Été hollywoodien 2016 : Analyse d’un engrenage rouillé !

La machinerie était pourtant bien huilée. Fort de plus de 4 décennies de règne, le système économique hollywoodien initié par Spielberg et Lucas rythmait et séparait l’année en 2 périodes. Schématiquement, de novembre à janvier, la course effrénée aux prix dorés (lancée par les différents festivals de septembre/octobre) se finit par la cérémonie des Oscars. Puis, et c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui : la période estivale.

SUICIDE SQUAD

Inutile de faire un cours sur le soft-power americain pour vous persuader de l’aspect primordial de ces 3 mois pour l’économie des studios. Dans cette idée de mécanisme – propre à toute industrie – l’habitude veut que les 10 blockbusters (à peu près) possèdent chacun leur date respective et unique, et n’aient qu’une semaine pour faire leurs recettes. Mais cette année, tout ne s’est pas passé comme prévu et les échecs commerciaux se sont multipliés (BFG, Independance Day, Tarzan), quand le plus gros hit estival remonte à… juin (Le monde de Dory) !

Pourtant, tout avait bien commencé. Le Superbowl avait permis la diffusion des trailers de Jason Bourne, Independance Day : Resurgence, Comme des bêtes ou Teenage Mutant Ninja Turtles 2. Puis les mois qui suivirent permirent le combat acharné du film qui aura la plus grosse campagne marketing. Le grand gagnant de ce jeu, Suicide Squad, s’en sort avec 280 millions de dollars de recettes sur le sol américain, soit à peine plus que le montant du budget du film. Aïe. Mais pourquoi ?

Director Steven Spielberg on the set of Disney's THE BFG, based on the best-sellling book by Roald Dahl.

QUI SE RESSEMBLE S’ASSEMBLE

Avant d’avancer tous les facteurs externes (probables) ayant empêché aux blockbusters hollywoodiens un véritable succès, il faut d’abord regarder le produit en question. Il n’est bien évidemment pas question de qualité – ce qui serait subjectif car on peut, par exemple, admettre que Suicide Squad est bourré d’erreurs mais pour autant apprécier son hybridité. Non, il faut avoir un regard plus objectif et surtout plus global. Le seul dénominateur commun à Jason Bourne, Ghostbusters, Suicide Squad ou Independance Day 2, c’est leur capacité à sortir des sentiers battus. Le résultat peut être tout autant un échec qu’une réussite. À vouloir à tout prix être différents, les blockbusters estivaux 2016 sont finalement tous semblables – qui se ressemble s’assemble. Dès lors, le public n’a pu (à quelques exceptions près, nous y reviendrons) se retrouver dans une position de sécurité/facilité. Or, si Mad Max : Fury Road fut une si grosse claque, c’est aussi pour son contexte de sortie, Hors Compétition d’une sélection cannoise calme et d’une période de blockbusters creuse (mai). Mais peut-on accrocher à des films tentant tous des choses différentes, ne nous laissant jamais dans notre zone de confort ? Oui, bien sûr on le peut, mais pas le grand public. Le seul point positif peut être que certains de ces films, s’ils n’ont pas trouvé leur public en salle, le trouveront dans les prochains mois.

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DANS L’OMBRE, SUCCÈS DU FILM DE GENRE

Par effet de vases communicants, ces films très semblables entre eux et pourtant différents ont permis à d’autres films américains (et plus particulièrement des genres) de dominer. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce sont l’animation et l’horreur qui ont dominé le box office américain cet été. Et quand un film jouit de jouer sur les deux tableaux – Sausage Party – c’est la plus grosse surprise outre-atlantique de l’été (oui, puisqu’en France il faudra finalement attendre novembre 2016 pour découvrir en salle la Saucisse Partie). Financièrement, ce sont Le monde de Dory et Comme des bêtes qui ont le mieux marché cet été en amassant ensemble plus de 830 millions de dollars sur le sol américain (et le double dans le monde). Belle performance pour un genre qui, lors du bilan annuel en fin d’année, pourrait être le grand vainqueur. À l’instar de l’animation, le cinéma d’horreur a su bien tirer son épingle du jeu cet été, avec Don’t Breath actuellement, mais aussi Dans le Noir (65 millions de recettes pour un budget de 5) ou Conjuring 2. Un succès étonnant, possible aussi (ne l’oublions pas) grâce aux gens derrière (James Wan pour le cinéma d’horreur, ou Pixar/Universal pour l’animation).

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SERIES STRIKES BACK

Une autre mécanique bien huilée est celle de l’univers de la télévision. Calquées sur l’année scolaire, les chaînes, qui font leur rentrée en septembre/début octobre, n’oublient pas de faire une longue pause hivernale après le mid-season aux vacances de Noël pour finir sur un season final aux alentours de mai/juin. Aux Etats-Unis (comme en France), l’été est donc l’occasion de se reposer : plus de talk-show, plus de grosses séries. À la limite, c’est la période pour les networks les plus courageux de s’essayer à des séries différentes, visant un public de niche par exemple (on pense notamment à Mr Robot très récemment). Mais cela fait quelques années que la révolution à la télévision a eu lieu, et les systèmes de VOD frappent fort. Netflix et Amazon en tête n’ont pas de grilles de programme à respecter, pas d’audiences à divulguer. En bref, ils transgressent les règles comme bon leur semble. Or, cet été, Netflix a probablement remporté le prix du plus gros succès public/médiatique (avec Pokemon Go dans son genre). Vous l’avez compris, car si vous lisez ces lignes vous y avez (au moins partiellement) succombé :  Stranger Things. En 8 épisodes lancés sur la plateforme payante le 15 juillet, la série a franchi les frontières géographiques, sociales et d’âge. En nous replongeant dans les années 80 et en mixant étonnamment Carpenter/Spielberg, la série a atteint un niveau de popularité très fort. Loin de nous l’envie d’en dire trop de bien – on avait dit pas de subjectivité ?! Stranger Things, en surfant sur une vague de nostalgie des années 80, a conquis le monde. Si Netflix refuse toujours de communiquer ses audiences, Variety rapporte que la série a été suivie par 9 millions d’américains dans les 16 jours suivant son lancement. Seules 2 séries made-in-Netflix ont su faire mieux (OITNB et Fuller House). Ce succès a-t-il participé à la baisse d’audience des films hollywoodiens de cet été ou bien en a t-il été la conséquence ? Toujours est-il que le network a plus d’un tour dans son sac, en témoigne la très généreuse et puissante série The Get Down mise en ligne en août sur la plateforme, tandis que Narcos clôturera la saison estivale début septembre.

Êtes-vous déçus de cet été hollywoodien ?

— Simon (@MisterHP7) 28 août 2016

(NOUVELLE ?) VAGUE ASIATIQUE

Enfin, dans la catégorie qui-a-causé-quoi, on peut se demander si le succès d’un cinéma différent a été la cause ou la conséquence de l’absence de films hollywoodiens sur tous les tabloïds. Outre le cinéma de genre américain, c’est un cinéma d’un autre pays qui a été mis à l’honneur (notamment en France en attendant la sortie de l’immense Mademoiselle en octobre) : le cinéma coréen. Celui-ci s’est imposé par le biais de 3 grands films, tous à la fois différents et pourtant s’accrochant à des références bien connues des occidentaux : l’inquiétant The Strangers, mixant humour et horreur, le surprenant Man on high Heels, sorte d’hommage à la sensualité d’Almodovar et DePalma à la sauce Park Chan Wook, sans oublier celui qui sortira peut-être vainqueur de cet été : Dernier Train pour Busan. Cette claque coréenne, que nous avions découverte lors d’une séance de minuit particulièrement passionnée (on ne rappellera jamais l’impact qu’ont les grands films sur les festivaliers) est une fable sociale sur fond de zombies qui réinvente le genre tout en tirant un puissant hommage à Romero et son inoubliable trilogie. Toujours là où on ne l’attend pas, comme cet été cinématographique définitivement unique.

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Ainsi donc, cet été hollywoodien aura été morose pour les porte-feuilles des majors. Loin des chiffres attendus, les blockbusters estivaux ont su s’essayer à des méthodes de narration, de montage, de messages différents tout en surprenant le spectateur. Spectateur qui n’aura donc pas été au rendez-vous, préférant de loin se replonger dans les eighties ou le cinéma asiatique, quand ce n’était pas dans les librairies pour acheter le nouvel Harry Potter ou dans Central Park à la recherche d’un Pokemon rare. Peut-être donc que les majors n’ont pas bien choisi leur été pour innover et surprendre, se tirant littéralement une balle dans la jambe. Car aujourd’hui plus que jamais, l’art est omniprésent et accessible à la demande. Et cet été a prouvé que le cinéma n’était donc plus l’art le plus lucratif.

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