[Cannes 2017] La Prise de la Pastille

Par Boustoune

Ce Festival de Cannes ne restera pas dans les annales”. “Non mais quelle misère! La soirée anniversaire est une blague, les festivités sont nulles”.
Ah, “ce film, c’est une purge!”, “quel scénario grotesque”, “quelle mise en scène tape-à-l’oeil”, “quels ringards ces acteurs”, et “ce chef-op, il est aveugle?”. “C’est larmoyant!”,c’est chiant!”, “it’s a piece of shit”, “Che vergogna! “.
Non, vraiment, “la sélection de cette année est plus que médiocre”. “Les films en compétition étaient tous nuls”, “les grands cinéastes se sont tous loupés” et “il n’y a eu aucune révélation”.  “Un Certain Regard, c’est Cinémas du Monde, en plus soporifique”, mais “c’est quand même mille fois mieux que la compétition”, c’est dire le niveau… “La Quinzaine des réalisateurs, c’est très pauvre cette année”, “La Semaine de la Critique? Je n’y vais plus depuis des lustres, car il y a toujours un risque de tomber sur un navet, et puis la salle Miramar, ce n’est pas possible”.
Et puis, “il fait trop chaud dans la file d’attente, en plein cagnard!”, “il fait trop froid dans cette salle, avec la clim’ à fond!”. “Les contrôles de sécurité, c’est n’importe quoi!”, “ils se sont organisés comme des manches”…
Quand même, “le Festival de Cannes, c’était mieux avant!”. “Ca fait bien cinq ans que les films sont nuls!” et “y a plus d’ambiance…

AAAAAAaaaaaaaahhhhh! Ca suffit!

Non, mais ras-le-bol de tous ces râleurs qui passent toujours un mauvais festival. Chaque année, c’est la même rengaine, ces blasés n’aiment aucun film, s’ennuient à mourir, pestent contre tout et contre tous. Ils jurent qu’on ne les y reprendra plus. Et à l’édition suivant, ils sont toujours là, prêts à cracher leur venin. Et leur humeur ne dépend pas que du climat de la Côte d’Azur. On retrouve souvent les mêmes à Berlin et à Venise, où ils font les mêmes commentaires acerbes sur la sélection. Et le pire, c’est que ce sont souvent ceux qui bénéficient des meilleures accréditations qui râlent le plus fort !


Il faut savoir qu’au Festival de Cannes, il y a une hiérarchie des accréditations. C’est une façon de trier les 45 000 festivaliers qui ont fait le déplacement sur la Croisette. Il y a d’abord les badges du Marché du Film, pour les sociétés de distribution. Ils ont des séances qui leur sont exclusivement réservées et ils accèdent à la plupart des séances de manière prioritaire, du moins pour les badges munis d’un bandeau. Normal, l’accréditation est payant et coûte au moins un bras. Pour certaines séances, les “simples” badges “Marché du Film” sont reversés avec les badges “Festival”, attribués aux professionnels ou aux exploitants de salles, qui constituent la “middle class” cannoise.
Tout en bas de l’échelle, on trouve les “Cinéphiles”, qui n’ont pas accès à grand chose, si ce n’est, dans la limite des places disponibles, à Cannes Classics et à quelques séances officielles. Et pire, les “sans badges”, ces mendiants qui font la manche devant le palais, espérant pouvoir trouver une invitation pour une projection. On ne se moque pas, on a connu ça, nous aussi, quand nous étions encore jeunes et fous…

Et puis, il y a la presse, qui ne représente que 1/10ème des accrédités, mais est très chouchoutée par les organisateurs. Ceci n’empêche pas d’y trouver les plus critiques (ça c’est normal), les plus grands râleurs, les plus blasés…
Au sein de cette classe, on dénombre six sous-classes : les “Blancs”, les VIP de la presse internationale, qui sont ultra prioritaires partout, les “Roses avec pastille”, qui sont un rang en-dessous, mais n’ont pas trop de problème à assister aux projections, puis les “Roses” simples et les “Bleus”, qui doivent faire un petit peu la queue et ne sont pas toujours certains d’assister aux projections spécifiques pour la presse. Et enfin, il y a les “Jaunes”, c’est-à-dire les petites radios, les critiques subalternes des grands média et les petits sites web comme Angles de vue, que l’on mélange avec les “Oranges”, les photographes, qui généralement, ne voient pas les films, trop occupés à trier les milliers de clichés pris par jour. Dans cette catégorie, on fait la queue longtemps pour tenter d’assister aux séances presse du soir, et souvent en vain. Par exemple, pour les deux projections de Happy end de Michael Haneke, accessibles uniquement aux catégories supérieures qui ont dans leur ensemble, devinez, détesté le film.
A notre tour de hurler “Quelle honte!”. Et le pire dans tout ça, c’est que dans l’esprit des accrédités “Festival”, ce sont les “Jaunes”, les “blogueurs”, les “faux journalistes” qui leur volent “leurs” places… Sans parler des “Blancs” qui arrivent à la dernière minute à une séance complète et accusent eux aussi les catégories “inférieures” de leur avoir escamoté leur petit privilège. Non mais on rêve… Ah! Ca ira, ça ira… Il y a de quoi avoir envie de faire la révolution au Palais. Nous voilà en smoking mais sans culottes, partis pour prendre La Pastille!


Non, en fait, nous n’allons pas nous plaindre. Parce que c’est le jeu de la hiérarchie cannoise. 4500 accrédités pour des salles faisant entre 280 et 1068 places, ça ne permet pas de satisfaire tout le monde. Il est nécessaire d’établir des priorités de passage. On comprend que les grands média aient un besoin vital de voir les oeuvres pour en parler dans leurs éditions du lendemain, que les journalistes autorisés à interviewer les stars ou les cinéastes doivent voir le film avant l’entretien – c’est mieux et ça évite de poser des questions bateaux, même en bord de mer.
Et puis, si nous sommes du “menu fretin” dans cette catégorie professionnelle, nous avons la chance de bénéficier d’un accès privilégié à la plupart des autres séances, celles estampillées “presse” au Grand Théâtre Lumière, à toutes celles de la section Un Regard et de la Semaine de la Critique, à presque toutes les projections de la Quinzaine des Réalisateurs, et nous avons même un quota de places prioritaires pour les séances du lendemain. Par ailleurs, les journalistes bénéficient d’espaces aménagés pour travailler ou se reposer entre deux séances, dont la nouvelle terrasse de presse, très conviviale.
Il n’y a aucune raison de râler. La vie en “jaune”, c’est déjà la vie en rose. Et la vie en “rose pastille”, c’est encore mieux.

Donc, assez de jérémiades, de commentaires fielleux, de discours négatifs! Ca suffit!
Si vous ne prenez plus aucun plaisir à assister au Festival de Cannes, ne venez plus! Laissez la place à d’autres journalistes qui n’ont pas la chance d’être accrédités, à des jeunes critiques qui découvriront, émerveillés, l’ambiance de la Croisette, transformée, durant quinze jours, en temple du septième art, du glamour et de l’élégance. Restez chez vous à regarder la télé! Cela permettra à plus de badges “Festival” de voir les films, voire même à quelques badges “Cinéphiles”. Abstenez-vous du déplacement et faites une petite cure de nanars à la place! Vous verrez, l’année d’après, le Festival de Cannes vous aura manqué et vous serez ravis de voir des bons films au Grand Théâtre Lumière… Et si ce n’est toujours pas le cas, pour paraphraser une fameuse réplique de Pierrot le fou : “Allez vous faire foutre!”.