Moi, Daniel Blake (I, Daniel Blake)

Date de sortie 26 octobre 2016

Moi, Daniel Blake ( I, Daniel Blake)


Réalisé par Ken Loach


Avec Dave Johns, Hayley Squires, Dylan McKiernan,

Sharon Percy, Briana Shann, John Sumner, Mark Burns


Genre Drame


Production Britannique, Française, Belge

Synopsis

Pour la première fois de sa vie, Daniel Blake (Dave Johns), un menuisier anglais de 59 ans, est contraint de faire appel à l’aide sociale à la suite de problèmes cardiaques.

Mais bien que son médecin lui ait interdit de travailler, il se voit signifier l'obligation d'une recherche d'emploi sous peine de sanction.

Au cours de ses rendez-vous réguliers au "job center", Daniel va croiser la route de Katie (Hayley Squires), mère célibataire de deux enfants qui a été contrainte d'accepter un logement à 450km de sa ville natale pour ne pas être placée en foyer d’accueil.

Pris tous deux dans les filets des aberrations administratives de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, Daniel et Katie vont tenter de s’entraider…

Moi, Daniel Blake (I, Daniel Blake)

Entretien avec le réalisateur relevé dans le dossier de presse.

On a entendu des rumeurs disant que Jimmy's Hall  serait votre dernier film. L’avez-vous envisagé sérieusement ? Et si oui, qu’est-ce qui vous a convaincu de vous atteler à Moi, Daniel Blake ?


C’est en effet ce que j’ai dit au moment de la préparation de Jimmy's HalI Avant le début du tournage, j’avais le sentiment d’avoir une montagne à gravir, et je me suis dit : "Je ne pourrai plus jamais revivre une telle expérience". Mais c’était une réflexion liée aux circonstances du tournage. Une fois le tournage terminé, bien entendu, tout est rentré dans l’ordre et je me suis demandé pourquoi j’en avais fait toute une affaire et ce qui m’avait tant inquiété ! Tandis qu’on achevait le montage de Jimmy's HalI, je me suis dit qu’il y avait encore énormément d’histoires à raconter. Du coup, j’en ai parlé à Paul [Laverty]. Ce film était beaucoup plus modeste de toute façon : le tournage a duré à peine plus de cinq semaines, ce qui était beaucoup plus simple que sept semaines dans la tourbière irlandaise avec une pléiade d’acteurs. Mais s’il s’agissait d’un tournage plus intime, le sujet n’en est pas moins captivant.

Quels sont les thèmes au cœur de l’intrigue ?


Le point de départ a été l’attitude délibérément cruelle consistant à maintenir les gens dans la pauvreté et l’instrumentalisation de l’administration – l’inefficacité volontaire de l’administration – comme arme politique. On sent bien que le gouvernement cherche à faire passer un message : "voilà ce qui arrive si vous ne travaillez pas. Si vous ne trouvez pas de travail, vous allez souffrir". Il n’y a pas d’autre explication à cette attitude. Et la colère que cette politique a provoquée chez moi m’a donné envie de faire ce film.

Comment avez-vous entamé vos recherches ?


J’ai toujours souhaité monter un projet dans ma ville natale de Nuneaton, dans les Midlands, et on s’est donc rendus sur place pour commencer à y rencontrer des gens. Je suis assez proche d’une association caritative qui s’appelle Doorway et qui est dirigée par une femme formidable, Carol Gallagher. Elle nous a présentés, Paul et moi, à tout un groupe de personnes qui n’arrivaient pas à trouver de travail pour diverses raisons – et principalement, parce qu’il n’y a pas assez d’emplois. Quand ils décrochaient un boulot, ils travaillaient en intérimaire, avec des revenus incertains et sans nulle part où loger. Un jeune homme adorable, soutenu par l’association, nous a montré sa chambre dans une maison occupée par d’autres personnes et c’était digne de Dickens. Il y avait un matelas à même le sol, un frigo et c’était presque tout. Paul lui a demandé si on pouvait se permettre de voir ce qu’il avait dans son frigo, il nous a dit "Aucun problème", et il a ouvert la porte : il n’y avait rien, ni lait, ni même un bout de gâteau – rien du tout. On lui a demandé à quand remontait la dernière fois où il avait dû se passer de nourriture, et il s’est contenté de dire : "Oh… " Il se trouve que la semaine précédente, il n’avait rien mangé pendant quatre jours. Il était véritablement affamé et il était aux abois. Il avait un ami qui travaillait en intérim. Un jour, l’agence avait demandé à cet ami à 5h du matin de se rendre à un entrepôt à 6h. Il n’avait aucun moyen de transport, mais il a réussi à y aller quand même. On lui a demandé d’attendre et à 5h45, on lui a annoncé qu’il n’y avait pas de boulot pour lui ce jour-là. On l’a renvoyé là d’où il venait, si bien qu’il n’a rien touché. On évoque cette humiliation permanente et ce sentiment constant de précarité.

Moi, Daniel Blake - Dave Johns

À partir de la documentation que vous avez réunie et des témoignages que vous avez recueillis, comment avez-vous construit le récit ?


C’était sans doute la décision la plus difficile à prendre tant il y avait d’intrigues. On s’est dit qu’on avait déjà beaucoup mis en scène de jeunes gens – Sweet Sixteen en est un exemple et j’avais réalisé d’autres films sur des jeunes avant – et on a été frappés par le calvaire enduré par les quinquagénaires et les sexagénaires qui passe souvent inaperçu. Il y a une génération de gens qui étaient qualifiés mais souvent travailleurs manuels vers la fin de leur vie professionnelle. Ils souffrent de problèmes de santé et ils sont incapables de reprendre le travail car ils ne sont plus assez vifs pour jongler entre deux intérims et passer d’un petit boulot à l’autre. Ils sont habitués à un cadre professionnel plus traditionnel et du coup, ils sont perdus. Ils sont déboussolés par les nouvelles technologies et de toutes façons ils ont des problèmes de santé, et puis ils se retrouvent pris en charge par l’" Employment Support" : ils peuvent être jugés aptes au travail alors qu’ils ne le sont pas. Le système impénétrable de l’administration écrase les individus. Il y avait tellement de témoignages qu’il nous a semblé qu’on allait dans la bonne direction, d’autant plus qu’il s’agissait d’une tranche d’âge qu’on n’avait pas encore explorée. Paul a imaginé le personnage de Daniel Blake et le projet a démarré.

Selon vous, l’administration est insaisissable par choix…


Oui. Elle a mis en place des agences Pôle Emploi, dont le but n’est pas d’aider les gens mais d’ériger des obstacles sur leur chemin. Il y a des conseillers, comme on les appelle, qui ne sont pas habilités à renseigner les gens sur les postes disponibles, alors qu’autrefois, ils les accompagnaient dans leur recherche d’emploi. On leur fixe des objectifs chiffrés de gens à pénaliser. S’ils ne sanctionnent pas suffisamment de monde, ils doivent suivre le "Programme d’amélioration personnelle". Toutes ces mesures ont été imaginées à la suite d’études menées par des gens qui ont travaillé au département des Affaires sociales et à Pôle Emploi, ou qui ont milité au sein du syndicat PCS [Public and Commercial Services, sixième centrale syndicale britannique regroupant essentiellement les agents du service public, NdT] – les exemples ne manquent pas. En raison du système de sanctions, les gens n’ont plus les moyens de vivre et c’est ce qui a donné naissance aux banques alimentaires.
Et le gouvernement semble se satisfaire de l’existence de celles-ci. Il envisage même d’affecter des conseillers emploi dans les banques alimentaires. Du coup, elles risquent d’être absorbées dans un vaste dispositif gouvernemental qui gère les problèmes liés à la pauvreté. Quel monde avons-nous donc créé ?

Avez-vous le sentiment que ce film soit particulièrement propre à notre époque ?


Je pense que ses racines plongent plus loin dans le temps. Ce phénomène remonte aux Poor Laws [les "lois sur les indigents", nées au XVIème siècle, étaient destinées à attribuer une aide financière aux plus démunis, NdT] et à l’idée selon laquelle il y aurait des pauvres qui méritent leur situation, et d’autres pas. Paul a déniché une citation brillante du révérend Joseph Townsend : "Seule la faim est à même de pousser les pauvres à travailler". Cela date du XVIIIème siècle. Duncan Smith, ses successeurs et le gouvernement qui l’a soutenu ont délibérément utilisé la faim et la pauvreté comme moyens de pression pour obliger les gens à accepter des salaires très faibles et des emplois extrêmement précaires, tellement ils étaient désespérés. Les pauvres doivent accepter qu’on les tienne responsables de leur pauvreté.

Comment s’est déroulé le tournage dans les banques alimentaires ?


On s’est rendus dans plusieurs banques alimentaires à deux, et Paul en a visité davantage tout seul. Ce qui se déroule dans la banque alimentaire du film s’inspire d’un incident qu’on a raconté à Paul, si bien que tous les détails sont authentiques. C’est un phénomène épouvantable car on y croise des gens désespérés ! On était dans l’une de ces banques alimentaires, à Glasgow, et un homme s’est présenté à la porte. Il a jeté un œil à l’intérieur, il est resté là un moment, et puis il est reparti. Une des femmes qui travaillent là lui a couru après, parce qu’il était visiblement démuni, mais il n’a pas pu se résoudre à venir demander de la nourriture : l’humiliation était trop forte. Je pense que ce genre de choses se produit en permanence.

Pourquoi avez-vous décidé de situer le film à Newcastle ?


On est allés dans pas mal d’endroits : on s’est rendus à Nuneaton, à Nottingham, à Stoke et à Newcastle. On connaissait très bien le nord-ouest – on a beaucoup tourné à Liverpool et Manchester et on s’est donc dit qu’on devrait sans doute essayer de découvrir une autre région. On ne voulait pas tourner à Londres qui souffre aussi de difficultés monumentales, mais qui sont d’un tout autre ordre. Et puis, Newcastle est d’une grande richesse culturelle. Comme Liverpool, Glasgow et ces autres grandes villes de bord de mer. C’est formidable d’y tourner, elles rendent magnifiquement bien à l’image, le patrimoine culturel y est très riche, et les particularismes linguistiques y sont très marqués. C’est une région qui affirme sa différence. Newcastle et le nord-est en général ont beaucoup à offrir, et on s’en rend compte rien qu’en marchant dans les rues avec une caméra.

Moi, Daniel Blake - Dave Johns & Hayley Squires

Dave Johns et Hayley Squires

Comment pourriez-vous décrire Daniel ? Quelles épreuves doit-il affronter ?


Dan, artisan qualifié, a longtemps été menuisier. Il a travaillé sur des chantiers, il a travaillé pour de petits entrepreneurs, il a été menuisier journaliser et il continue à fabriquer des objets en bois pour le plaisir. Mais sa femme est décédée, il a fait une crise cardiaque très grave et a failli tomber d’un échafaudage. On lui a interdit de reprendre le travail et comme il est toujours en convalescence, il touche l’allocation "Employment and Support". Le film raconte sa volonté de s’en sortir, malgré ses difficultés, dès lors qu’il est jugé "apte au travail".


Et Katie ?


Katie élève seule ses deux enfants en bas âge. Elle vivait dans un foyer à Londres jusqu’à ce que la municipalité lui trouve un appartement en dehors de la capitale dont le loyer est couvert par son allocation logement. Autrement dit, la municipalité n’a plus à payer la différence. Du coup, elle doit emménager dans un appartement de Newcastle. Le logement est plutôt correct, même s’il nécessite des travaux, mais elle commence alors à avoir des ennuis avec l’administration. Elle a l’obligation de se rendre à Pôle Emploi – or elle doit aussi essayer de se repérer dans une ville qu’elle ne connaît pas, avec ses deux enfants, si bien qu’elle rate le rendez-vous. Elle est sanctionnée et les problèmes commencent … Elle n’a personne de sa famille dans la région, ni soutien, ni argent. Et puis, elle rencontre Dan. Ils essaient de s’épauler l’un l’autre.

Le film évoque très souvent le poids d’une administration étouffante. Comment avez-vous cherché à transposer cette idée dans le film ?


Tout d’abord, je pense que c’est un phénomène que la plupart d’entre nous connaissons bien : c’est ce qui permet au récit de fonctionner. Quand on a affaire à une administration aussi consternante de bêtise, aussi ouvertement déterminée à vous rendre fou, on éprouve une terrible frustration qui peut donner lieu à de vraies scènes d’humour noir. À mon avis, si on arrive à raconter cela de manière réaliste, et si on réussit à percevoir les sous-entendus d’une relation entre un citoyen lambda et un fonctionnaire, au guichet ou au téléphone, on devrait en comprendre l’humour, la cruauté et, au final, le tragique. "Les pauvres sont responsables de leur pauvreté". Voilà qui protège le pouvoir de la classe dominante.

Quelles qualités recherchiez-vous pour les interprètes de Dan (Dave Johns) et de Katie (Hayley Squires) ?


S’agissant de Dan, on voulait que le comédien exprime le bon sens du citoyen lambda. Chaque jour, il s’est levé le matin pour aller au travail, il a travaillé aux côtés de ses collègues et copains, il a partagé les blagues et la complicité. Ça, c’était son quotidien jusqu’à ce qu’il tombe malade et que sa femme ait besoin d’être aidée. Au départ, il a perdu son travail parce qu’il devait s’occuper d’elle, et du coup, il s’est retrouvé un peu à la dérive. Outre le sens de l’humour, je voulais quelqu’un de sensible et de nuancé, et non pas une caricature de prolétaire que pas mal de films attribuent aux rôles d’ouvriers. Quant à Katie, elle est victime des circonstances, mais elle est réaliste et elle a des capacités. Elle a tenté de faire des études : elle a échoué à l’école, mais elle prend des cours par correspondance. Elle essaie de s’en sortir entre ses deux enfants et la vie dans un foyer, si bien que ses études en ont fait les frais. Quand on lui offre la possibilité de loger dans un appartement avec jardin, elle se dit qu’elle va peut-être pouvoir refaire sa vie.

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Moi, Daniel Blake

Mon opinion

Le grand mérite de ce film est de mettre en lumière, et au premier rang, les laissés pour compte de notre société. Pour se faire le réalisateur a choisi deux formidables acteurs Hayley Squires et Dave Johns, que je découvre, tous deux, dans ce film. Impossible de rester indifférents. Ils sont justes, touchants, aimants, généreux, magnifiques.

Les seconds rôles sont également bien vus. En particulier les conseiller(e)s chargés de recevoir les demandeurs d'emploi, ou d'autres, devenus inaptes du fait même de la maladie, mais obligés malgré tout de chercher un travail, aussi précaire soit-il. On peut avoir envie de hurler en attendant certains propos tenus par les prétendus conseillers, ou devant l'absurdité de ce système qui enfonce, plus qu'il n'aide.

Ken Loach a déclaré au sujet du fonctionnement de cette administration, "Elle a mis en place des agences Pôle Emploi, dont le but n’est pas d’aider les gens mais d’ériger des obstacles sur leur chemin. Il y a des conseillers, comme on les appelle, qui ne sont pas habilités à renseigner les gens sur les postes disponibles, alors qu’autrefois, ils les accompagnaient dans leur recherche d’emploi. On leur fixe des objectifs chiffrés de gens à pénaliser."

Paul Laverty livre un scénario, parfaitement écrit, fouillé, incroyablement documenté, douloureux, aussi. Démonstration parfaite de l'obligation d'avoir un minimum de connaissances en informatique, internet en particulier pour vivre aujourd'hui.

La réalisation s'appuie avec efficacité et discrétion sur le combat quotidien de ces personnes. La recherche de Paul Laverty sur les banques alimentaires permet au réalisateur de mettre en images certaines scènes particulièrement douloureuses.