Le motif de l’intrigue (2)

Nous avons vu précédemment les motifs centrés autour du personnage principal. Il existe cependant d’autres motifs tels que ceux qui se fondent sur l’antagonisme ou essentiellement sur l’action.

Le motif de l’intrigue centré sur l’antagonisme

Les forces antagonistes manœuvrent l’histoire. Cela ne signifie pas que nous ayons affaire à un héros passif. Mais simplement qu’il semble incompétent devant des événements qui apparaissent irrésistibles.

Lorsque l’intrigue est fondamentalement le fait de l’antagoniste, l’accent est volontairement mis sur le méchant de l’histoire. En fait, dans toutes les fictions, il devrait être accordé une place mémorable au personnage de l’antagonisme. Au moins autant qu’à celle du héros, si ce n’est plus.

Le héros menacé

Un protagoniste innocent devient la cible d’une force machiavélique qui n’aura de cesse de le détruire (littéralement ou métaphoriquement).
L’intrigue se développe autour des tentatives de plus en plus difficiles pour le héros d’échapper à cette force antagoniste. Cela se solde régulièrement par des échecs jusqu’au moment où le héros décide de contre-attaquer et de vaincre son ennemi.

Quelques exemples :

  • Sarah Connor dans Terminator
  • Jason Bourne dans La mémoire dans la peau
  • Llewelyn Moss dans No Country for Old Men qui doit d’abord fuir devant Anton Chigurh et le shérif Bell
  • On peut même rajouter à ce motif Boulevard du Crépuscule dans lequel Joe Gillis est poursuivi par la folie de Norma Desmond.
Un ennemi sans concession

Cette fois, le héros est indirectement menacé par la force antagoniste. C’est la situation dans laquelle il se trouve  qui est tourmentée par l’antagoniste comme dans le cas d’une pandémie par exemple. Le héros est en danger comme tout ce qui l’entoure.

Le héros cherche donc à échapper ou à détruire cet ennemi mais il est refoulé par le refus de toute concession ou compromission de ce dernier.
Cette force antagoniste fait le mal parce que c’est dans sa nature. Lorsque le héros est menacé, il est le point de mire de l’antagoniste. Un ennemi sans concession ne vise pas particulièrement le héros. Il tue, corrompt ou pervertit tout ce qu’il rencontre.

Le Terminator cherche à tuer Sarah Connor et seulement elle. Lorsque d’autres personnages se mettent en travers de son chemin, il les abat.
Michael Meyers de Halloween tue à l’aveugle. Aucun personnage n’est particulièrement sa cible. Il est une menace globale à laquelle il doit être mis fin.

Quelques exemples :

  • Usual Suspects où le mythique Keyser Söze plane sur toute l’histoire.
  • Casino de Martin Scorsese et Nicholas Pileggi, adapté du roman Casino : amour et honneur à Las Vegas de ce dernier où cet ennemi sans concession est le Tangiers qui mènera tous les personnages à la déchéance et sans rédemption possible.
  • Alien où la nature implacable du monstre est bien mise en évidence.
L’action au centre de l’intrigue
Une destination à atteindre

Le protagoniste doit se rendre à un endroit précis pour y accomplir quelque chose. La majeure partie de l’intrigue se construit autour du voyage lui-même. C’est pourquoi les obstacles qui sont jetés sous les pas du héros n’ont d’autres raisons que de ralentir ou de stopper sa progression.
Les réponses du héros pour les surmonter concluent ainsi chacune de ces étapes qui sont autant d’opportunités d’aller à la découverte de lui-même.

Quelques exemples :

  • Le Seigneur des Anneaux : La communauté de l’Anneau
  • Dans Apocalypse Now, c’est la mission du capitaine Willard de retrouver et d’exécuter le colonel Kurtz.
  • Little Miss Sunshine
  • Le monde de Nemo où Marin et Dory sont à la recherche de Nemo.
Une quête

Lorsqu’il doit atteindre une certaine destination, le protagoniste n’est pas foncièrement dans une quête. Mais lorsqu’il est donné au héros une simple tâche et qu’à chaque point majeur de l’histoire, celui-ci rencontre des échecs ou des contretemps, une véritable quête commence à poindre.

Quelques exemples :

  • Dans Il faut sauver le soldat Ryan, Miller et son escouade sont en quête du soldat Ryan.
    Et même si Ryan refuse de rejoindre l’escouade de Miller pour rester avec ceux qui sont désormais ses frères d’armes, les relations qui unissent Miller et ses hommes sont le véritable objet de la quête.
  • Very bad trip où la quête pour la vérité est peut-être une quête personnelle pour la vérité de chacun des quatre amis.
Des complications sans fin

Le protagoniste reçoit une tâche à accomplir qui semble apparemment simple. Nous sommes dans le même cas de figure qu’une destination à atteindre. Mais la destination est un motif qui reste relativement constant du début à la fin de l’intrigue.
L’objectif du héros (donc son problème) est de parvenir à cette destination.

Lorsque cette tâche devient au fur et à mesure du déroulement de l’intrigue quelque chose de bien plus grand et de bien plus complexe, c’est comme si cette tâche assignée au héros au début de l’histoire n’était que la partie émergée du problème qui se découvre progressivement.
A chaque point majeur de l’histoire, soit le protagoniste apprend de nouvelles informations qui vont complexifier le problème (à la fois pour lui et le lecteur qui s’aperçoivent qu’il y a un mystère à résoudre dans cette histoire), soit un événement extérieur vient compliquer le problème laissant apparaître qu’il y a quelque chose de plus alambiqué à l’œuvre.

Quelques exemples :

  • Chinatown où le motif de l’intrigue participe totalement au genre et au ton de l’histoire.
  • Retour vers le futur où Marty et le Doc rencontrent obstacle sur obstacle qui remettent en cause leur objectif et leur font comprendre que ce contre quoi ils luttent les dépasse tous deux.
  • The Big Lebowski dont l’intrigue se déplace à travers différents endroits de Los Angeles et différentes classes sociales. Cette histoire est aussi fondée sur une sorte de mystère à résoudre.
Le coup pour coup

Un héros fort est en conflit avec un antagoniste fort. L’intrigue se construit autour de l’opposition directe de ces deux figures centrales de l’histoire.
Lorsqu’un des deux agit, c’est un revers pour l’autre. L’autre alors répond et c’est un revers pour celui qui a commencé.
C’est la démonstration d’un parfait équilibre des forces en présence.

Quelques exemples :

  • Piège de cristal
  • Les aventuriers de l’Arche perdue
  • Nous avons une intrigue similaire dans La soif du mal de Orson Welles, adapté du roman Badge of Evil de Whit Masterson, et du scénario original de Paul Monash.
La chute

Un héros ambitieux cherche à obtenir le succès et la gloire malgré des failles personnelles dans sa personnalité qui le barrent pour atteindre son objectif.
Classiquement, nous assistons à la montée en puissance du personnage luttant pour surmonter les obstacles qui le contrarient dans sa volonté de prestige et de grandeur.

Au point médian de l’histoire qui est habituellement un moment d’inflexion majeure de celle-ci, le protagoniste s’est accompli dans son désir de grandeur. C’est alors qu’il est corrompu (le firmament est une source de tentations formidables) ou bien les défauts inhérents de sa personnalité reprennent le dessus et tout s’écroule autour de lui.

L’intrigue se développe alors en une série de tentatives pour contrer les conditions de sa descente aux enfers. Mais elles échouent toutes en raison de l’incapacité du protagoniste à surmonter ses traits négatifs.
Dans le dénouement, soit le protagoniste rencontre la mort (littéral, symbolique ou métaphorique) soit il abandonne cette position de  réussite.

Quelques exemples :

  • Scarface qui illustre l’ascension violente de Tony Montana avant de connaître une chute tout aussi brutale.
  • Les Affranchis dans lequel Henry sera forcé de vivre la vie normale d’un homme ordinaire. Une vie de plouc comme il le dit lui-même.
  • Une comédie romantique comme (500) jours ensemble adopte ce motif de la chute. La courbe de l’intrigue s’étend de l’euphorie des premiers temps de la relation amoureuse entre Tom et Summer jusqu’à la grisaille des adieux.
La vengeance

L’histoire commence par une trahison et un héros habituellement laissé pour mort (encore une fois, il n’est pas obligé que cette mort soit littérale).
Cette mort annoncée peut être la conséquence d’une perte après la trahison.

Le héros revient donc pour faire justice contre celui ou ceux qui l’ont trahi. Gardez à l’esprit que si la force antagoniste est une entité, il est bon de la représenter au-travers d’un personnage (habituellement désigné comme le méchant de l’histoire).

L’intrigue se scinde en deux parties. La première consiste pour le protagoniste à agir conformément à son désir de justice. A partir du point médian de l’histoire, l’antagoniste prend conscience que le héros représente dorénavant une menace.
Il va donc agir pour contrer les efforts du protagoniste. Et comme le héros et le méchant sont de forces égales, il apparaît que l’intrigue se calque sur celle du coup pour coup.

Quelques exemples :

  • Gladiator
  • Kill Bill
  • Dans Le Parrain 2, nous assistons à la vengeance froide et impitoyable de Michael Corleone envers son frère Fredo. D’ailleurs toute l’histoire est une affaire de traîtrises et de vengeances.
Le refus de se soumettre

Le protagoniste ou un allié de celui-ci existent dans un monde où ils sont traités de manière inéquitable. La source de l’injustice ne vient pas d’un antagoniste désigné mais plutôt d’une autorité (la société dans son ensemble ou une entité quelconque – le système judiciaire, par exemple).

De même l’ordre établi.
Lorsque la majorité, par crainte ou par lâcheté  ou simplement par conviction ou foi, ferme les yeux sur l’évidence d’un autoritarisme prêt à tout pour conserver la prééminence d’une élite et d’un idéal sur le plus grand nombre, l’ordre établi est une menace pour le protagoniste et ses amis.

Le protagoniste va donc agir en sorte que ce monde de l’histoire dans lequel il est jeté le traite lui et ses amis de la manière qu’ils méritent. L’intrigue se déploie autour des obstacles de l’autorité qui voit d’un très mauvais œil les tentatives du héros pour que les choses changent.
Car pour l’autorité, cette sédition orchestrée par le héros risque de détruire ses fondements.

D’autant que chaque obstacle surmonté par le héros le mène à des actions de plus en plus efficaces en la matière. Le refus de se soumettre est souvent l’affaire d’une lutte du pot de terre contre le pot de fer.

Quelques exemples :

  • Braveheart
  • Erin Brockovich, seule contre tous dans lequel Erin découvre une affaire louche et se retrouve seule à lutter contre une organisation qui la dépasse en tous points.
  • Dans Elephant Man, le docteur Treves et Madge Kendal refusent de voir en John Merrick autre chose qu’un monstre. Pour eux, il est un être humain et cette position les met en porte-à-faux avec leur propre entourage.
  • C’est aussi le motif essentiel de l’intrigue des séries télévisées Colony et The Handmaid’s tale.
L’impossible mission

Le protagoniste est chargé d’une mission qu’il accepte volontairement ou bien celle-ci lui est imposée sans qu’il ait son mot à dire. C’est une mission compliquée et complexe qui nécessite habituellement de grands moyens.

Au centre de l’intrigue est la mission elle-même. C’est elle qui rend légitime les personnages mais aussi toute l’histoire. Au point d’ailleurs que l’on retrouve assez souvent une structure relativement prévisible :

  1. Il faut constituer une équipe car l’ampleur de la mission ne permet pas à un individu seul de la mener à bien.
  2. Ensuite vient la préparation de la mission.
  3. L’opération est lancée.
  4. Au cours d’un point majeur pour l’histoire, la succès de la mission est compromis. Parfois, cet événement survient avant que la mission ne soit lancée.
  5. Et lors du climax, la réussite ou l’échec de la mission.

Quelques exemples :

  • Inception
  • Les douze salopards
  • Ocean’s Eleven
L’intrigue fondée sur plusieurs personnages

Plutôt que de se concentrer sur seulement le protagoniste, l’intrigue mettra en avant la relation qui existe entre le protagoniste et un ou plusieurs autres personnages.

La rivalité

Le protagoniste se sent menacé par l’introduction d’un nouveau personnage ou de quelque chose qui vient interférer avec son monde. Mais c’est seulement une menace subjective.  Le protagoniste croit qu’il s’agit d’une menace. Rien, en fait, ne permet de l’affirmer car soit cette menace ne s’est pas encore manifestée, soit elle n’existe que dans l’imagination du protagoniste et ne sera jamais un fait avéré.

Quoi qu’il en soit cependant, le protagoniste agira (c’est la fonction du protagoniste d’agir et de faire avancer l’intrigue) pour affaiblir cette menace qu’il croit deviner dans ce rival.
L’intrigue se développe lorsque les choix du héros ne le mènent qu’à des échecs ou lorsque les événements le persuade à tort ou à raison que la menace perçue se précise.

L’arc dramatique du héros suit une pente descendante car pour parer à cette menace, il commettra des actes de plus en plus immoraux jusqu’à ce que les conséquences de ses actes se retournent contre lui provoquant sa perte ou bien qu’il assimile ses peurs et prenne conscience de l’inanité de son approche.
Dans ce cas, la relation avec son supposé rival sera assainie.

La rivalité fonctionne de manière inverse à l’antihéros. Alors que l’arc dramatique de l’antihéros suit une trajectoire qui tend à le rendre meilleur, la rivalité fait tomber le protagoniste de charybde en Scylla. Une sorte de descente aux enfers où il se rend seul sans que personne ne l’y pousse en fait.

Quelques exemples :

  • Amadeus dans lequel Salieri est le protagoniste.
  • La splendeur des Amberson dans lequel George Minafer conçoit sans trop se l’expliquer une sorte de haine farouche envers Eugene Morgan.
La réconciliation

Deux personnages (dont le protagoniste) entrent en conflit. Classiquement, ces deux personnages attirent la sympathie si ce n’est l’empathie du lecteur sur eux.
Ce lien affectif est important parce ce que ce qui compte dans ce type d’intrigue est le cheminement de la réconciliation. Le lecteur doit se sentir vraiment touché par la distance entre les deux personnages et la question dramatique est bien de savoir s’ils pourront jamais se réconcilier. C’est quelque chose que le lecteur espère de l’histoire.

L’intrigue consiste à jeter ces deux personnages dans une situation où ils devront apprendre à coopérer (en d’autres termes, se découvrir mutuellement) afin de réaliser un but commun.
Les obstacles et les complications testent leur capacité à coopérer forçant les personnages à surmonter leurs conflits interpersonnels avant qu’ils ne puissent espérer un succès quelconque.

Quelques exemples :

  • Rain man
  • Quand Harry rencontre Sally où il aura fallu douze années à Sally et à Harry pour découvrir leur amour.
  • Dans Le Discours d’un Roi, c’est la découverte progressive de l’amitié qui unira le Prince Albert à Lionel Logue.
  • Le temps d’un week-end qui décrit la relation sincère qui s’établira progressivement entre le colonel et Charles.
L’alliance

Deux personnages qui ne se connaissent pas se rencontrent. De cette relation naissante, les deux personnages trouveront un réconfort inattendu. Ensemble, ils trouveront l’aide et la force dont ils ont besoin pour combattre leurs problèmes individuels.

L’intrigue se développe alors que d’autres personnages ou des événements extérieurs aux deux personnages œuvrent pour que ces deux-là se séparent. La réponse sera alors de contrer ces manigances et de maintenir l’alliance.
C’est une intrigue qui sied bien à la romance.

Quelques exemples :

  • Lost in translation
  • Titanic
  • Brodeback Mountain
L’antagoniste est le protagoniste et réciproquement

Une structure complexe où deux figures centrales de l’histoire sont à tour de rôle protagoniste et antagoniste vis-à-vis de l’autre. Ces deux personnages ont un même poids dramatique dans l’histoire. Aucun des deux n’est spécialement désigné comme le méchant de l’histoire.
Simplement, leurs personnalités et leurs biographies s’opposent. Et lorsque l’un des deux est le protagoniste, il a en charge par conséquent de faire avancer l’intrigue mais cela signifie que l’autre personnage devient à ce moment précis son antagoniste.

L’intrigue décrit comment à tour de rôle chacun de ces personnages prend l’initiative et tente d’accomplir ses desseins spécifiques. L’action engagée, les décisions prises menacent ainsi les plans de l’autre.
Le dénouement voit alors soit la victoire de l’un des deux personnages, soit les deux personnages résolvent leurs conflits personnels et s’unissent contre un ennemi commun.

Quelques exemples :

  • Les Infiltrés dans lequel Billy et Colin correspondent à ce motif d’intrigue.
  • Fight Club qui met en place ce motif au-travers du dédoublement de personnalité.
  • Dans Heat, ce motif est très bien orchestré entre le lieutenant Vincent Hanna et Neil McCauley.
LE MOTIF DE L’INTRIGUE (2)