MAL DE PIERRES : Rencontre avec l’équipe du film

Présenté en Compétition officielle au dernier Festival de Cannes, Nicole Garcia signe là un grand film d’amour, fort et romanesque. Dans la Provence agricole des années 50, Gabrielle (Marion Cotillard, sublime), une jeune femme rêvant d’un amour absolu et passionné, se voit contrainte par sa famille d’épouser un homme qu’elle n’aime pas. Lorsqu’elle rencontre un soldat gravement blessé (Louis Garrel) dont elle s’éprend éperdument mais dont elle est malheureusement séparée, elle se jure de ne jamais renoncer à son rêve et de retrouver son nouvel amour.

Nous avons eu le plaisir de rencontrer la réalisatrice, son producteur Alain Attal (Les Petits Mouchoirs, Polisse, Mon Roi, Les Cowboys) ainsi que notre Marion Cotillard internationale.

Pour commencer, peut être quelques mots sur le travail d’adaptation auquel vous avez dû procédé vis à vis du livre éponyme de Milena Agus ?

Nicole Garcia : Le gisement du livre tel que l’ardeur ou l’animalité de Gabrielle est dans le film. L’adaptation a surtout consisté à se recentrer sur ce personnage car dans le livre, c’est elle qui, alors qu’elle est âgée, raconte cette histoire à sa petite fille. Il y avait beaucoup d’allers-retours entre les différentes époques. On a donc décidé de resserrer l’action sur quelques années afin de ne pas avoir à changer de comédienne pour chaque époque et pour éviter de tomber dans quelque chose qui fasse trop fresque ou saga. Mais Milena a beaucoup aimé le film. Elle a notamment été très émue que nous ayons développé le personnage du mari.

Justement, c’est une relation très forte et complexe que celle qui unit Gabrielle à son mari ainsi qu’à ce soldat blessé dont elle s’éprend éperdument…

NG : Ce sont des personnages qui portent la guerre en eux. Pour le personnage du mari, c’est la guerre d’Espagne, qui explique notamment son immigration en France, et pour le personnage de Louis, c’est la guerre d’Indochine, une guerre qui fait partie de notre histoire. Mais Gabrielle elle-même parle aussi de la guerre. Une guerre qu’elle porte en elle contre son désir d’amour irrépressible. Elle cherche autre chose que ce qu’elle a, elle est dans une palpitation, un hybris que sa famille ne peut plus contrôler. Sa mère veut la marier pour la protéger d’elle-même car elle pourrait se retrouver à la merci de prédateurs. Heureusement, le personnage du mari, qui semble être un homme taiseux au premier abord, va peu à peu se découvrir une extraordinaire intelligence de la vie. Sa manière de l’aimer est le plus grand éblouissement romanesque du film. C’est une femme entre deux hommes mais tous les trois vont décliner quelque chose de l’amour dont on rêve tous.

C’est assez interpellant de constater que ce désir d’amour absolu qu’on est tous en droit d’attendre peut être considéré comme quelque chose relevant de la folie.

NG : Nous sommes dans la France rurale des années 50, dans une société très normative où quelqu’un comme Gabrielle, qui a cette quête d’absolu et cette ardeur peut faire peur et basculer dans cette appellation de folie. Dans le désir féminin, il y a toujours quelque chose qui peut être dérangeant dès lors qu’il est exprimé si fortement. Je n’aime pas faire de psychologie dans mes films mais on comprend que quelque chose n’a pas eu lieu dans la relation avec sa mère. Elle a un manque d’amour qu’elle va crier jusqu’à l’obtenir. C’est un personnage très animal, très sexué, qui porte en elle quelque chose de sacré, de charnel et de mystique.

Au delà de l’aspect romanesque du film, vous accordez une place très importante aux décors, aux paysages, à la nature, à l’eau… Tout cela participe à une sorte d’envoutement… Que souhaitiez vous apporter à votre histoire à travers tous ces lieux que vous filmez ?

NG : Pour moi, c’est Marion elle-même la géographie du film. Elle est cette mer, elle est ces montagnes alpines, elle est ces champs de lavande. On est au delà de la notion de décor, ce sont des paysages qui la racontent. Le lyrisme qu’elle a, se retrouve dans ces paysages, ils sont partis prenante d’elle. Dès l’écriture, je voulais que ce soit elle qu’on suive pas à pas jusqu’à cette liberté qu’elle va trouver.

Puisqu’on en parle, Marion Cotillard est une fois de plus formidable. Elle a joué dans tellement de films, nous a épaté tellement de fois et malgré tout, elle arrive encore à nous surprendre et à montrer un visage qu’on ne lui connaissait pas. Je ne pense pas me tromper si je dis qu’il s’agit là de son rôle le plus sensuel…

NG : C’est un film qu’il fallait raconter avec le corps. Je suis toujours ému par la confiance que les acteurs m’accordent mais avec Marion, c’était plus une sorte d’abandon dans ce que le rôle demandait d’excès et de turbulence. C’est cet engagement là qui raconte le personnage qui vit dans ce débord qui la fait passer pour folle, bien qu’elle accepte quelques contraintes comme le mariage, mais elle conserve toujours une rébellion en elle. Elle ruse et ne se laisse pas dominer, jusqu’à ce qu’elle trouve cet amour qui fait la vie plus grande que la vie… Ce rêve qu’on a tous en commun… Un partage avec l’autre a la fois sexué, charnel et sacré.

Monsieur Attal, je me demandais, en tant que producteur, quel est votre rôle sur chacune des phases artistiques et techniques de la création de vos films ?

Alain Attal : En fait, dans ce film, Marion est à la recherche de ce qu’elle appelle « la chose principale », à savoir l’amour. Moi, je suis à la recherche du film principal. Je veux que chaque film que j’accompagne soit le plus abouti et le plus passionnant possible. Pour cela, je me mets dans une position de spectateur très en amont, sur tous les regards que je peux avoir sur une aventure de cinéma en train de naître. Ma bienveillance, mon expertise et mon feeling de spectateur futur se mettent d’abord dans les étapes diverses du scénario où je discute avec les auteurs pour comprendre aussi bien qu’eux ce qu’ils veulent faire et ça devient mon combat. Pour le tournage, je ne suis plus très présent alors qu’à mes débuts, je l’étais davantage. Mais j’ai eu la chance d’accompagner plusieurs réalisateurs avec lesquels je travaille encore aujourd’hui et je sais qu’ils bossent bien donc je leur fais confiance pour diriger leur plateau. En revanche, la technique du récit au montage est quelque chose que je pense maîtriser et sur laquelle je vois assez clair. Je suis donc très présent à ce moment là mais sans jamais rien imposer. Tout au plus, je suggère des raccourcis et même parfois, des rallongements comme avec La Danseuse où le premier montage ne durait qu’une heure vingt.

Les films que vous produisez sont souvent populaires et accessibles à un large public, même quand ils abordent des sujets difficiles comme le faisait Polisse de Maïwenn. Quelle est votre vision du cinéma que vous souhaitez défendre ?

AA : Ce sont avant tout les cinéastes qui m’intéressent, ainsi que le récit de leur histoire et le chemin qu’ils veulent prendre à l’intérieur de cette histoire. Ça me passionne, c’est ma vie. C’est un métier où il y a évidemment une part de business et je ne suis pas le dernier à savoir faire du business mais mon premier kiff, c’est d’être au coté du cinéaste, d’entendre sa musique et de l’accompagner dans sa création, en permettant que celle-ci se passe sous les meilleurs auspices et que son film soit un objet unique, allant toujours plus loin dans son chemin de cinéaste. Être producteur, c’est accompagner les artistes et c’est eux que j’aime… plus que les entrées d’ailleurs. Même si j’ai peut être un goût un peu grand public car j’ai envie que leurs histoires soit lisibles et qu’on les comprenne. Je peux alors les amener vers des choses un peu plus populaires que ce qu’elles auraient pu être dans le cas des films dits « difficiles ».

Voilà l’ensemble des propos que nous avons pu recueillir au cours de notre entretien avec Monsieur Attal et Madame Garcia. Nous n’avons malheureusement pas eu le plaisir de recevoir Marion Cotillard ce jour là. Mais, par bonheur, nous avons toutefois eu la chance de lui poser une question quant à l’évolution complexe des sentiments de son personnage vis à vis de son mari, lors de la conférence de presse du dernier Festival de Cannes :

Marion Cotillard : Gabrielle est un personnage assez singulier dans la mesure où elle se laisse guider par la vie et par les décisions de son entourage, tout en s’accaparant la responsabilité des décisions des autres et en les faisant siennes. Donc, à partir du moment où sa famille lui impose de se marier avec cet homme, elle fait comme si c’était sa décision car elle y voit une manière de s’enfuir de cet enclos familial dont elle n’est pas capable de s’échapper d’elle-même. Dès le départ, elle a un regard assez ambigu sur cet homme dont elle n’est pas amoureuse, au contraire, elle se sert de lui pour avoir une certaine expérience du couple. Sauf qu’elle ne le connaît pas et qu’elle ne sait pas à quel point il peut être généreux, ni à quel point l’amour qu’il va finir par éprouver pour elle, sera aussi infini que celui qu’elle recherche. Même si, au moment de leur rencontre, bien qu’il ait une certaine fascination pour elle, il n’en tombe pas immédiatement amoureux non plus. Il y a vraiment quelque chose qui se construit progressivement entre ces deux personnages. Ce sont deux âmes perdues qui, par la vie, se retrouvent à un même endroit et dont la personnalité, la singularité et la beauté vont faire qu’une histoire va, peut-être, avoir lieu.

Sortie le 19 octobre 2016.