Réparer les vivants

Date de sortie 1er novembre 2016

Réparer les vivants


Réalisé par Katell Quillévéré


Avec Tahar Rahim, Emmanuelle Seigner, Anne Dorval,

Kool Shen, Bouli Lanners, Alice Taglioni, Monia Chokri, Karim Leklou


Genre Drame


Production Française

Synopsis

Tout commence au petit jour dans une mer déchaînée avec trois jeunes surfeurs.


Quelques heures plus tard, sur le chemin du retour, c’est l’accident.


Désormais suspendue aux machines dans un hôpital du Havre, la vie de Simon n’est plus qu’un leurre.


Au même moment, à Paris, une femme attend la greffe providentielle qui pourra prolonger sa vie…

Réparer les vivants

Entretien avec la réalisatrice relevé dans le dossier de presse.

D’où est venu le désir d’adapter le roman de Maylis de Kerangal ?


C’est David Thion, co-producteur du film, qui m’a offert Réparer les vivants, quelques jours après sa sortie. Il avait adoré ce livre et pensait qu’il pourrait me plaire. J’avais déjà lu deux autres romans de Maylis de KerangalCorniche Kennedy et Naissance d’un pont – et j’ai dévoré celui-ci en cinq heures, avec une évidence très forte : je devais essayer d’en faire un film.
J’ai fait confiance à la puissance de mon désir, qui était au départ très instinctif, mais dont j’ai mieux compris les raisons profondes pendant l’écriture du scénario. Il entrait une part de catharsis dans ce projet, l’envie de transformer mon propre vécu de l’hôpital. Finalement, cette adaptation m’est tout aussi personnelle que mes films précédents. Et puis ce livre était la promesse d’une aventure cinématographique très forte. À travers le voyage de cet organe, il y avait la possibilité de filmer le corps de manière à la fois anatomique, poétique, métaphysique…
Comment filme-t-on l’intérieur du vivant, que transgresse-t-on en explorant cet endroit-là ?
Ce défi de cinéma, mélangeant trivial et sacré me renvoyait à mon premier long métrage, Un poison violent. Par ailleurs, je venais de découvrir avec fascination The Knick, la série de Soderbergh sur les débuts de la chirurgie. Je trouvais passionnant d’avoir la possibilité de représenter des scènes d’opération.

Comment s’est passée la rencontre avec Maylis de Kerangal et le travail d’adaptation avec Gilles Taurand ?


Obtenir les droits du roman a pris du temps. Nous étions nombreux à être tombés amoureux de ce livre. Finalement, Maylis de Kerangal nous a choisis, Gilles Taurand et moi, et nous a fait confiance. Dès le début, elle ne souhaitait pas écrire avec nous mais elle avait un droit de regard sur l’écriture. À chaque étape importante du scénario, on se retrouvait et on discutait. J’avais à cœur de respecter le roman dans son essence si particulière qui mêle exigence documentaire et puissance émotionnelle, lyrique. Je me sentais aussi très responsable devant l’ambition humaniste de cette histoire. Nous avons avancé très simplement dans l’écriture en nous posant des questions concrètes page après page : qu’est-ce qui est du cinéma ? Qu’est-ce qui ne peut pas en être ? Qu’est-ce qu’on garde, qu’est-ce qu’on enlève ou ajoute ?
Nous savions que c’était dans le travail que le film allait se trouver, présager de ce que serait le scénario était impossible.

Le livre avait été un énorme succès, cela vous intimidait-il ?


J’ai ressenti une pression au moment où Maylis m’a dit oui. J’étais la plus heureuse du monde et en même temps, j’avais un poids sur mes épaules. Heureusement, quand on est rentré dans le travail avec Gilles, cette sensation a commencé à disparaître. J’avais absolument besoin de raconter cette histoire. C’est la nécessité face à cette œuvre qui m’a tenue et m’a permis de ne pas trop avoir peur. Il entrait aussi sans doute beaucoup d’inconscience. Et tant mieux, sinon tu n’avances pas. Et puis je fabrique mes films avec des gens très proches de moi. Quand je les retrouve, j’ai l’impression d’être en famille et d’inventer avec eux, en liberté totale.

Réparer les vivants

Suzanne était centré sur peu de personnages et se déroulait sur 20 ans. Réparer les vivants met en scène une multiplicité de rôles sur 24 heures…


C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’ai eu envie de faire cette adaptation : pour me lancer un nouveau défi de narration, de temporalité. J’ai le désir de faire des films ouverts sur le public qui ne cèdent rien à mon exigence vis à vis du cinéma, en tant que langage.
Pendant l’écriture du scénario, j’étais habitée par l’idée de construire une "chanson de gestes" – terme employé aussi par Maylis au sujet de son livre. Je voulais construire un récit qui ne soit ni une chronique, ni un film choral, un film de relais, sans personnage principal.
Tout l’enjeu de l’écriture (au scénario puis montage) était de parvenir au juste équilibre, pour que chacun trouve sa place et existe dans son espace et son élan de vie. Il fallait que par les moyens du cinéma, on soit suffisamment pris au niveau sensoriel pour se laisser emporter dans un pur mouvement.
Chaque personnage, tout en ayant une identité très forte, est le maillon d’une chaîne suspendue entre une mort et une vie. Le
cœur du film est la question du lien entre ces individus et comment s’organise cette chaîne pour prolonger une vie, pour transformer la mort.

Le film est toujours en mouvement mais ne joue pas la course contre la montre. S’il y a urgence, elle est davantage d’ordre émotionnel.


L’écueil aurait été d’être du côté de l’enjeu narratif : qui va mourir ? Les parents vont-ils accepter le don ? Qui va recevoir le cœur ? Est-ce que la receveuse va vivre ? Les véritables enjeux sont à côté : raconter cette histoire dans une temporalité affective plus profonde.
Mais comment raconter une histoire qui se passe en 24 heures en jouant tout sauf la montre ? Le roman offre des digressions temporelles permanentes en plongeant dans l’intériorité des personnages, leurs souvenirs.

Réparer les vivants

J’ai choisi d’être davantage dans le pur présent, faire exister les personnages à travers leurs gestes, leur travail, les mots qu’ils emploient…

Tout en s’autorisant aussi des digressions, mais propres au langage cinématographique, notamment en prenant son temps à des moments où on ne devrait pas, comme lorsqu’on s’attache à la receveuse au début de la deuxième partie sans qu’on sache encore qui elle est.
Je voulais m’autoriser à observer des êtres avant qu’ils ne jouent leur rôle dans le récit. Quand je tournais ces moments-là, je me disais que mon film faisait l’école buissonnière, et je misais sur le plaisir que le spectateur pourrait ressentir lui aussi dans ces moments de parenthèse dramaturgique. Le film est alors dans une temporalité presque abstraite, avant de replonger dans les enjeux vitaux et médicaux.
Pasolini disait que pour qu’un film soit réussi et vivant, il devait contenir de l’hétérogénéité, voir de la collision. Je crois beaucoup à cette idée.

Je voulais faire un film qui n’ait de cesse de serpenter et de muer, sur le plan narratif et esthétique, toujours guidé par la nécessité.

Réparer les vivants - Anne DorvalSon début peut nous évoquer à travers son énergie adolescente le "teenage movie" qui, fauché par cette vague se heurte à la réalité d’une esthétique plus brute une fois la mort survenue dans l’hôpital, mais lorsque l’on s’ouvre au personnage d’Anne Dorval, et qu’avec elle, la vie reprend ses droits, c’est l’esthétique du mélodrame qui surgit, et l’influence de Douglas Sirk.

La première fois où l’on voit Steve, l’homme qui répartit les organes, il est dans la foule, dont vous l’extrayez peu à peu. Ce désir d’inscrire la vie intime dans le mouvement collectif est emblématique du film…


Comment amener des éléments qui vont nous permettre de sentir un personnage et le faire exister sans pour autant qu’on quitte les enjeux principaux et qu’on s’ennuie ? Sur ce personnage-là par exemple, ça tient à très peu de choses : une silhouette plus grande que les autres, une cigarette électronique, une marche à contre-courant. Alors que les autres vont voir un match de foot, lui travaille la nuit. Et puis il y a ce qui se dégage de cet acteur : quelque chose de très beau, très digne. Tout cela suffit à le construire et le faire exister, ne serait-ce qu’une minute. Et à nous faire percevoir la puissance de ces métiers-là aussi, de leur rôle dans la chaîne.

Malgré la mort qui fauche la jeunesse au début du film, vous êtes constamment du côté de la vie…


Cette histoire prend en charge tout ce que la vie peut avoir de chaotique, de violent : comment une vie peut être fauchée et en même temps, comment la pulsion de vie peut être plus forte et transformer la mort. Et comment on peut se guérir du scandale de ce qu’est une perte. Cette question de la résilience et de la luminosité d’un trajet était déjà présente dans mes précédents films, notamment Suzanne, hanté par la perte d’une mère. J’avais envie de raconter cette histoire du coté des vivants et de ceux qui restent.

Dans le roman, le personnage de la receveuse n’est d’ailleurs pas aussi développé…


Quand on lit un livre, on peut faire une pause quand on veut, on s’attarde ou non sur des choses pour y déployer son imaginaire… Le cinéma se vit de manière beaucoup plus matricielle : tu es dans le noir, on te donne à voir, on t’enferme dans une durée. J’ai donc très vite pensé que le film aurait besoin de davantage de résilience pour que cette histoire reste supportable. D’où le choix d’être davantage du côté de la receveuse.
Qui va recevoir ce cœur
? Derrière cette interrogation s’en cache une autre : qui potentiellement le mérite ? Cette question est archaïque et irrationnelle mais on se la pose forcément. Je trouvais fort que Maylis n’ait pas choisi un enfant ou un adolescent mais une femme de cinquante ans qui est à un moment de sa vie où elle peut se demander ce qui lui reste à vivre. Et si elle a envie de le vivre. C’est très beau de questionner le désir d’une femme à cet âge-là.
Dans le roman, on sait juste que cette femme a deux fils, il est question d’un ancien amant aussi qui lui rend visite… Avec Gilles nous étions convaincus qu’il fallait qu’elle ait un trajet sentimental qui la renvoie à son envie de vivre, quasiment de renaître avec ce nouveau cœur.
Et aussi à l’histoire d’amour naissante de Simon. Quelque chose se transmet aussi à cet endroit. C’est le cœur d’un amoureux qu’elle reçoit.

Il n’y a justement qu’un seul flash-back dans le film : la rencontre entre Simon et son amoureuse...


Cette scène du funiculaire m’avait beaucoup marquée dans le roman : Simon et Juliette sortent du lycée ensemble, elle prend le funiculaire, lui son vélo. Et ils se retrouvent en haut. Cette ascension est une métaphore de l’élan amoureux et j’avais envie que ce soit notre manière de connaître Simon : en rencontrant celle qu’il aime. On avait très peu de temps pour s’attacher à ce garçon et qu’il pèse de tout son poids dans cette histoire. Ce flash-back renvoie aussi à la question de Thomas, l’infirmier coordonnateur : qui était Simon, quel rapport avait-il aux autres, à son corps? Simon était extrêmement physique, on ne peut pas ne pas penser à son cœur quand il monte cette côte à vélo.
Ce flash-back est introduit par le point de vue de la mère qui vient d’apprendre la mort de Simon. Il a donc aussi la fonction de quasiment
remplacer la discussion avec son mari au sujet du don des organes de leur fils et nous amène à comprendre qu’ils vont accepter. Ce flash-back nous met sur le chemin du don. Du don d’amour, du don de vie, de soi.

C’est après avoir vu ce couple qui a perdu son enfant s’éloigner ensemble, que l’infirmière se décide à envoyer un texto à son amant...


Je voulais montrer comment les petites histoires sont prises dans la grande, comment les événements interagissent à différentes échelles dans l’existence, faire sentir ces ondes et leurs répercussions. L’image de ce couple confronté à un drame renvoie ainsi l’infirmière à ce qu’elle a de plus nécessaire à faire, de plus urgent à dire. La mort génère de la rencontre, la vie circule en permanence et partout, à l’image du cœur qui alimente le corps avec le sang. Le travelling est vraiment la figure du film, qui créé le lien entre les différentes influences esthétiques, temporalités, personnages... Nous l’avons exploré sous toutes ses formes : steadycam, dolly, épaule, grue, drone... pour transmettre cette sensation métaphysique de circulation du vivant, rendre compte de la continuité d’un flux organique, à l’image du sang qui irrigue en permanence le corps humain.
Et quand le film arrête sa course, c’est toujours en relation avec la mort : l’accident de voiture, les moments de diagnostic à l’hôpital... Et puis il repart.

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Réparer les vivants

Mon opinion

Katell Quillévéré réalise avec ce sujet difficile, délicat et douloureux son troisième long-métrage. Elle a déclaré :   "Je voulais construire un récit qui ne soit ni une chronique, ni un film choral, un film de relais, sans personnage principal"… "Chaque personnage, tout en ayant une identité très forte, est le maillon d’une chaîne suspendue entre une mort et une vie. Le cœur du film est la question du lien entre ces individus et comment s’organise cette chaîne pour prolonger une vie, pour transformer la mort."

Le scénario ne s'attarde pas sur la psychologie des personnages. Les moments forts, ceux de l'acceptation des parents donneurs, ou celui de cette mère qui sera la réceptrice, sont à peine effleurés. Trop d'images stylisées entravent l'émotion. Les passages concernant les opérations n'apportent pas grand chose, à l'exception de cet éclair de joie dans les yeux des chirurgiens à la toute fin de l'intervention.

Ces petits bémols ne réduisent en rien l'intérêt de ce film courageux, voire indispensable.

Un long-métrage qui ne laisse pas indifférent et qui laisse à chacun son libre choix.

L'ensemble du casting et la direction artistique sont remarquables.