[Mostra de Venise 2017] Jour 8 : Hable español por favor!

Par Boustoune

On peut comprendre que Fernando Leon de Aranoa ait eu envie d’adapter “Loving Pablo, Hating Escobar”, récit, par la journaliste Virginia Vallejo, de sa liaison avec le trafiquant de drogue colombien Pablo Escobar. L’homme qui a régné pendant près de vingt ans sur le cartel de Medellin est une véritable figure romanesque, un politicien charismatique côté pile et un truand impitoyable, capable d’actes horribles, Raconter son ascension et sa chute à travers le prisme de sa relation intime avec une jolie journaliste de télévision colombienne n’est pas non plus une mauvaise idée. Mais son Loving Pablo arrive un peu après la bataille, puisque l’histoire de Pablo Escobar a été racontée dans au moins  cinq films, documentaires et séries télévisées au cours des vingt dernières années, y compris sous un angle un peu plus intimiste, comme dans le Paradise Lost d’Andrea di Stefano avec Benicio Del Toro dans le rôle du célèbre narcotrafiquant.


Autant dire que si vous avez vu le film précité, ou la série Narcos vous n’apprendrez rien de neuf sur le sujet, sinon quelques méthodes de torture bien originales pour vous débarrasser d’un chef tyrannique, d’un voisin odieux ou d’un casse-pieds quelconque (La technique qui consiste à attacher un chien sur le dos de la victime pour qu’il lui croque le cou est assez inventive, on doit bien l’avouer, mais le découpage à la tronçonneuse reste une valeur sûre…).
Mille fois hélas, la mise en scène n’arrive jamais à rendre le récit un tant soit peu captivant. Le cinéaste se contente d’illustrer platement le récit, sans aucune inventivité, sans point de vue social ou psychologique. On attendait beaucoup mieux de la part du cinéaste de A perfect day et des Lundis au soleil deux oeuvres bien ficelées, originales et ouvertes sur le monde.
Reste le duo formé par Javier Bardem et Penelope Cruz, mais là encore quelle déception! Si Bardem trouve ici un rôle à sa mesure, permettant de jouer autant sur sa présence physique imposante, presque inquiétante, que sur des émotions plus subtiles, la pauvre Penelope voit son personnage réduit au rang de simple utilité, une simple voix-off servant de fil conducteur au récit.
Mais aucun des deux ne peut vraiment tirer son épingle du jeu à cause d’un parti-pris de production qui a agacé de très nombreux spectateurs de la Mostra : la décision de tourner le film… en langue anglaise!
Résumons : Le cinéaste est espagnol, les deux acteurs principaux sont espagnols, la quasi-totalité du casting est hispanophone, leurs personnages, colombiens, sont hispanophones et l’action se passe pour l’essentiel en Colombie, mais les producteurs décident de faire parler tout ce petit monde dans la langue de Shakespeare, qu’ils maîtrisent évidemment moins bien que leur langue maternelle… Pire, on les affuble d’un accent espagnol à couper au couteau, pour faire plus couleur locale! Aïe aïe aïe, Pepito! Qui a eu cette idée saugrenue?!? Quel est l’infâme crotale responsable de cette trahison? Quel cerveau ravagé par la cocaïne a imaginé ce stratagème honteux, en pensant que le spectateur serait trop idiot pour le remarquer? Caramba! Qu’on nous apporte oune chien, oune corde et oune bâtonne! On va touer ces gringos jusqu’à ce qu’ils soient muertes… Fuckin’ cabrones!


Les producteurs de Amorre e malavita n’auraient certainement pas osé pareille astuce. Ils auraient eu trop peur d’être coulés dans du béton ou aplatis façon pizza par la Camorra, la mafia napolitaine… Cette histoire de règlement de comptes entre clans mafieux, de trahisons et de manipulations, est parlée soit en italien, soit en dialecte napolitain, un point c’est tout! Napoli, c’est une terre de traditions et le film de gangsters, ce sont des codes, de règles à respecter. On ne peut pas faire n’importe quoi! Parler en anglais, pffff… Et pourquoi pas ajouter des passages de comédie musicale, pendant qu’on y est… Hé, mais qu’est-ce que… Non, les frères Manetti n’auraient pas osé…
Eh bien si. C’est l’une des idées originales de cette parodie de films de gangsters. L’intrigue est rythmée par des séquences chantées et dansées, variantes de tubes italiens ou du “What a feeling” de Flashdance! Des macchabés se relèvent pour effectuer quelques entrechats, concurrençant Michael Jackson et ses zombies dans Thriller. Des tueurs à gages flinguent nos tympans en se prenant pour Toto Cutugno ou Eros Ramazzotti. Et des touristes se lancent dans des ballets dignes de Busby Berkeley pour affirmer que se faire voler ses effets personnels à Naples est l’expérience touristique ultime.
L’autre bonne idée des frères Manetti, c’est d’avoir remixé une intrigue de film de mafieux classique avec une trame manipulatrice dans la lignée de L’Arnaque. Il est question d’un parrain local qui se fait passer pour mort pour échapper à un clan rival et qui, pour garder son secret, décide d’éliminer tous les témoins gênants. Pas de bol, l’un de ces témoins est le grand amour d’enfance de son principal homme de main. Entre son patron et sa bien-aimée, le tueur n’hésite pas longtemps (il est vrai que la jeune femme possède certains atout dont est dépourvu le petit caïd…) et démissionne avec pertes et fracas, s’attirant l’hostilité de tous les membres du clan… Pour survivre, il va devoir se montrer aussi malin et inventif que ses employeurs…
A vrai dire, le scénario d’Amorre e malavita s’avère assez rafraîchissant. Il change des sempiternelles histoires de règlements de comptes mafieux, racontées au premier degré, avec un sérieux papal.
Ici, les balles fusent, les cadavres pleuvent, mais avec légèreté. Un peu trop, sans doute, pour que le film puisse disputer le Lion d’Or à des concurrents plus solides, mais les frères Manetti n’ont sans doute pas cette prétention. Ils sont déjà ravis d’être présents à la Mostra, ce qui constitue une bonne publicité pour leur oeuvre.  Comme le public vénitien l’a bien accueillie, cela augure d’un succès en salles chez nos voisins transalpins. Leur objectif est donc atteint…


Lauréat de la caméra d’Or du Festival de Cannes 2009 pour Samson & Delilah, Warwick Thornton affiche sans doute de plus grandes ambitions pour son Sweet country, un western au titre trompeur, car le pays en question, l’Australie, ne semble pas si “sweet” (“doux”, pour les non anglophones) que cela. Hormis les serpents et autres scorpions, dont le venin peut terrasser n’import qui en quelques minutes, la région dans la quelle se déroule l’intrigue est peuplée de cowboys sans foi ni loi, d’esclavagistes traitant les aborigènes comme des sous-hommes, de types frustes et violents, de pervers et de fous furieux. Même Dieu semble avoir délaissé ce coin paumé aux portes du désert. Il y a bien un pasteur (Sam Neill) qui prône l’égalité entre les blancs et les aborigènes, mais il n’a pas d’église, ni vraiment de fidèles à qui faire des sermons. Pourtant, certains en auraient bien besoin, comme Harry March, un fermier qui, à peine revenu du front, après la Guerre 1914-1918, sème le trouble dans la communauté. Il viole une femme, enchaîne comme un chien l’un de ses domestiques noirs, un gamin turbulent. Enfin, il fait feu sur la maison du pauvre Sam (Hamilton Morris), un berger aborigène, qui n’a d’autre choix que d’abattre l’ignoble individu. Bon débarras… Mais hélas, dans cette région, quand un noir abat un blanc, il est généralement bon pour la potence ou pour un bon lynchage des familles. Sam et son épouse doivent fuir vers le désert, traqués par un groupe de miliciens.
A travers ce scénario qui évoque La Poursuite impitoyable, Warwick Thornton continue à défendre la cause du peuple aborigène, qui a été chassé de ses terres natales par les colons blancs, exploité, malmené, et qui continue de vivre en marge de la société. Mais, même sans ce contexte politique, son “eastern” âpre, violent et désespéré tient parfaitement la route, grâce à une mise en scène sobre et précise, sans effets inutiles. Et surtout, les personnages parlent leurs propres dialectes, leurs propres langages… Voilà du cinéma qui ne prend pas le spectateur pour un imbécile…

Hasta mañana pour la souite dé nostro chroniks vénit-chiennes…