ARES : Mauvais étendard ★☆☆☆☆

Un projet ambitieux malheureusement démantelé par son manque d’exigence.

On ne le dit jamais assez, mais le cinéma de genre, et particulièrement de fantastique/SF, a bien du mal à exister en France. Outre l’éternel mépris d’une intelligentsia partie en croisade pour enterrer une culture qui trouve pourtant moult de ses ancrages modernes dans l’Hexagone (à croire qu’elle n’a jamais lu Jules Verne ou vu des films de Georges Méliès), les réalisateurs amoureux de science-fiction ont bien du mal à faire face aux stigmates d’un type de production obsolète, héritée de la Nouvelle Vague et reniant des esthétiques et des méthodes de tournage essentielles au cinéma de l’imaginaire.

Dès lors, quand un distributeur comme Gaumont propose un film tel qu’Arès, on ne peut que s’avérer enthousiaste, d’autant que sur le papier, le long-métrage répond à beaucoup d’envies qui manquent tant en France. Outre son concept alléchant (en 2035, alors que l’État a été racheté par des sociétés privées, un changement de la Constitution autorise quiconque à utiliser son corps comme il l’entend, ce qui permet à des laboratoires pharmaceutiques d’expérimenter sur de nombreux cobayes, malgré les décès), le projet ose utiliser Paris comme terrain de jeu auquel il donne de légères pointes d’éléments futuristes à la Blade Runner (des écrans sont rajoutés sur la Tour Eiffel, et les rues sont agrémentées de quelques néons). Cela peut paraître normal mais le cinéma français a bien des difficultés à exploiter l’aura mythologique et symbolique de sa capitale, qui lui offre pourtant de belles possibilités sur lesquelles les étrangers n’hésitent pas à se jeter (on peut récemment citer Catacombes dans le domaine de l’horreur ou encore Bastille Day pour le film d’action). Voir ainsi la ville des Lumières (enfin) transformée en représentation d’une dystopie fait rudement plaisir, bien que l’idée ne soit jamais pleinement exploitée.

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Et cette critique pourrait être énoncée sur chaque élément qui constitue Arès, tant le film s’attelle à annihiler ses ambitions à chaque scène et à chaque arc narratif. Malgré sa courte durée d’une heure vingt, le métrage semble à la fois étirer et précipiter ses enjeux. L’absence de scénographie, couplée à un scénario qui prend rarement la peine de faire des séquences de plus d’une minute, construit un sentiment de frustration constant, d’autant plus grand qu’il concerne une œuvre qui sonnait comme une touche d’espoir dans le paysage cinématographique français, et que l’on rêvait de pouvoir défendre. Certains ne s’en sont d’ailleurs pas privés (et comment les blâmer ?), arguant que les coutures évidentes du film sont dues à son faible budget, qui ont empêché le cinéaste Jean-Patrick Benes de pleinement donner corps à sa vision du projet.

L’argument est valable, mais il n’excuse pas la nullité abyssale du découpage technique, et tout particulièrement dans le cœur de son concept, qui s’attarde sur un sport de combat à la mode façon MMA où chaque joueur, dopé, sert de publicité à un laboratoire pharmaceutique. Bourrées de gros plans en shaky cam montés par un épileptique, les scènes d’action sont aussi peu excitantes qu’elles révèlent le principal défaut d’Arès : celui de confondre système D et caches-misère. La suggestion et le hors-champ sont bien évidemment des outils importants pour un réalisateur, mais ils ne doivent en aucun cas montrer un simple aspect fonctionnel, qui brise inévitablement l’immersion. C’est pourtant le cas ici, prouvant que ce type de productions a avant tout besoin d’un cinéaste inventif a sa barre, capable de faire avec peu sans que nous nous en rendions compte. Nul doute que le script initial avait plus à offrir, mais il est évident que le film aurait nécessité un travail de réécriture plus conséquent, afin d’épurer une narration craquelée d’ellipses vulgaires (la gestion du temps au sein même de certaines scènes est catastrophique) et d’une tendance à vriller dans tous les sens, et ce malgré un sens du détail et quelques fulgurances intéressantes, comme le fait que n’importe qui peut devenir policier pour une journée en signant un simple formulaire.

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Néanmoins, tout comme son héros, combattant déchu auquel on donne une seconde chance grâce à une drogue expérimentale, et qui va devenir l’un des rouages principaux d’une révolution en marche, Arès laisse planer un espoir sur l’envie du cinéma français d’explorer de nouveaux horizons depuis longtemps à sa portée. Il aurait cependant fallu que le projet soit plus solide pour transformer l’essai, et ainsi convaincre même les plus sceptiques du potentiel de la science-fiction dans l’hexagone, genre qui pourrait trouver un nouveau souffle avec l’ADN de l’auteurisme français, et notamment sa dimension très régulièrement politique. En l’état, Arès n’est qu’un pétard mouillé qui en viendrait presque à ce qu’on culpabilise de ne pas l’aimer, d’autant plus qu’il est un nouvel étendard des difficultés pour mettre en place un film de cette ampleur, quand ce n’est pas son sabordage. Qui plus est, son ambition est souvent décelable derrière ses ratés, notamment en ce qui concerne sa production-design inégale qui offre une description crédible et détaillée d’un futur proche que n’aurait pas renié Alfonso Cuaron pour Les Fils de l’homme. Mais reste un manque d’exigence assez exaspérant, probablement dû en partie au fait que ce tâcheron de Louis Leterrier s’est donné le rôle de producteur exécutif de la chose. Entre sa direction d’acteurs à la ramasse et ses multiples incohérences, Arès finit de desservir sa cause et sa hargne, aussi impactante que sa révolution pensée par un adolescent en pleine rédaction d’une nouvelle de SF naze. En bref, une preuve douloureuse que la théorie et la pratique ne vont pas toujours de pair.

Réalisé par Jean-Patrick Benes, avec Ola Rapace, Micha Lescot, Thierry Hancisse

Sortie le 23 novembre 2016.