performers tout en regardant le film dans son casque de VR. Ou Alice, the virtual reality play, dans laquelle le spectateur se glisse dans la peau d’Alice, traverse le miroir et interagit avec de vrais acteurs grimés en Chapelier fou ou en Lapin blanc…


Mais parfois, le plus impressionnant est le film le plus simple. Nous avons beaucoup aimé Dispatch, une mini-série en VR qui vous place dans le siège d’un “dispatcher”, un standardiste qui trie les appels de secours au 911 et vous entraîne dans les scènes  en train d’être décrites au téléphones, reconstituées avec de simples esquisses “fils de fer”.
On pourrait trouver cela trop minimaliste pour convaincre. Mais au contraire, Dispatch  s’avère une oeuvre haletante, qui nous scotche, ni à l’écran, ni au fauteuil (il n’y a ni l’un ni l’autre), mais à notre casque Oculus Rift. Et on s’aperçoit, avec cette oeuvre graphiquement très simple, que la bande sonore, quand elle est bien utilisée, peut être un atout majeur.


Takeshi Kitano devrait se mettre à la VR. Ainsi, on trouverait peut-être un intérêt à ses sempiternelles histoires de yakuzas qui s’allient pour mieux se trahir, ou se trahissent pour mieux s’allier, bref, qui se battent pour des prunes. Film de clôture de la 74ème Mostra de Venise, Outrage Coda est le troisième volet – et à priori le dernier, ouf! – de la saga Outrage, démarrée en 2010. Le personnage principal, Otomo, joué par le cinéaste lui-même, semble couler des jours heureux en Corée du Sud, laissant derrière lui les querelles entre clans de yakuzas. De toutes façon, depuis la fin du deuxième volet, les différentes familles ont juré allégeance à un seul et même parrain, qui peut régner sans partage sur ce syndicat du crime. Mais l’irruption d’un jeune yakuza, violent et irrespectueux, dans l’un des bordels tenus par le boss d’Otomo, va mettre le feu aux poudres et relancer de plus belle la guerre des clans. Otomo va devoir reprendre du service, retomber malgré lui dans la même spirale de violence sans fin et se laisser à nouveau manipuler par des gangsters peu scrupuleux.Evidemment, ça l’agace un peu…
Mais cela agace aussi le spectateur, qui a le sentiment d’être mené en bateau. Plutôt qu’une suite, Outrage coda est le quasi-remake du second épisode, qui ressemblait lui-même au premier… Trois longs-métrages d’affilée obéissant au même protocole, les mêmes ressorts dramatiques, les mêmes enjeux ça fait beaucoup… Kitano semble aujourd’hui raconter en boucle la même intrigue, tourner le même film, sans aucune plus-value.
Dommage, car si on n’avait pas déjà vu les deux premiers volets, ou d’autres films du même genre, comme Aniki, mon frère, du même cinéaste ou les Election de Johnnie To, on trouverait le film assez réussi. Le récit est rondement mené, les éclats de violence sont spectaculaires et Takeshi Kitano filme tout cela sans fausse note. Mais quel dommage que le cinéaste ne mette pas son talent au service d’un film plus ambitieux et plus apaisé. On sait qu’il en est capable. On a vu L’Ete de Kikujiro ou Achille et la tortue.

Voilà, fin de ces chroniques de la Mostra de Venise 2017. Nous vous remercions de les avoir suivies et vous donnons d’ores et déjà rendez-vous pour l’édition 2018, qui célébrera les trois-quarts de siècle du plus ancien grand festival de cinéma du monde… Ciao a tutti!