LES PROIES : Soldat, dis-moi qui est la plus belle ★★★☆☆

L’esprit subversif de Don Siegel cède la place au regard éthéré de Sofia Coppola.

Curieux projet que celui de Sofia Coppola de vouloir signer une nouvelle adaptation du roman de Thomas Cullinan. Quelque part, le sujet semble taillé sur mesure pour la réalisatrice, toujours à son aise lorsqu’elle met en scène des femmes en pleine déroute affective. Seulement, comment espérer soutenir la comparaison avec le chef-d’oeuvre de Don Siegel ? Même si elle date de 1971, cette version, portée par un Clint Eastwood à contre-emploi, à la fois instable et vulnérable, n’a pas pris une ride. À l’arrivée, la cinéaste a la bonne idée de s’affranchir de son prédécesseur en préférant la sensualité ouatée à l’ambiguïté malsaine. Le revers de ce parti pris est d’amoindrir la visée éminemment politique du premier film, qui abordait avec une radicalité étonnante la question du désir féminin. Bien sûr, il faut replacer l’intrigue dans son contexte. Alors que la guerre de Sécession fait rage, un soldat ennemi, blessé, trouve refuge dans un internat de jeunes filles du Sud des États-Unis. Remis sur pied grâce aux soins qui lui sont prodigués, il devient peu à peu le catalyseur des pulsions refoulées des pensionnaires et de la maîtresse des lieux.

LES PROIES : Soldat, dis-moi qui est la plus belle ★★★☆☆

Coppola a parfaitement conscience de l’évolution des moeurs et du statut des femmes aujourd’hui, et choisit de s’en amuser. Les Proies fait preuve d’un humour aussi déstabilisant que bienvenu, et trouve là encore matière à s’émanciper de la précédente adaptation. À ce titre, l’interprétation de Nicole Kidman, qui joue la tenancière à priori (f)rigide du pensionnat, se révèle absolument savoureuse. Il suffit de voir avec quelle aisance l’actrice rivalise de malice, notamment dans la scène du repas, climax jubilatoire du film. Les autres comédiennes complètent brillamment l’affiche, à commencer par Elle Fanning, qui incarne la plus perverse d’entre toutes. Kirsten Dunst rejoint également la distribution à l’occasion de sa troisième collaboration avec la réalisatrice, dans un rôle à fleur de peau, plus nuancé qu’il n’y paraît, digne de son talent. À elles seules, elles éclipsent Colin Farrell, assez fade, et s’accaparent toute l’attention du spectateur. Du propre aveu de la cinéaste, Les Proies se range du côté des femmes, épouse leur point de vue. On pourrait croire à de l’audace si cela bouleversait un tant soit peu les fondations du récit. Or, pour ceux qui auront vu le film de Siegel, seul le ton diffère, le déroulé, lui, reste le même.

Ce sentiment de redite, au moins dans l’enchaînement et l’articulation des scènes, pose un réel problème. Si la fidélité au roman impose de reconduire certains passages-clé, il aurait été pertinent de créer de nouvelles interactions entre les personnages. Coppola se contente davantage d’un travail de copiste, certes très appliqué, que d’une relecture intégrale et personnelle du livre. Il y a bien cette humeur cotonneuse qui contamine par endroits le film, rappelant la mélancolie de Virgin Suicides, et cette ironie mordante, déjà évoquée, mais cela ne suffit pas. À vrai dire, la réalisatrice semble un peu perdue depuis quelques temps. Son intégrité artistique n’est pas à remettre en cause. Ses obsessions et son style feutré sont toujours présents. Pourtant, la force vive, envoûtante de ses premières oeuvres se dissipe lentement mais sûrement. Croisons les doigts, on a connu des cinéastes plus mal en point qui, sans crier gare, sont revenus à leur meilleur niveau.

Réalisé par Sofia Coppola, avec Colin Farrell, Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning

Sortie le 23 Août 2017.