German Angst (Descente aux enfers dans le Berlin underground)

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Genre : horreur, drame (interdit aux - 18 ans)
Année : 2015
Durée : 1h47

Synopsis : Trois métrages réalisés par trois cinéastes différents. Trois histoires d'amour, de sexe, de vengeance et de mort. Des histoires totalement dissociées qui n'ont, comme seul point en commun, que de se dérouler à Berlin. Une anthologie choc sur les tourments qui hantent la nature humaine et la mémoire d'une Allemagne encore loin d'être guérie de ses vieux démons. 

La critique :

23 ans. 23 ans que Jorg Buttgereit n'avait plus réalisé un vrai film. Depuis 1993 et le très sordide Schramm, l'inoubliable réalisateur du mythique Nekromantik a pris son temps. Durant cette longue période loin des plateaux, Buttgereit se consacra à la réalisation de documentaires, de vidéos clips ou apporta son immense savoir-faire en matière d'effets spéciaux à des oeuvres réalisées par d'autres (La Petite Mort de Marcel Walz, par exemple). Ce fut donc un petit événement que la sortie de German Angst en 2015, un film collégial auquel Buttgereit collabora en compagnie de deux autres cinéastes teutons beaucoup moins connus mais néanmoins extrêmement talentueux, Michal Kosakowski et Andreas Marschall.
Autant le dire tout de suite, le segment mis en scène par Buttgereit ni le plus impressionnant ni le plus captivant, mais nous y reviendrons. German Angst se révèle au spectateur comme un voyage cauchemardesque où il plongerait dans la psyché déstructurée d'êtres humains à la dérive. Le film est d'une noirceur abyssale et d'une dureté psychologique difficilement soutenable.

Par certains (lointains) aspects, il s'apparenterait au Family Portraits de Douglas Buck qui, en son temps, dénonçait de manière abrupte et sans concession les maux inextricables qui rongent l'Amérique profonde. Ici, ce sont les problèmes de l'Allemagne qui sont passés au crible. L'Allemagne d'hier et celle d'aujourd'hui. Un pays héritier d'un passé lourd comme du plomb, parfois encore en proie à ses vieux démons, et de nos jours, emporté par les nouvelles ivresses qui gangrènent les sociétés modernes.
A travers ses trois histoires violentes et dramatiques, German Angst met en avant le côté sombre qui sommeille en chacun d'entre nous, le plaisir coupable de la transgression des règles et présente sans fard l'homme dans les tréfonds les plus condamnables de sa nature. Avec toujours la mort au bout du chemin... Attention, SPOILERS ! Final Girl (Jorg Buttgereit, 23 minutes) : Dans un appartement sans âme, une jeune fille voue une véritable passion à ses cochons d'inde. En voix-off et sur un ton monocorde, elle détaille le processus de castration des rongeurs. Peu après, nous découvrons qu'elle séquestre son père, attaché sur un lit. Pourquoi ? Parce que le paternel a égorgé sa femme lors d'une dispute qui a dégénéré. Pour venger sa mère, la jeune femme torturera lentement le coupable jusqu'à ce que mort s'ensuive.

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Make a wish (Michal Kosakowski, 35 minutes) : Un couple de jeunes amoureux polonais sourds muets se promènent dans un parc de Berlin. Tout en flirtant, ils pénètrent dans une vieille bâtisse abandonnée. La jeune femme raconte alors à son ami l'histoire de sa grand-mère qui assista au massacre des habitants de son village par des soldats allemands durant la guerre. Peu après, le couple est agressé par une bande de néo-nazis qui va lui faire subir un véritable calvaire.
Mandragore (Andreas Marshall, 49 minutes) : Eden est un photographe de mode blasé et vaniteux. Un soir, il donne rendez-vous à une inconnue par Internet dans une discothèque underground de Berlin, le Mabuse. La fille ne vient pas. Sans y prêter attention, le photographe se retrouve totalement subjugué par Kira, une gogo danseuse à la beauté foudroyante. Après un flirt et deux rails de cocaïne dans les toilettes du night-club, Kira abandonne Eden dans la foule et sort de l'établissement en compagnie de quelques amis. Eden suit le groupe et arrive devant un appartement transformé en club privé. Dans ce lieu mal famé, Kira et d'autres membres du club, s'adonnent à des plaisirs sexuels fétichistes et à des expériences sensorielles par le moyen d'une substance mystérieuse : la fleur de mandragore. Désireux de revoir la jeune femme à tout prix, Eden parvient à intégrer le groupe et la descente aux enfers commence...

German Angst est un film dur. Très dur. Le deuxième segment "Make a wish" de Michal Kosakowski, atteint à lui seul des sommets d'horreur psychologique. D'origine polonaise, le réalisateur n'a rien oublié des abominations dont les nazis se rendirent coupables envers ses aïeux durant la seconde guerre mondiale. A travers l'histoire d'un jeune couple agressé par une bande de néo-nazis, Kosakowski établit un douloureux parallèle entre passé et présent. Les flash back qui émaillent le long-métrage montrent une armée allemande sans aucune pitié et abjecte de barbarie (un nourrisson fracassé contre un tronc d'arbre) envers la population autochtone. Avec l'agression raciste et sauvage dont sont victimes ces deux amoureux sourds et muets, l'histoire se répète. L'Allemagne n'a-t-elle donc pas fini de régler ses comptes avec ses vieux démons ? Il faut croire que non d'après le réalisateur.
A ce racisme ordinaire, Kosakowski ajoute un élément supplémentaire à la cruauté de la martyre dans un silence qui met le spectateur d'autant plus mal à l'aise.

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Le point culminant arrivera avec l'immolation du jeune homme dans un container sous les rires et les insultes ds néos-nazis déchaînés, vitupérant leur haine. "Mandragore" d'Andreas Marshall est sans aucun doute le segment le plus travaillé esthétiquement. Se déroulant dans les bas-fonds du Berlin contemporain, l'histoire s'intéresse à un photographe, imbu de lui-même, qui est à la recherche de plaisirs interdits et d'expérimentations nouvelles, va subir une irrémédiable descente aux enfers jusqu'au point de non retour. A mi chemin entre le drame horrifique et une histoire d'amour perdue d'avance, le moyen métrage de Marschall se déroule tel une expérimentation sous acides dans les entrailles d'un Berlin énigmatique, rythmée par une bande son hard-techno hypnotique.
Assommé de substances illicites, le principal protagoniste finit par sombrer dans une démence irrationnelle en semant la mort autour de lui. Le réalisateur fait habilement se perdre le spectateur dans un chaos de sensations où tous les repères se distendent progressivement.

En suivant le personnage dans ses régressions nocturnes, on s'égare dans les méandres de sa mémoire devenue erratique où il est bien difficile de différencier la brutale réalité de l'hallucination. Venons-en à présent au premier segment "Final Girl", le premier film réalisé par Jorg Buttgereit depuis très longtemps. Oserais-je affirmer, au risque de désappointer les nombreux fans du réalisateur, que son métrage est le plus faible de cette anthologie ? Sans être totalement inintéressante, l'histoire d'une jeune fille dévorée par la vengeance et qui torture lentement son père, n'a rien de fulgurante.
Certes, Buttgereit a l'art d'instaurer un climat oppressant et profondément dérangeant, mais la structure narrative du film est terriblement lente et la voix-off monotone de la jeune femme ne fait qu'accentuer cette sensation d'immobilisme. Les amateurs de gore devront aussi se contenter du minimum puisque le cinéaste ne propose qu'un égorgement (ultra réaliste, il est vrai) et une castration suggérée.
On a connu Buttgereit bien plus audacieux. Mais que cettte relative réticence ne nous fasse pas perdre de vue la qualité globale du film. German Angst peut se targuer de représenter l'une des meilleures anthologies germaniques réalisée depuis bien longtemps. Rien que pour le terrible segment "Make a wish", cette oeuvre mérite d'être vue et appréciée à sa juste valeur en tant que témoignage sociologique sur les afflictions d'une Allemagne qui, entre le poids du passe et les errances d'aujourd'hui se déchire encore souvent en un conflit intérieur, à la recherche d'une réconciliation impossible avec elle-même.

Note : 16/20

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