Intrigue : au cœur de la poursuite

Par William Potillion @scenarmag

Chasseur ou chassé, il y a une même excitation à l’œuvre. Il y a quelque chose de fondamentalement excitant à tenter de trouver ce qui se cache.

Et pour celui qui est poursuivi, déjouer les intentions du chasseur procure un sentiment de puissance rare.
La prémisse fondamentale d’une intrigue fondée sur une poursuite est qu’une personne en chasse une autre.
Deux personnages sont centraux à l’histoire : celui qui poursuit et celui qui est poursuivi. Dans une telle intrigue, il semble que la poursuite elle-même soit plus importante que ceux qui y prennent part.

Une structure relativement simple

La situation est généralement établie rapidement. Cela permet de mettre en place une ligne de conduite pour la poursuite. L’antagoniste et le protagoniste seront rapidement identifiés.

Les motivations de cette poursuite seront aussi clairement explicitées.
Et bien souvent, ce n’est pas le héros qui poursuit le méchant de l’histoire. C’est même assez souvent le contraire.

Au cours du premier acte, les enjeux de cette poursuite devront être clairs dans l’esprit du lecteur. Ce peut être une question de vie ou de mort, une incarcération ou bien un mariage…

Et pour lancer la poursuite (autrement dit l’intrigue), il vous faudra un incident déclencheur. Car il est rare que la poursuite soit déjà engagée lorsque l’histoire débute.

De nombreux rebondissements

Tout comme dans le genre horrifique ou le fantastique globalement, une poursuite nécessite de nombreux rebondissements.
Car il faut maintenir le lecteur dans la poursuite.
Et les retournements de situation sont une bonne astuce dramatique pour conserver son intérêt.

La dernière phase dramatique d’une poursuite concerne son dénouement.
Le poursuivi est-il rattrapé ? Réussira-t-il à s’échapper ?

Un très bel exemple de poursuite est Duel de Spielberg écrit par Richard Matheson. David Mann est pourchassé sans merci par un Peterbilt 281, un poids lourd redoutable.
Nous ne saurons jamais qui est au volant du poids lourd, ni ce qui le motive vraiment. On en conçoit une figure démoniaque mue seulement par pure cruauté.

D’ailleurs, doit-on trouver impérativement une raison d’être au mal ? Il est là, tout simplement. Et l’excitation de cette course-poursuite suffit amplement à satisfaire le lecteur. Et nous apprécions aussi de voir comment David échappe à son poursuivant.

Quelle que soit l’issue que l’auteur réserve à une poursuite, cette problématique s’avère en fin de compte secondaire puisque la seule chose qui importe, c’est la poursuite en elle-même.
Cette poursuite fait l’histoire.

Les personnages sont définis par la poursuite.

Le chasseur veut piéger sa proie et le poursuivi cherche à éviter la capture. Le motif est relativement simple. L’auteur doit simplement faire en sorte d’insuffler suffisamment d’énergie dans cette chasse pour ne pas ennuyer le lecteur.

Ces deux personnages cruciaux pour l’intrigue sont définis par la poursuite. Et le lecteur s’attend à de l’action, à des esquives et à des ruses. Surtout lorsque le poursuivant est très proche de sa cible.

D’ailleurs, il est important de conserver cette proximité entre les deux personnages. La proximité a toujours causé de la tension. Usez-en si les circonstances s’y prêtent.
Les moments les plus intenses sont ceux où la capture semble inévitable. Et puis alors que tout semble perdu, un événement extérieur ou bien le poursuivi lui-même, font qu’il échappe à se faire prendre dans les rets  de son poursuivant.

Seule compte la poursuite

La poursuite est ce qui fait l’intérêt de l’histoire. Mais comme à l’accoutumée, ce qui la rendra inoubliable, ce sont ses personnages.
Que serait A la poursuite d’Octobre Rouge si les personnages n’assumaient pas une telle présence dans cette histoire ?

Et réciproquement.
Si la qualité de cette poursuite n’avait pas été expressément recherchée par les auteurs, s’ils s’étaient contentés de clichés ou de rebondissements standards, l’excitation de cette chasse, que le lecteur exige, n’aurait pas été au rendez-vous.

Le motif d’une poursuite est simple et puissant et il convoque des émotions simples et puissantes. Mais pour qu’il fonctionne à chaque tentative, il ne faut pas emmener le lecteur vers des territoires qui lui sont trop familiers.
Pour qu’il s’implique dans l’histoire, il lui faut une situation relativement innovante.

L’imprévisibilité, gage de réussite

Une intrigue fondée sur la poursuite doit être imprédictible. Ce qui ne  signifie pas que les événements fortuits y ont droit de cité.

Les choses ne doivent pas paraître évidentes. Les rebondissements doivent être nombreux afin de dérouter le lecteur.
Bien sûr, vous ne pourrez échapper vous-mêmes à ce que le lecteur se façonne certaines attentes et qu’il lui semble pour lui évident qu’un certain événement va se produire.

Néanmoins, autant vous devriez satisfaire cette attente du lecteur (pour ne pas aller à la rencontre de sa frustration), autant lui donner l’événement attendu mais en le tournant d’une manière originale (à laquelle il ne s’attend pas).

Vous ajoutez ainsi une touche d’originalité à une vieille recette éprouvée. C’est aussi très satisfaisant pour l’auteur.

Passons à l’aspect pratique avec quelques exemples :

Les plus grandes scènes de poursuite suivent les mêmes recettes ou du moins utilisent les mêmes ingrédients.

Sin City de Frank Miller

Parmi les personnages de Sin City se trouve Marv. Marv poursuit une quête de vengeance. Il est à la recherche de l’assassin de Goldie.
Lorsque Marv s’approche de la ferme où réside le maître d’œuvre de la mort de Goldie, il est d’abord attaqué par un loup féroce dont il se défait relativement facilement.

Mais les auteurs devait alors introduire Kevin. Cet être infâme protégé par le véritable antagoniste Roark.
Kevin est un cannibale qui se bat, d’ailleurs, comme un animal. Et alors que cette victoire facile sur le loup proposait Marv à se rapprocher avec succès de Kevin, des griffes acérées lui lacèrent les yeux.

Une double intention est à l’œuvre ici. Non seulement, Kevin est introduit dans l’histoire avec tout ce qui le caractérise (les personnages de Frank Miller sont habituellement des archétypes exacerbés) mais aussi la proximité entre le poursuivant (Marv) et le poursuivi (Kevin) joue en défaveur de Marv.

Car Marv ne pouvait raisonnablement se défaire de Kevin dès leur première rencontre.

Le mariage de mon meilleur ami de Ronald Bass

Pendant toute l’histoire, Julianne est à la poursuite de Michael. Mais depuis qu’elle a réalisé qu’elle avait de vrais sentiments envers Michael, Julianne échoue à le rapprocher d’elle. Ses échecs perpétuels sont la matière de l’intrigue.

Quelle que soit la forme que vous envisagez de donner à la poursuite, les personnages et leurs enjeux doivent être établis rapidement. Il est ainsi évident que Kim (la future mariée) est l’antagoniste de Julianne qui s’affrontent toutes deux sur l’objet de leur amour : Michael.

 Une question de confinement

Un point important de toute poursuite est qu’au cours de la chasse, le poursuivi se retrouve dans une impasse.

La raison en incombe à la sacro-sainte tension dramatique. Plus les opposants seront proches, et plus la scène sera intense.
Cela est particulièrement bien mis en évidence dans la franchise Alien.

Quel que soit l’endroit où Ripley se trouve, il ne lui est donné aucun espace pour fuir. Forcez vos scènes au point de claustrophobie si vous espérez atteindre votre lecteur émotionnellement.

Par ailleurs, si les possibilités de mouvement du héros sont trop réduites (afin de gagner en tension), un excès de limitations nuit à l’action. Prenez exemple sur Le crime de l’Orient-Express. Les personnages sont limités par le train qu’ils ne peuvent quitter.

Mais à l’intérieur de cet espace forcément limité, ils ont suffisamment d’endroits pour se mouvoir, se cacher et procéder à toutes les actions nécessaires.

Vos personnages ont besoin de liberté. Ils sont ce qu’ils font. Si vous les emprisonnez dans des espaces minuscules, vous leur barrez toutes possibilités d’action.

En conclusion :
Dans une intrigue où une poursuite prédomine, l’accent doit être mis sur cette dernière.

Cela ne signifie pas pour autant que vous pouvez utiliser des stéréotypes.
Seulement vos personnages s’effacent au profit de la poursuite. Vous pouvez toujours développer leurs personnalités dans ces moments où lecteur et personnages doivent reprendre leur souffle.
La poursuite est par ailleurs avant tout un motif d’action.

L’enjeu pour celui qui est chassé doit être sérieux et pertinent.

S’il se fait attraper, il peut risquer jusqu’à sa vie. Romance et comédie n’échappe pas à cet impératif narratif.

Le poursuivant doit être capable de rejoindre le poursuivi.

Il faut que celui qui chasse ait de bonnes chances d’atteindre sa proie. Il se peut même qu’il puisse la capturer même momentanément. C’est d’ailleurs toujours un rebondissement intéressant au cours d’une intrigue.
La proximité doit être un motif permanent dans une poursuite. Le danger ajoute toujours de la tension.

Les moments de tension les plus intenses devraient se produire dans des espaces confinés.

Si votre héros se retrouve coincé au fond d’une impasse et que le danger se fait de plus en présent, réservez-lui tout de même une bouche d’égout pour qu’il puisse s’échapper (si telle est l’intention de la scène).

Structurellement parlant, dès le premier acte, les conditions de la poursuite seront établies clairement et distinctement pour le lecteur.
Les enjeux seront clairement définis et un incident déclencheur pertinent doit débuter la chasse.

Afin de compléter la lecture de cet article, nous vous conseillons 
INTRIGUE : LA POURSUITE