Nocturama

Par Cinealain

Date de sortie 31 août 2016


Réalisé par Bertrand Bonello


Avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani, Manal Issa,
Martin Guyot, Jamil McCraven, Rabah Nait Oufella, Laure Valentinelli,
Ilias Le Doré, Robin Goldbronn, Luis Rego, Hermine Karagheuz
Et la participation de Adèle Haenel


Genre Drame, Thriller


Production Française, Allemande, Belge

Synopsis

Paris, un matin. Une poignée de jeunes, de milieux différents.
Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale.
Ils semblent suivre un plan. Leurs gestes sont précis, presque dangereux.
Ils convergent vers un même point, un grand magasin, au moment où il ferme ses portes.
La nuit commence.

Propos de Bertrand Bonello, relevés dans le dossier de presse.


Le film est venu à la fois d’un ressenti du monde dans lequel nous vivons et de désirs formels cinématographiques. J’ai écrit la toute première version il y a cinq ans, tandis que j’étais en train de travailler sur L’Apollonide, un film d'époque, romanesque, tout en opiacé, et j'avais envie, en contrepoint, de faire ensuite un film ultra contemporain, pensé de manière inverse, très direct, plus comme un geste.
J’ai donc écrit très vite une version, qui répondait à ce climat que je ressens depuis longtemps, que je qualifierais "d’effet cocotte minute", c’est-à-dire quelque chose qui frémit et face auquel je me pose souvent la question de "Pourquoi ça n'explose pas" ? Évidemment, le propre du comportement humain, c'est de s'adapter, d’intégrer et d’admettre des choses qui, finalement, sont inacceptables. Puis de temps en temps dans l'Histoire, il y a une insurrection, une révolution. Un moment où les gens disent stop. Il y a un refus.
Je suis parti de ce postulat que j'ai eu envie de tirer vers le cinéma de genre. Dans le sens où très vite, j’ai voulu m’intéresser à la question du Comment plus que celle du Pourquoi. Le Pourquoi, la scène avec Adèle Haenel le prend en charge : "Ça devait arriver" dit-elle. Oui, il suffit de marcher dans la rue, de sentir la tension extrêmement palpable, ou d’ouvrir le journal pour se dire qu’en effet, ça pourrait arriver. C’est pour cela que le film démarre sans préambule.
Comment on passe à l'acte, de quelle manière ça se fait, dans le film, le geste est, pour moi, plus important que la parole. L'action face au discours, c'est le "comment" face au "pourquoi". Le mystère fait aussi partie du cinéma et je ne voulais pas essayer de rationaliser des choses qui ne sont pas toujours ni explicables ni justifiables.
Le scénario s’est tout de suite appelé Paris est une fête. Cette antiphrase correspondait complètement au film que je voulais faire. Je l’ai mis de côté pour tourner Saint Laurent, puis j’ai repris la préparation pour un tournage à l’été 2015.

Pendant la post production, le titre Paris est une fête a pris un tout autre sens et il fallait évidemment en changer, je me suis alors tourné naturellement vers la musique. Nocturama est le titre d’un album de Nick Cave. J’aimais l’idée de cet hybride entre le latin et le grec qui voudrait dire vision de nuit, je lui ai demandé l’autorisation. Il a accepté, et m’a expliqué qu’en fait le mot désignait dans un zoo la zone créée spécifiquement pour les animaux nocturnes. Ça m’allait très bien. Nocturama renvoie aussi à l’idée de cauchemar.

Du réel à la fiction


En tant que cinéaste, je ne suis pas là pour me substituer à un journaliste, un sociologue, ou un historien. Mon but n’est pas de décrypter l’actualité, ni de la commenter. De toute manière, l’actualité est trop rapide pour le cinéma, qui sera toujours dépassé s’il essaie d’y coller. La force de la fiction est ailleurs. Dans la recréation d’un monde, avec ses règles, ses logiques, des lignes de force qui lui sont propres. Poser un regard plus qu’une analyse.
Qu’on ressente ou s’inspire du réel est pour moi une nécessité, mais il faut ensuite s’en dégager et se l’approprier. Se sentir libre. Le réel, on le retrouve de toute manière ailleurs : le choix d’un acteur, d’un décor.

De l’extérieur à l’intérieur


La structure est la première chose qui est venue. Ça a été la base. Une première partie avec des personnages isolés, à l’extérieur, en mouvement, seulement soutenue par des trajets et des actions, des personnages à peine réunis le temps de deux flashbacks impressionnistes. Puis une partie où ils sont ensemble, non plus dans l’action, mais dans l’attente. Le passage de l’extérieur à l’intérieur permet aussi un passage d’une réalité à une abstraction, d’un monde réel à un monde fantasmé.


Dès que les personnages rentrent dans le grand magasin, il n'y a plus d'extérieur, il n'y a plus de fenêtre. Il n'y a plus de portable, il n'y a plus rien et on se réinvente quelque chose. La fiction et le mental prennent le dessus sur l'extérieur.
 

Et puis, à un moment, un personnage ressort à nouveau. Il tente presque de s’échapper, pour s’apercevoir in fine, qu’il n’appartient plus au monde extérieur. Qu’il n’a plus rien à y faire. Et il revient.

Le hors-champ


J’ai immédiatement fait le choix de n’être qu’avec mon groupe de personnages. Tout est de leur point de vue. Et nous, comme eux, nous ne savons pas exactement ce qui se passe à l’extérieur, excepté parfois via les écrans de télés. Je ne voulais pas de montage parallèle.
D’une part, pour me concentrer sur l’idée du temps qui passe, et d’autre part, parce que ce qui m’intéresse, ce sont eux, c’est cette micro société qu’ils forment, obligée de se reconstruire pour survivre. Le hors-champ nous rapproche d’eux.

Paris


Je voulais filmer Paris de manière réaliste, y compris dans ses aspects les plus durs. C’est une ville extrêmement difficile à filmer, une très belle ville mais abîmée par sa vie interne, par ses signalétiques, panneaux, pubs, travaux, etc . Mais j’ai décidé de composer avec tout cela. Les trajets des personnages font partie de ce réalisme.
Pour les scènes dans le métro par exemple, nous avons tourné en mode quasi documentaire. Sans rien privatiser. Nous sommes partis, au milieu des gens. Je voulais montrer la richesse du métro, toutes ces atmosphères différentes, via ce ballet du début.
Le choix des "cibles" répond quant à lui à ce besoin qui traverse le film de passer de l’effet de réel à celui de déréalisation. Je n’ai rien contre HSBC ni contre le Ministère de l’Intérieur. Mais ils sont là. Ils font partie de notre vie, de notre environnement, de notre quotidien. C’est une idée de la répression, du capitalisme, de l’étouffement. Le face-à-face entre une gamine de banlieue et Jeanne d’Arc est l’une des toutes premières images que j’avais dès l’écriture. C’est pour moi une certaine idée de la France. Je ne voulais pas d’attaques aveuglément meurtrières. Je préférais aller sur des symboles.
Au départ, je craignais que mes jeunes acteurs me disent que cela ne leur évoquait pas grand chose mais en en discutant avec eux, j’ai compris au contraire que cela leur parlait beaucoup et que je n’étais pas tombé bien loin. Dans un discours politique et critique, ils évoquaient spontanément des institutions financières, le Ministère de la Justice, les médias, l'oppression économique et tout ce qui leur semble aujourd’hui être une prise de pouvoir sur leurs pensées, sur leurs libertés.

Le grand magasin


Les grands magasins de ce genre sont des lieux fascinants. De vrais lieux de fiction. Dans le sens où ils sont la recréation du monde à l’intérieur du monde. Tout y est. Toute la "vie" est là, de la baignoire à la nourriture, du lit aux télévisions ... c’est aussi un symbole du consumérisme de notre époque, y compris dans sa virtualité.
Après avoir attaqué violemment le monde extérieur, les personnages se retrouvent enfermés dans ce monde intérieur. Et ils se font happer. C’est inévitable. Chacun, en effet, se retrouve à un endroit de ce magasin. Parce que c'est ce qu'il voudrait être, ça le fait rêver, c'est facile, il en a besoin, ou bien encore parce que c'est tout simplement lui-même...


Il y a deux scènes, par exemple, où un personnage se retrouve face à un mannequin habillé comme lui. La première, on est dans le consumérisme et la seconde on est dans la mort. Dans la disparition de soi-même.


Alors que les choses sont si difficiles à obtenir dans la vie, ici, tout est simple. Ça devient un lieu de liberté, même si factice. Du coup, ils se permettent tout, allant jusqu'à prendre un bain, faire du kart ou encore un spectacle. Parmi toutes les idées que j’avais, j’ai gardé les choses les plus incongrues car ce sont pour moi les plus belles. J’ai préféré le rêve au trivial ou au matérialisme.

Le choix des interprètes


Parmi les acteurs, seule la moitié a déjà eu une expérience de cinéma, l’autre moitié aucune. Je tenais à ce mélange et à cette proportion. Ces derniers amènent, sans les composer, des choses magnifiques, qui sont leur visage, leur manière de bouger, la musique de leur langage. J’adore les acteurs mais j’ai pris ici un plaisir inouï à filmer d’autres visages, des corps nouveaux, des manières de se tenir, parfois maladroites mais nouvelles. Je savais en écrivant que je ne mettais en place que 50% des personnages. Que le reste, ce sont les acteurs qui me l’amèneraient, avec leur personnalité, leur manière d’être, qui ils sont. Je me disais souvent que la mise en scène devait être du côté de la fiction, et que la direction d’acteur devait être du côté du documentaire.
Le casting a duré près de neuf mois. J'ai rencontré toutes sortes de jeunesse. J'étais dans le romanesque et dans le fantasme en écrivant. Mais en les rencontrant, j’ai été surpris de voir à quel point ce que je leur racontais de cette histoire n'était pas du tout extraordinaire pour eux. Ils me disaient : "Ça me semble normal, ça me semble logique, il nous manque juste un peu de courage, un peu d'organisation... Moi je suis non violent mais je pourrais le faire"...

Nos enfants / Une jeunesse perdue


Maintenant que je regarde le film fini, il y a quelque chose dont je ne me rendais pas compte en l’écrivant. Quelque chose en eux qui est encore dans l’enfance et que je trouve assez bouleversant, et le film raconte aussi cela : Voilà ce qu’on a fait de nos enfants. Le point de vue le plus fictionnel du film, c’est son postulat de départ : vouloir rassembler des jeunes d’univers géographiques et sociaux différents, que la société fait tout pour diviser. Les rassembler dans une idée commune. C’est le côté un peu "punk" de la genèse du film, dans le sens d’une utopie quasi adolescente, dans un désir de refus, voire de destruction. Ce qui m’intéressait c’est qu’ils partagent tous cette envie de dire stop... D’une autre manière, on voit depuis quelques semaines, dans les rues, sur les places, des mouvements de jeunes se créer pour exposer à leur manière également un refus.
En préparant le film, j’ai relu Discours de la Servitude Volontaire de La Boétie. Un livre très court mais extrêmement puissant qui est un appel à l'insurrection. Je ne me souvenais plus qu’il avait été écrit par un gamin de vingt ans au XVIème siècle. La Boétie y explique qu'il y a un moment où l'Homme accepte des choses que l'animal n'accepterait pas. Et Nocturama est avant tout un film sur le refus. La seule manière de l’exprimer était de former un groupe hétérogène et d'essayer de trouver une logique, une évidence, dans la manière dans laquelle ils puissent être ensemble. Cet "être ensemble", comme on le dirait du "vivre ensemble", était fondamental. Dans le début du film par exemple, ils fonctionnent seuls ou par deux, trois mais ne sont que rarement ensemble, sauf dans ce flash back pendant lequel il y a une scène de danse. Presque une transe. Je voulais vraiment que quelque chose les réunisse sans passer par le discours ni le dialogue. J’ai enregistré une musique à la fois rythmique et ambiante et je les ai plongés dedans. Et puis, je les ai laissés libres de s’en emparer. Chacun a fini par trouver son espace dans la pièce et dans le son.

La mise en scène


J'étais obsédé par le mélange d'ultra réalisme et d'abstraction. Le réalisme, avec les trajets, les détails, tous très documentés, HSBC, Manuel Valls…L’abstraction, c’est plutôt l’intérieur, la déconnexion.
J’ai donc beaucoup travaillé sur des mouvements, des gestes. Une forme d'action, qui n'est pas le film d'action à l'américaine, mais qui doit, quand même, apporter de la tension. Et à l’intérieur de cette tension, je savais qu’il fallait prendre du temps, parfois quasiment du temps réel, y compris passer du temps avec les personnages pour ne pas les marionnettiser, que l’on soit vraiment avec eux du début à la fin. Le film est extrêmement préparé. Chaque mouvement, chaque point de vue, chaque changement de point de vue. Il est construit comme une partition.
Le plus délicat était ensuite de trouver une tension dans l’attente, quand ils sont dans le magasin. A partir du moment où on ne sait pas ce qu’il se passe à l’extérieur, il faut gérer le temps qui passe avec le hors champs.
De la même manière, j’ai beaucoup travaillé la place des plans en mouvement et des plans fixes. Par exemple, au moment où le personnage joué par Finnegan Oldfield sort du magasin, j’ai eu envie de tableaux très simples. Des plans fixes, dans un Paris totalement vide, avec un acteur qui traverse le cadre. La séquence apporte du calme. On ne joue pas l'hystérie de l'extérieur mais, au contraire, le vide. Même si ce calme est aussi terrifiant. Est venue enfin l’idée d’une temporalité qui, comme le film, passerait du réel à l’irréel. Je voulais qu’au bout d’un moment dans le magasin, le temps se difracte. On revient un peu en arrière, on change de point de vue, on joue cette idée du "disque rayé"… Plus on avance dans le film, plus le temps explose. Cela instille aussi le déraillement. Et puis, les scènes avec le GIGN. Je les ai mises en place avec un ancien du GIGN. Je ne voulais pas d’un assaut brutal, qu’on appelle "le bouclier", mais plutôt d’une infiltration, lente et implacable, qu’ils appellent "l’enclume et le marteau". Là aussi, le temps s’étire. Dans l’histoire, c’est justifié par le fait que le GIGN ignore le nombre "d’ennemis d’état" (Pour le GIGN, c’est le terme adéquat vu les cibles choisies), s’ils sont armés ou pas. Et cela permet un calme, à mon avis plus fort.
Vient ensuite la question de l’image, de la lumière. C’est la première fois que je tourne en numérique. Je trouve cela très cohérent pour ce film d’avoir une image plus dure, plus froide, plus définie, de ne pas chercher l’esthétique du 35.
Nous avons structuré la lumière dans le grand magasin en cinq parties : Très éclairé, puis totalement sombre puis à nouveau éclairé pleinement, puis à moitié avant que le GIGN ne coupe tout à nouveau. Cela crée des mouvements à l’intérieur du film.
Quant au Scope anamorphique, il amène un côté fiction et la HD amène un effet de réel. C’est toujours le même équilibre délicat à trouver.

La musique


Très vite, je voulais que les deux parties du film aient leur propre musicalité, même si parfois l’une se greffe dans l’autre. Un score d’un côté, de l’autre une sorte de juke-box. Ils sont dans le grand magasin, ils passent des disques.
Pour le score, je voulais quelque chose d’électronique, mais qui ne soit pas de l’électro. Quelque chose de mental et de pulsionnel. Que cela passe par des soubassements, par un travail sur les fréquences. Comme j’ai la chance de pouvoir faire ma musique, je m’y attelle dès le travail d’écriture scénaristique, pour avoir la texture musicale en même temps que le script. Sur le choix des disques qu’ils passent, les morceaux se sont imposés très vite pendant l’écriture et n’ont plus bougé. Et puisque le film s’appelait Paris est une fête, il me semblait cohérent qu’il y ait à un moment l’idée de spectacle, d’un spectacle final. J’ai pensé grand magasin, escalier, descente d’escalier… Et donc à My Way. C’est la scène la plus irréelle du film. Elle marque encore plus cette rupture avec l’extérieur et fait basculer le film dans quelque chose de très onirique, de faux, de théâtral. Mais surtout pour moi, de tragique. Là, j’y vois la fin, la mort. De la même manière, la musique de The Persuaders a été une évidence. J’aime la mélancolie qu’elle dégage. Mais l’idée à ce moment-là, alors que l’assaut débute et que la mort approche, était aussi de ramener de l’enfance. La mienne, la leur.

Mon opinion

La première image survole un Paris magnifique. C'est beau et rapide. Dans le métro, ses couloirs, ses wagons, ses entrées et sorties, des jeunes gens, qui ne semblent pas se connaître, paraissent tous déterminés et pressés. Tout est réglé comme un ballet. C'est assez long.

Si le scénario prend son temps pour dévoiler le récit, l'atmosphère devient rapidement étouffante. Nous ne saurons que peu de choses sur chacun des protagonistes qui s'attaqueront à un ministère, une banque ou encore la statue de Jeanne d'Arc. Pourquoi ?

Bertrand Bonello précise :

"J’ai donc écrit très vite une version, qui répondait à ce climat que je ressens depuis longtemps, que je qualifierais "d’effet cocotte minute", c’est-à-dire quelque chose qui frémit et face auquel je me pose souvent la question de "Pourquoi ça n'explose pas" ?

Les actes et les crimes commis augmentent le questionnement du le spectateur. L'anxiété de ces "ennemis de l'état" devient contagieuse. La mise en scène est irréprochable. Il en va de même pour les éclairages de Léo Hinstin tout autant que pour les décors de Katia Wyszkop. Avec un bémol toutefois, cette avalanche de marques, de créateurs ou de linge de maison, trop visibles et quasi omniprésentes. Une publicité trop appuyée, gênante, et qui n'apporte rien.

Un film prémonitoire ? On peut espérer que non.

Une réflexion sur notre temps, certainement.

Avec des moments particuliers et parfaitement réussis.  Tels, le play-back de My Way, chanté par Shirley Bassey, "la scène la plus irréelle du film" précise le réalisateur. Ou encore ces moments de silence angoissants.

Ce film est étourdissant, voire hypnotisant, de bout en bout.