Interview : Amat Escalante (La Région sauvage)

Alors que La Région Sauvage écume les festivals, Amat Escalante a pris quelques minutes pour nous parler de son oeuvre.

Nous avions pu découvrir La Région sauvage (ou La Region Salvaje en V.O) à l'Etrange Festival, en septembre. Son réalisateur (et accessoirement lauréat du prix de la mise en scène à Cannes 2013, pour Heli), est repassé sur Paris à l'occasion des Rencontres cinématographiques Viva Mexico, où le film, fraîchement primé à Venise, était également projeté. Il nous a accordé un interview avec au programme la conception d'un monstre tentaculaire, le tabou de l'homosexualité ou encore sa rencontre improbable avec Gaspar Noé.

L'entretien a été réalisé par Frederic et Manon.

Après un début de carrière plutôt très ancré dans le réel, d'où est venu cette envie de fantastique dans La Région sauvage ?

J'ai toujours aimé les films d'horreur et le cinéma de genre. Même quand je tourne quelque chose de très ancré dans la réalité, je le tourne comme s'il s'agissait d'un film d'horreur. Le processus pour ce film a donc été très naturel, pour aller dans ce sens. J'ai écrit deux versions du scénario où il n'y avait pas cet élément effrayant mais ça ne convenait pas, j'ai donc du aller chercher quelque chose. La réalité ne donnait pas la réponse recherchée à cette situation donc j'ai du chercher cette créature, qui m'a apporté ce dont j'avais besoin. Cet élément prenait tout un sens, à donner ce que les personnages cherchaient et désiraient.

Le film peut évoquer une certaine influence du hentaï, c'est quelque chose que vous aviez en tête en le faisait ou c'est un hasard ? Avez-vous songé aux estampes d'Hokuzai ou encore au travail récent de Daikichi Amano ?

Je n'ai jamais entendu parler de ces artistes mais je suis très fan, depuis toujours, d'un photographe japonais qui s'appelle Araki [Nobuyoshi Araki]. Ce n'est pas une influence très directe mais à vrai dire, on ne sait jamais trop d'où viennent les influences. Pour en revenir à la première question, non, ce n'est pas le cas mais après avoir vu le film, plusieurs critiques ont fait allusion au hentai et m'ont montré des images sexuelles avec des tentacules etc. Mais ce n'est pas quelque chose que j'ai directement trouvé moi-même. C'est qui ce qui existe autour qui est arrivé vers moi d'une certaine façon, même indirecte. Ce photographe Araki a par exemple des photos avec une pieuvres et des jambes... Il a peut-être lui-même été influencé par les artistes que vous avez cité.

L'homosexualité du personnage du frère a-t-elle été imaginé dès le début ? Y avait-il une volonté de briser un tabou assez injuste ?

Oui, l'origine de ce projet vient justement de là. J'ai lu dans un journal local, une colonne intitulée " petit pd noyé ", c'était l'histoire d'un infirmier qui avait passé sa vie à aider les autres pour finir noyer. C'était étonnant de lire ça dans le journal, c'était une représentation de la société où personne ne va remettre en question la façon de traiter cette personne. Pour moi, c'est génial si le film parvient à toucher ce tabou et frappe, par le " scandale ", ces gens qui ont ce genre de mentalités.

C'était important que la créature n'ait pas d'orientation sexuelle ? Qu'elle s'intéresse autant aux hommes qu'aux femmes ?

Oui, c'était intentionnel de faire quelque chose qui n'ait pas d'éléments purement masculin et qui puisse attirer les hommes comme les femmes. Cette créature a aussi quelque chose qui n'est pas seulement sexuel mais aussi sensuel, ce n'est pas seulement un prédateur mais quelque chose fait pour attirer tout le monde.

Comment s'est passé la conception de la créature ?

Ca s'est fait au fil des rendez-vous avec les dessinateurs danois. C'était un vrai challenge de faire quelque chose d'original, même si cette créature est inspirée de d'autres créatures du cinéma, comme celle de Possession, d'Andrej Zulawski. Elle est à peu près de la même nature.

Gaspar Noé qui a présenté le film à l'Etrange Festival, a parlé des deux versions du film, très différentes. Comment connaissez-vous Gaspar Noé, comment s'est effectué la rencontre et qu'est-ce qui a été apporté en plus, modifié entre les deux versions ?

J'ai découvert le cinéma de Gaspar Noé quand je préparais mon premier film, j'ai d'abord vu Irréversible puis j'ai découvert le reste de sa filmographie. Ca m'a toujours inspiré, c'est quelque chose qui m'a toujours nourri. J'admire beaucoup la façon dont il réussit personnellement quelque chose à travers son cinéma. Je l'ai croisé, au fil du temps, dans plusieurs festivals, à Guanajuato, d'où je suis originaire, à Marrakech, à Cannes, mais c'était toujours des rencontres très brèves. J'ai su, par des gens du Pacte [ la société de production, NDLR], qu'il avait une certaine curiosité pour mon film. Puis j'ai fini La Region Salvaje à Paris et un jour, alors que je rentrais du travail je me suis retrouvé face à Gaspar Noé en sortant du métro. Je lui ai dit que je venais de finir ce film et je lui ai proposé de le voir. On est allé dans son studio de montage où il a vu le film et il a bien aimé. C'est quelque chose qui s'est fait de façon très naturelle avec une grande simplicité, en sortant d'un métro de banlieue, à Mairie de Clichy... C'était comme si le destin avait joué pour cette rencontre.

C'est la première version du film que Gaspar a vu, après je suis retourné au Mexique pour ajouter quelques séquences et c'est celle qu'il a finalement présenté. On avait beaucoup de connaissances en commun et je suis aussi un admirateur du format utilisé par Gaspar Noé, le scope super 16, qui a été inventé ici à Paris, par Thierry Tronchet, un spécialiste en optique. Il a inventé ce système optique anamorphique utilisé par Gaspar Noé, et, techniquement, je suis entré comme ça dans son monde. Avant de connaître Gaspar je connaissais aussi sa compagne, la réalisatrice Lucile Hadzihalilovic. Je m'identifie beaucoup à la façon dont Lucile tourne la réalité, avec toujours beaucoup de mystère. Innocence et sont des films que j'aime beaucoup.

Nous remercions Viva Mexico, leur interprète et Amat Escalante cet interview.

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