Lea

Par Cinealain

Date de sortie 13 juillet 2016


Réalisé par Marco Tullio Giordana


Avec Vanessa Scalera, Linda Caridi, Alessio Praticò,


Genre Policier


Production Italienne

Synopsis

Lea (Vanessa Scalera) a grandi dans une famille criminelle en Calabre.

Le père de sa fille Denise (Linda Caridi) est aussi membre de la mafia. Cependant elle aspire à une vie différente pour sa fille, sans violence, peur ni mensonge. Elle décide de coopérer avec la justice et s'enfuit sous le régime de protection des témoins...

Marco Tullio Giordana signe en 1979 son premier long métrage, Maudits, je vous aimerai !, Léopard d’Or au Festival de Locarno.

Avec Appuntamento a Liverpool réalisé en 1988, il revient sur la tragédie du stade du Heysel. Sa volonté de faire un cinéma politique, engagé et inspiré de faits réels, se poursuit en 1995 avec Pasolini, mort d'un poète, une enquête sur la mort de l’écrivain et réalisateur italien.

En 2000, Les cents pas, film qui dénonce le pouvoir mafieux, gagne le Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes.

En 2003, Nos meilleures années, fresque familiale qui parcourt quarante ans de l'histoire de l’Italie et tournée pour la télévision italienne, connait un grand succès dans les salles de cinéma du monde entier. Marco Tullio Giordana revient en compétition au Festival de Cannes en 2005 avec Une fois que tu es né, sur le thème de l'immigration clandestine en Italie.

Toujours dans la ligne de cinéma vérité, il réalise en 2012 Piazza Fontana, sur l’attentat de Milan en 1969, histoire controversée des années de plomb en Italie.

Avec Lea, produit et réalisé pour la RAI, il aborde une nouvelle page de l’histoire contemporaine italienne, à travers un triste épisode de la criminalité organisée.

Le film s’inspire d’une histoire vraie, celle d’une femme, Lea Garofalo, victime du système mafieux calabrais (la ‘ndrangheta) dont les liens familiaux, sanguins, condamnent son émancipation. Pourquoi avoir choisi cette histoire ?


C’est une histoire qui avait marqué l’opinion publique en Italie en 2009, à la fois pour l’horreur des événements, mais aussi pour le courage de la très jeune Denise qui s’était constituée partie civile et avait accusé son père et ses complices de l’assassinat de sa mère Lea Garofalo.
Le procès avait été très suivi. Des caméras de surveillance avaient capté les images de la dernière promenade de Lea avec sa fille et même le moment où son compagnon l’avait fait monter dans sa voiture.
La scénariste Monica Zappelli, avec qui j’avais écrit mon film Les Cent pas I cento passi, m’a proposé d’écrire un film sur ce sujet. Le producteur Angelo Barbagallo, et la Rai m’avaient assuré le respect absolu de la vérité. La force et l’importance de raconter cette histoire, ainsi que cette confiance m’ont décidé à me lancer dans le projet.

Le film met en lumière le combat d’une femme qui pourrait être vu comme une lutte féministe dans une société et un système italien très machiste. Est ce que le personnage principal aurait pu être un homme ?


Dans les milieux de la criminalité organisée, la femme appartient au patron du clan. C’est elle qui élève les enfants et transmets les "valeurs" sur lesquels repose la mentalité mafieuse. Quand les femmes se soumettent à ce rôle, la société mafieuse est à l’abri. Mais quand une femme commence à réfléchir à l’avenir de ses enfants, qu’elle refuse qu’ils deviennent des petits soldats du boss, ou qu’elle essaie de s’émanciper, la crise du système est irréversible.
Je ne pense pas qu’un homme aurait pu vivre la même situation, la paternité est liée à un sentiment plus culturel que charnel ; pour une femme, l’instinct maternel est très fort, comme un instinct de survie qui la rend encore plus forte et plus courageuse.

En France, l’histoire de Lea Garofalo n’est pas connue, alors qu’en Italie cela a fait couler beaucoup d’encre. Pensez vous que cette histoire peut être universelle ?


Je pense que oui. Malheureusement les sociétés modernes sont le berceau de formes d’associations criminelles toujours plus sophistiquées et encombrantes, aucun pays ne peut y échapper. Accepter d’en faire partie ou en fuir est un problème qui va toucher de plus en plus de monde, et il suffit de regarder les périphéries suburbaines européennes pour s’en rendre compte.
Il y aura certainement d’autres exemples de femmes comme Lea qui refusent une vie soumise à une organisation criminelle : pour ça, il sera nécessaire de trouver une façon de les encourager et les protéger
.

Votre film Les Cent pas (I cento passi) avait déjà évoqué l’opposition d’un citoyen contre le système de la Mafia sicilienne. Avec Lea, on se déplace en Calabre, mais l’ancrage culturel est le même. Pourquoi ouvrir cette nouvelle page de l’histoire de la criminalité italienne ?


Il y a des grosses différences entre les organisations criminelles. Par exemple, la mafia en Sicile, la camorra dans la région de Naples et la ‘ndrangheta calabraise ne fonctionnent pas du tout pareil. D’autres organisations reposent aujourd’hui sur des modèles proches de celui de l’entreprise, avec des associés. En revanche, la ‘ndrangheta a gardé la famille comme noyau, les affiliés ne sont pas des associés, mais des frères, fils, cousins, neveux. S’il faut faire des alliances et des fusions, cela se passe à travers des mariages. C’est pour cela qu’elle reste une des organisations criminelles des plus impénétrables.

Elle a réussi à contaminer l’Italie du Nord et l’Europe par ses disponibilités d’argent courant provenant du trafic de la drogue. C’est une des raisons pour les lesquelles le sujet du film a une résonnance forte dans l’actualité.

Est-ce que Lea est pour vous un symbole de changement aujourd’hui ?


L’association Libera (association qui regroupe plusieurs associations de bénévoles qui luttent contre les activités criminelles) nous a mis à disposition de nombreuses études et statistiques qui montrent comment le courage de certaines personnes (dont Lea Garofalo) a eu un vrai impact sur de nombreuses personnes, hommes et femmes, qui ne supportaient plus de vivre en marge de la loi.

Mais je pense que l’exemple de Lea est intéressant aussi au delà de son contexte mafieux : il est aussi valable pour toutes les femmes qui subissent une culture rétrograde qui alimente la possessivité et la violence.

C’est difficile de tourner aujourd’hui un film qui attaque le système mafieux ?


Je ne dirais pas difficile, mais probablement un peu risqué parfois, notamment quand le film se tourne dans les lieux réels et cite de vrais noms. Le risque est d’autant plus important lorsque le film ne peint pas un portrait avantageux de ces criminels, s’il n’en fait pas des héros, en montrant toute la misère et la désolation d’une vie sans amour, sans tendresse et sans valeurs.

Vanessa Scalera

Avez vous rencontré Denise Garofalo, la fille de Lea ? A-t-elle vu le film ?


Après la mort de Lea Garofalo, l’Etat italien a déclenché pour Denise un système de protection conséquent, constitué d’une équipe policière, mais aussi de psychologues et assistants sociaux. Personne ne doit connaître son identité actuelle, ni son visage. On a été donc en contact épistolaire, via son avocat Enza Rando, ainsi que Don Luigi Ciotti, fondateur de Libera, l’association qui a défendu et soutenu Lea et Denise Garofalo depuis le début.
Je sais que Denise a vu le film et en a été troublée, ce qui était prévisible. Pour elle, il ne s’agit pas d’une fiction, mais de sa propre vie et celle de sa mère. Je ne m’attendais pas à avoir son propre ressenti, ni ne souhaitais la solliciter. Mais je sais qu’elle pense que cette histoire devait être racontée et à travers le cinéma, toucher le plus grand nombre. Cela me suffit.
On m’a dit que quand Denise était petite, sa mère lui avait montré Les Cent pas. Quand je l’ai appris, j’ai compris combien il était important pour moi de faire ce film.

Lea a été présenté au dernier festival du film policier de Beaune.

De quelle façon vous vous inspirez du cinéma policier et vous inscrivez vos films dans la tradition du cinéma noir italien ?


J’ai toujours aimé le cinéma noir, le polar, même si je pense que c’est un genre qui appartient plus spécifiquement au cinéma américain ou français. Je dirais que le cinéma italien a toujours été plus sensible à la fresque sociale, en héritage de la tradition extraordinaire des chefs d’oeuvre du néoréalisme. Il y a toujours eu dans notre cinéma une volonté de filmer des strates de la société privée de voix ; je pense à des films comme La terre tremble de Luchino Visconti ou Accatone de Pier Paolo Pasolini, ou encore Lamerica de Gianni Amelio ou même Les âmes noires de Francesco Munzi. Ces influences touchent encore le cinéma italien contemporain.

Mon opinion

"C’est une histoire qui avait marqué l’opinion publique en Italie en 2009, à la fois pour l’horreur des évènements, mais aussi pour le courage de la très jeune Denise qui s’était constituée partie civile et avait accusé son père et ses complices de l’assassinat de sa mère Lea Garofalo."

Marco Tullio Giordana, s'appuie, une nouvelle fois, sur des faits réels pour ce long-métrage dur, passionnant de bout en bout, courageux aussi. Le réalisateur, récompensé à Cannes pour son magnifique film, "Nos meilleures années", s'était déjà intéressé à la mafia sicilienne au travers de son long-métrage "Les Cent pas".

Avec Lea, c'est le système mafieux calabrais, la 'Ndrangheta, dont il est question. Mais plus que tout, de Lea Garofalo, une mère courageuse qui bravera tous les dangers pour assurer la protection de sa fille et la sauver de ce milieu De ville en ville, elle tentera de se cacher et cherchera des appuis pour échapper à la vengeance de ce milieu mafieux,  avec une détermination qui force l'admiration.

Des images d'archives, susciteront une émotion supplémentaire, déjà bien réelle tout au long de ce film. Deux actrices magnifiques Vanessa Scalera, dans le rôle de Lea Garofalo et Linda Caridi dans celui de sa fille, Denise.

"Il y aura certainement d’autres exemples de femmes comme Lea qui refusent une vie soumise à une organisation criminelle : pour ça, il sera nécessaire de trouver une façon de les encourager et les protéger". a déclaré le réalisateur.

Ce film est un vibrant hommage à toutes ces femmes.

À Lea et Denise Garofalo en particulier.