Madame de...

Par Dukefleed
Miroir mon beau miroir...
La comtesse Louise s’ennuie et comble le vide de son existence d’accessoires et de parures qui finiront par lui coûter bien plus cher qu’elle ne l’imagine. Pour compenser ses dettes, elle vend une paire de boucles d’oreilles offertes au lendemain de leurs noces par son mari (Charles Boyer). Elle lui dira les avoir perdues, s’enfonçant dans une spirale de mensonges qui n’épargnera pas le baron Donati (Vittorio De Sica) dont elle s’est violemment éprise. Les boucles passent alors de mains en mains, chaque fois lestées d’un peu plus de passion et de tromperie.Mais la frivole aristocrate n’a visiblement pas retenu la leçon et emporte avec elle les hommes de sa vie dans la valse fatale des apparences qu’elle aura tenté de sauver en vain. L’accessoire anodin s’extraie du décor pour devenir le pivot dramatique d’une narration circulaire, si chère au cinéaste, que seule la ligne droite du duel pourra funestement briser.Le rôle central que joue l’objet témoigne de l’importance de l’artifice dans le cinéma ophulsien. Bien au-delà du goût pour le décorum, il atteste de la primauté du paraître dans une société du vide qui conduit les hommes à leur perte. Le film n’achève-t-il pas sa valse exténuante sur les boucles d’oreilles, enfin immobiles, dans un plan déserté de l’humain ? Le premier plan-séquence, d’une éblouissante maîtrise, donnait corps à son héroïne à travers les artifices. Tandis qu’elle soliloque sur la nécessité de vendre l’un de ses biens, ses mains manipulent des bijoux, caressent des fourrures où se dessine peu à peu son ombre avant que son visage n’apparaisse enfin dans le miroir. Ombre, reflet d’elle-même, Louise est un personnage, un masque bavard qui ne vit qu’en représentation perpétuelle pour séduire à défaut de vivre. Elle n’existe qu’à travers ses fanfreluches et voilettes. Mais Ophuls, homme de théâtre, connaît bien l’importance du verbe et du costume qui, dans la trilogie de la passion qu’il réalise avec Darrieux, menacent à tout moment de révéler le néant ontologique de ses personnages. Darrieux, l’ingénue du cinéma français, la star des comédies romantiques, incarne une prise de conscience de sa vacuité existentielle. Découvrant que sa vie, futilement, ne tourne plus qu’autour d’un malheureux bijou, Louise se laisse gagner par l’inertie. Ses évanouissements ne sont plus la coquetterie de celle qui aime à se donner en spectacle ; ils annoncent la fin tragique d’une existence qui tourne à vide. Et la fin d’une collaboration magnifique entre un « magicien », comme Darrieux appelait Ophuls, et son actrice fétiche, petite fiancée de Paris écervelée à laquelle le cinéaste a donné la consistance du mythe.La mise en scène d’Ophuls vient renforcer son propos. Les mouvements d’appareil, tout en courbe, sont magnifiques de fluidité. Le jeu avec les décors (rideaux, escaliers,…) est au service d’une idée récurrente chez le réalisateur allemand/ la vie est un théâtre, mais un théâtre réel. Qui l’oublie s’y brule les ailes. En conclusion : c’est le récit d’un drame intime autour d’une personnalité frivole, légère et inconséquente qui apprend à ses dépends qu’il est risqué de prendre le monde pour un terrain de jeu… d’où cette parole de Louise : « La femme que j’étais a fait le malheur de celle que je suis devenue ».
Sorti en 1956
Ma note: 15/20