Gojira – le premier kaijū

Par Screenbusters

Il est certains esprits cinéphiles dont le biberonnage aux métrages fantastiques japonais aura tôt fait de les préparer à un monde de papier mâché régulièrement anéanti par la fureur de géants en plastique. Ces habitués du kaiju eiga (ou films de monstre) ont développé une véritable passion pour le travail artisanal et les thématiques d’un cinéma qui aura connu ses heures de gloire entre les années 50 et l’avènement du nouveau millénaire et des technologies numériques. Un déclin déprogrammé qui ne signe pas pour autant la mort du genre qui trouvera son renouveau dans des productions indépendantes, soutenues par un public avide d’une cinématographie s’autorisant toutes les extravagances. Tour à tour comédies régressives, drames écologistes ou anti-nucléaires, fourre-tout science-fictionnels, Godzilla et ses successeurs empruntent à tous et bienheureux celui qui pourra en définir avec précision les contours.

Godzilla, Mothra, Rodan et autres monstres gigantesques sont les héritiers légitimes du King Kong de 1933 – un panel de créatures qui portent en elles les stigmates d’une société où le bon n’a plus sa place. Leur difformité n’est pas la leur mais celle de l’homme qui s’agite, assassine, s’évertue contre toute logique à mettre en péril le monde qui l’entoure. Tel Yahvé qui purifie dans le sang en épargnant Noé, l’esprit de la Terre envoie ses terribles messagers pour punir et unifier ses peuples. Le premier d’entre eux, Gojira le lézard géant, impose d’emblée le respect et pose de manière tout à fait sérieuse les bases de l’univers kaiju.

Silhouette monumentale, démarche bonhomme et pouvoirs destructeurs – rien ne semble en mesure d’arrêter cette émanation physique de l’enfer nucléaire, future icône de cinéma. Le film de 1954 est une réussite technique et artistique certaine, savant brûlot antiatomique aux personnages forts et conscient de son rôle d’importance dans notre société militarisée. Si les effets visuels peuvent aujourd’hui prêter à sourire, ils témoignent d’un véritable savoir-faire nippon en matière de création de maquettes et costumes. Aidé par un noir et blanc crépusculaire et une bande-son tonitruante, le tout constitue donc une œuvre charnière du cinéma fantastique.

Le long-métrage, en tant qu’ambassadeur du genre, fonctionne parfaitement en circuit fermé et dispose d’une fin satisfaisante. Le récit alterne entre scènes de panique criardes et moments de tragédie plus intimistes, en n’oubliant jamais de développer son trio de personnages principaux. Finalement, l’humanité meurtrie mais repentie de ses péchés bellicistes tue la bête immonde et pleure ses victimes, se préparant à des jours meilleurs.

Godzilla raids again fait intervenir un autre lézard et une toute nouvelle créature antagoniste – Anguirus (une sorte d’ankylosaure mutant). Contrairement au métrage précédent les acteurs en costumes ne sont plus filmés au ralenti, entrainant un effet étrange qui insuffle une dimension comique aux affrontements des titans. L’esthétique générale se travestie jusqu’à prendre parfois des airs de carnaval et le message anti-nucléaire disparaît au profit d’un grand guignolesque de plastique aux effets visuels moins travaillés. Il suffit de voir l’aspect du Roi des singes dans King Kong vs Godzilla pour s’en convaincre – du design à l’animation rien ne fonctionne, alors que nous ne sommes que six ans avant La planète des singes et ses masques simiesques impeccables. L’humour « japoniais » prend le pas sur le reste, et la majesté du Gojira originel s’efface : au milieu des monstres géants, fées et autres aliens improbables, le Dieu lézard se fait super-héros pour enfants, farouche défenseur de la Terre et de l’humanité contre des méchants de pacotilles.

Jusqu’à l’année 2016 et une véritable renaissance avec Shin Godzilla – miroir moderne de l’œuvre de 1954 qui revisite avec pertinence la naissance de la créature sur les cendres du nucléaire, ici Fukushima. Le lézard mutant devient un amalgame de chair atomique en constante évolution, se transformant avec difficulté jusqu’à atteindre sa forme finale au sommet de la chaine alimentaire.

Le mythe nous revient pimpant et désoccidentalisé, embrassant l’imagerie moderne et une posture écologique avisée. Un retour gagnant pour une saga cinématographique nécessaire.