Premier Contact, la SF contemplative.

Par Lakshmiz

- en VO- est le dernier film du Québécois Denis Villeneuve. Celui-là même qui vient de terminer Bladerunner 2049, la suite tant attendue du chef-d'oeuvre de Ridley Scott. Celui-là qui nous a déjà offert l'adaptation d', pièce du dramaturge Wajdi Mouawad, , thriller désespéré avec Hugh Jackman, l'envoûtant , dont nous avons déjà parlé ici, et l'asphyxiant porté par une grande Emily Blunt. Voilà que Denis Villeneuve nous revient dans un genre nouveau pour lui, la science-fiction. Premier Contact s'ouvre avec l'arrivée de douze gigantesques vaisseaux extraterrestres à différents endroits du globe. Pour comprendre la raison de leur présence, le gouvernement américain dépêche Louise Banks, une linguiste jouée par Amy Adams, et Ian Donnelly, un physicien interprété par Jeremy Renner, à la tête d'équipes d'experts. Pour lever le voile sur la situation et tenter d'établir un dialogue, Louise va devoir se mettre en danger et prendre une décision qui affectera sa vie entière... Voilà en quelques lignes la situation que propose ce film surprise, tourné à l'été 2015 dans la plus grande discrétion, avant que le réalisateur ne s'attelle à la suite des aventures de Rick Deckard. passerait presque pour une sorte d'échauffement avant le mastodonte tant attendu. Pour l'intrigue, le scénariste Eric Heisserer s'est appuyé sur la nouvelle de Ted Chiang intitulée L'Histoire de ta vie -que l'on peut notamment retrouver dans le recueil La Tour de Babylone, chez Folio SF. Son travail vient de lui rapporter le prix de la meilleure adaptation aux Critics Choice Awards. La nouvelle de Ted Chiang, quant à elle, avait déjà remporté les prix Nebula et Theodore Sturgeon. Il faut reconnaître que cette histoire a le mérite de traiter le sujet rebattu de l'invasion extraterrestre par un angle inédit. Tout l'objectif de Louise Banks est d'établir les bases d'une communication avec les entités et non de trouver un moyen de les éradiquer, comme le préconisent la plupart des films Hollywoodiens.


Avec Premier Contact Denis Villeneuve choisit une approche plus intellectuelle, humaniste et intimiste de la question. La présence des aliens, les heptapodes, devient l'occasion d'interroger profondément l'Homme et les hommes, leur potentiel et leurs travers. Le réalisateur livre un film profondément ontologique, là où l'on aurait pu s'attendre à un film presque purement spectaculaire. C'est dans un univers fortement masculin -l'armée, le corps professoral universitaire, le milieu des experts- que va évoluer Louise, quasi seule femme du film. Devant les velléités belliqueuses d'une administration masculine, c'est sur elle que repose la possibilité d'une sortie heureuse de cette situation, d'une conciliation. Le réalisateur confie là à Amy Adams un rôle de femme forte, active et complexe. L'actrice se révèle à travers un jeu subtil, grave et cérébral, à l'image de l'atmosphère du film. Loin de céder aux sirènes du cinéma blockbuster, Denis Villeneuve privilégie une mise en scène sobre et élégante, presque aseptisée. Les plans crépusculaires sont magnifiques, à l'image de ceux qu'on a pu voir dans Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow ou même dans Sicario. Au niveau de la réalisation encore, les intertextualités avec Enemy sont nombreuses. Les entités extraterrestres de Louise ne sont pas sans rappeler les araignées qui peuplent l'univers de Jake Gyllenhaal. On retrouve également le goût de Villeneuve pour exprimer visuellement les images de l'inconscient: il aime à faire surgir d'étranges créatures dans la réalité. A ce titre, un des plans de Premier Contact est quasi similaire au plan final d' Enemy. On retrouve également cette fascination pour le gigantisme qui écrase les personnages humains. Mais le réalisateur ne se contente pas de s'auto-citer ou de revisiter son propre travail. De nombreux autres films se devinent derrière les références de Premier Contact , à l'instar du monolithe de 2001 : Odyssée de l'Espace dont on retrouve l'esprit dans les décors du vaisseau spatial.

Côté scénario, et sans vouloir trop déflorer l'intrigue, Premier Contact nous livre une belle réflexion sur le temps, la communication et le savoir. Nous montrant que nos langues et les mots que nous employons conditionnent en partie notre vision d'une situation, d'un problème. Pour ce constat, le scénariste s'est reposé sur l'hypothèse Sapir-Whorf -ou HSW. Cette hypothèse en linguistique et en anthropologie nous explique que la façon dont nous nous représentons le monde dépend de notre langage, c'est-à-dire notre capacité à le décrire. De là naissent conflits d'interprétations, erreurs de traduction et autres quiproquos. Premier Contact explicite le manque de communication à l'ère de l'ultra-communication. Nos téléphones et nos ordinateurs nous harcèlent de sonneries et pourtant nous n'avons jamais eu autant de mal à établir le dialogue pour partager des idées signifiantes. Pour prendre le contre-pied de ce monde high-tech, Denis Villeneuve développe lentement son histoire grâce à une narration lente où chaque information est habilement distillée jusqu'à résolution de l'intrigue. Nous n'entrerons pas plus en avant dans les détails de l'histoire, et nous contenterons de dire que l'histoire personnelle de Louise vient ingénieusement enlacer la trame principale de ce débarquement extraterrestre. En somme, Denis Villeneuve choisit la voie d'une SF intimiste, cérébrale et contemplative. Premier Contact est une vraie expérience cinématographique qui saura vous captiver et vous émouvoir.