[Berlinale 2017] “Ana, mon amour” de Calin Peter Netzer

Par Boustoune

Quand deux étudiants en lettres tombent amoureux, ils ne se livrent pas à des ébats bestiaux comme leurs voisin d’à-côté. Ils se lancent dans des débats philosophiques sur Nietzsche, le socialisme, le nazisme, et l’aliénation des individus qui se fondent dans un modèle social. Alors forcément, avec leur façon de tout intellectualiser, on se dit que quand ces deux-là vont se mettre en semble, les disputes ne vont pas être simples à gérer. D’autant qu’ils ont déjà, chacun de leur côté, pas mal de problèmes individuels à régler, entre vieux traumas familiaux et angoisses irrationnelles.

On comprend vite qu’Ana (Diana Cavallioti) est en souffrance. Il suffit que Toma (Mircea Postelnicu) lui prodigue la première caresse pour qu’elle se mette subitement à suffoquer, victime d’une grave crise de panique. D’autres suivront, tout aussi violentes, mais cela ne les empêchera pas de former un couple, puis une famille. Toma sacrifiera beaucoup pour s’occuper de son épouse. Il la supportera pendant ses épisodes maniacodépressifs, bien qu’elle refuse de lui parler du mal qui la ronge, il se fâchera avec ses parents, il sera un indéfectible soutien, omniprésent, pour l’aider à remonter la pente et il ira jusqu’à quitter son travail pour elle.
Mais on comprend aussi assez vite, au vu de la construction du récit et sa chronologie fragmentée, que Toma ne va pas bien non plus, puisqu’on le voit sur le divan d’un psychanalyste, quelques années plus tard, si l’on en juge à sa calvitie avancée, loin de la crinière qu’il arborait dans la première scène. Il apparaît que les rôles se sont inversés, qu’Ana a repris le contrôle de sa vie tandis que son mari, lui, s’enfonçait dans la dépression.

Ana, mon amour, le nouveau film de Calin Peter Netzer, est un drame psychologique qui traite des rapports de force autour du couple, de la domination de l’un des conjoints sur l’autre et des conséquences de ce déséquilibre.
Ce n’est pas un sujet très novateur, mais le cinéaste prend le temps de le traiter sous tous les angles, offrant à ses deux comédiens principaux de belles occasions de briller, et il soigne la mise en scène, avec des partis-pris esthétiques et narratifs forts.
Par ailleurs, le film s’enrichit d’un second niveau de lecture, plus politique, à rapprocher du discours philosophique initial et des théories nietzschéennes. Dans une Roumanie ayant connu des années de dictature soviétique, un système communiste paternaliste et protecteur uniquement dans le but d’asseoir le dictateur en place, puis un passage abrupt à l’économie de marché, avec ce que cela suppose d’individualisme, de corruption et de dérives, on retrouve forcément cette idée d’inversion des rôles qui frappe le couple formé par Ana et Toma.