LA PLANÈTE DES SINGES – SUPRÉMATIE : Corps et âme ★★★★☆

Exigeant et stupéfiant, le nouveau volet de La Planète des singes s’impose comme un modèle de blockbuster.

Si elle s’affirme à la fois en tant que reboot et prequel à la saga d’origine, termes de plus en plus liés à la feignante orientation racoleuse de l’industrie hollywoodienne actuelle, la relecture de La Planète des singes, débutée en 2011 avec l’inattendu Les Origines, s’est imposée comme l’une des franchises les plus respectables de la décennie, par sa manière d’esquiver de nombreux pièges et modes auxquels elle aurait pu succomber. A l’inverse, sa volonté d’écrire l’extinction irrémédiable de la race humaine, tel que nous l’a enseigné le mythique final de 1968, en est venu à surprendre un public désormais accommodé à découvrir des blockbusters uniquement construits sur les cases à cocher d’un cahier des charges aseptisé. Car Matt Reeves, déjà à la barre du deuxième (et brillant) opus a su utiliser tous les moyens à sa disposition pour un récit tout sauf belliciste et à la poursuite du spectaculaire, focalisé sur des êtres et leurs dilemmes dans leur quête pour retarder le plus longtemps possible un affrontement inévitable.

Et alors que ce nouveau volet semble imposer cette guerre que le leader des singes César, esseulé, a tant cherché à fuir, Suprématie va encore plus loin que ses prédécesseurs dans une apocalypse intimiste et déroutante. Mis à part son introduction tétanisante et quelques combats disséminées tout au long du métrage, ce dernier s’avère plutôt avare en action, et préfère à l’habituelle pyrotechnie nous décocher la mâchoire par la normalité qu’il donne à ses effets spéciaux presque dérangeants par leur photoréalisme. Reeves se concentre sur des personnages, des vrais, construits par des situations, par des actes, par des dialogues et des arcs narratifs exigeants qui leur donnent une consistance immédiate. Néanmoins, le cinéaste constate avec humilité que notre suspension consentie d’incrédulité ne pourrait pas être convoquée avec une telle force sans la qualité de la performance capture, amenant son film à franchir un cap technologique stupéfiant pour la seule magnificence du jeu habité de ses acteurs, à commencer par un Andy Serkis impérial qui semble imprimer César au fer rouge sur la pellicule.

LA PLANÈTE DES SINGES – SUPRÉMATIE : Corps et âme ★★★★☆

La dichotomie de la saga, qui oppose les humains aux singes, est plus que jamais à lier à une autre scission : celle entre les êtres de chair et de sang, et ceux numériques. Tout comme les films révèlent que les différences entre les deux camps sont plus minces qu’il n’y paraît, Suprématie nous affirme que ses corps générés par ordinateur existent autant que les autres, interagissant réellement dans des décors naturels que la caméra sublime à chaque scène. Derrière ces peaux, ces traits et ces poils parfaitement modélisés, se trouve bien une âme, une âme qui engendre chez le spectateur des émotions à l’égard d’un personnage. Il n’est plus question aujourd’hui d’interroger la nature d’une enveloppe charnelle, et la manière dont le cinéma s’en affranchit permet à un comédien de transcender son art, en pouvant endosser n’importe quel rôle. Matt Reeves l’a bien compris et exploite ainsi sa technologie à des fins thématiques. Sur un scénario qui appuie encore l’évolution de la société simiesque, Suprématie bâtit des ponts intelligents avec le roman de Pierre Boule quand il s’agit d’évoquer la dégénérescence du genre humain. Au sein de son élan nihiliste souvent bouleversant, il pose la question de notre spécificité, de notre identité et de son sens.

C’est aussi pour cela que le cinéaste n’hésite pas à s’approcher de ses singes pour capter leur humanité, et ainsi nous troubler en constatant que nous préférons les voir gagner la bataille pour le survie sur les membres de notre propre espèce. Et en ces temps où le blockbuster s’entiche de protagonistes extra-humains, La Planète des singes nous rappelle que leur concept n’excuse en rien la misanthropie, voire la déshumanisation à laquelle ils peuvent recourir, et qui empêchent toute implication du public. Après tout, le transfert des caractéristiques de l’Homme dans une autre espèce, pensé pour rafraîchir notre regard sur ce que nous sommes, de nos plus grandes qualités à nos pires défauts, est au cœur du postulat de l’œuvre original.

Cependant, Matt Reeves aurait pu se contenter d’exploiter le caractère métaphorique de l’univers, quitte à limiter l’immersion de son spectateur. En 2017, il serait aisé de trouver La Planète des singes quelque peu désuet, et cette nouvelle trilogie aurait pu sombrer dans le grotesque en s’accordant à la rationalisation stérile dans laquelle se perd Hollywood. Pourtant, son cinéaste évite cet écueil par sa sincérité, son amour évident pour le matériau d’origine et son intégrité dans le renouvellement de la franchise, qui relève d’un véritable travail d’équilibriste. Reeves assume le premier degré de l’entreprise, et le confirme en choisissant d’amener César et sa troupe dans des genres surprenants, croisant le film de guerre attendu avec du pur western, et même de l’escape movie. Et si l’on pardonnera les quelques longueurs du long-métrage dans son deuxième acte, ou encore l’imagerie biblique parfois trop appuyée (bien qu’elle interroge avec pertinence le rôle de son héros en tant que prophète), c’est tout simplement parce que Suprématie se révèle virtuose, tout particulièrement dans la majesté de sa mise en scène, mêlant avec brio l’intime et l’épique. A l’aide d’une scénographie exemplaire et d’une photographie de toute beauté, le réalisateur confronte les corps de ses protagonistes dans un espace donné, construit des rapports de force prenants par le placement de sa caméra, la puissance de ses dialogues, mais surtout en s’attardant sur des regards, des regards qui permettent d’aller au-delà de la dimension palpable et concrète du film, au-delà du rapport direct des personnages à leur survie, et ainsi transcender leur physicalité pour ne conserver à l’écran qu’une seule chose : leur âme.

Réalisé par Matt Reeves, avec Andy Serkis, Woody Harrelson, Steve Zahn

Sortie le 2 août 2017.