JUSTE LA FIN DU MONDE : Du bruit et de la fureur ★★★★☆

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Xavier Dolan sort de sa zone de confort en signant une œuvre forte, primée d’un Grand Prix au Festival de Cannes.

Si Xavier Dolan est à ce point acclamé par le public, ce n’est pas que grâce à son talent indéniable et la puissance émotionnelle de ses films, mais aussi par son jeune âge qui met cet ensemble en valeur, au-delà d’être l’inspiration de tous ceux rêvant de tenir une caméra. Impossible donc de ne pas constater la pression qui pèse à chaque long-métrage sur ses épaules d’artiste surdoué, scruté dans l’éventualité d’un faux-pas. Pourtant, cette attente est absurde, puisque le beauté de la filmographie de Dolan repose justement sur l’âge de son auteur (assez rare dans l’industrie), sur ses incertitudes, ses doutes existentiels, et l’évolution de sa vision de la vie qui le pousse à expérimenter.

Ainsi, Juste la fin du monde a pu déplaire à une partie du public et de la critique parce qu’il ne répond pas aux critères auxquels on réduit souvent le cinéaste, à savoir de riches mélodrames à l’immense panel émotionnel, magnifiés par des effets de style parfois exubérants. Il répond plutôt à une autre envie de cinéma, peut-être moins brillante mais plus ludique, initiée par Tom à la ferme. Dolan s’y impose un genre ou une contrainte et doit construire sa mise en scène en fonction, ce qui l’amène à se focaliser, à épurer son style. Après l’inspiration du thriller pour Tom à la ferme, Juste la fin du monde choisit le parti-pris d’un film majoritairement constitué de gros plans. Si ce programme semble déjà correspondre à l’aridité de la pièce de Jean-Luc Lagarce qu’il adapte, il s’agit également d’une bien belle idée de cinéma pour pallier à la distance qui sépare au théâtre le public de la scène, et ainsi transcrire l’intimité recherchée de ce repas de famille où Louis (Gaspard Ulliel) décide de revenir après douze ans d’absence pour annoncer sa mort prochaine.

Cependant, Dolan relie ici très vite l’intimité avec l’étouffement. Décrivant une journée de canicule qui ne fait qu’empirer, le réalisateur s’attelle à une ambiance irrespirable à la limite de l’hyperbole. La réussite de Juste la fin du monde réside dans le fait de donner beaucoup avec très peu. Son dispositif minimaliste (cinq acteurs, un décor pratiquement unique) se frotte à une caméra resserrée, à la limite de l’implosion. Sa précision donne forme à un chaos visuel et sonore, où chacun se bouscule dans le décor en coupant la parole à l’autre. Comme dirait Shakespeare, voilà une histoire « pleine de bruit et de fureur, et qui n’a aucun sens ». Dès que Louis tente de structurer une pensée, un propos, il est bridé par la rancœur, les remords, l’incompréhension voire le ridicule de sa mère (Nathalie Baye), sa sœur (Léa Seydoux), son frère (Vincent Cassel) et sa belle-sœur (Marion Cotillard).

Le talent du cinéaste est alors de retirer quelques aiguilles de cette botte de foin, de se concentrer sur quelques regards, quelques gestes ou quelques silences qui en disent bien plus que cette logorrhée générale. Ne serait-ce que pour cette raison, Juste la fin du monde est bien un film de Xavier Dolan, porté par une croyance dans la puissance des images, même si elles affichent ici une plus grande sobriété (à l’exception de scènes de rêves très esthétiques). Les mots n’ont aucun pouvoir, à part peut-être celui de blesser, et sont bloqués par les limites du cadre. Les personnages parlent à eux-mêmes, dans leur espace clos qui n’entre que trop rarement en interaction avec celui des autres.

C’est la force du cinéma de Dolan que d’exploiter un microcosme pour l’amener vers des interrogations plus universelles autour des relations humaines, laissant par la même occasion un champ très riche à ses acteurs (mention spéciale à un Vincent Cassel impressionnant). La petitesse de l’espace théâtral (ou plutôt son fort hors-champ) est respectée pour traduire une sensation de solitude, d’abandon apocalyptique d’une humanité, que le réalisateur représente de façon quasi littérale dans sa dernière séquence. Il ne décrit pas tant l’impossibilité de plus en plus forte d’un dialogue, mais constate sa mort avant même le début du métrage. Voilà un regard à la limite du méta pour l’un des cinéastes contemporains les plus sujets à des débats cristallisés, entre haters bêtement méchants et fans aveugles. Cette horreur de la réalité semble rattraper Dolan, tout comme Louis. Ce dernier doit abandonner ses souvenirs, ses fantasmes, tandis que son metteur en scène délaisse l’imagerie expressionniste qu’il servait jusqu’alors pour une réalisation plus crue, peut-être moins riche car moins portée sur la vie, comme il l’a toujours fièrement brandi (allant jusqu’à évoquer dans une interview ridicule avec Léa Seydoux une « école de la vie »). Juste la fin du monde est un film de la mort, une œuvre au nihilisme dévastateur, qui laisse songer que Xavier Dolan entre dans un nouveau pan de sa filmographie.

Réalisé par Xavier Dolan, avec Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Vincent Cassel

Sortie le 21 septembre 2016.