Rester Vertical

Par Cinealain

Date de sortie 24 août 2016


Réalisé par Alain Guiraudie


Avec Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry,

Christian Bouillette, Sébastien Novac, Basile Meilleurat, Laure Calamy

Genre Drame


Production Française

Synopsis

Léo (Damien Bonnard), sénariste, ou réalisateur est à la recherche du loup sur un grand causse de Lozère lorsqu’il rencontre une bergère, Marie (India Hair). Celle-ci vit avec son père, Jean-Louis (Raphaël Thiéry)

Quelques mois plus tard, Léo et Marie ont un enfant. En proie au baby blues, et sans aucune confiance en Léo qui s’en va et puis revient sans prévenir, Marie les abandonne tous les deux.

Léo se retrouve alors avec un bébé sur les bras. C’est compliqué mais au fond, il aime bien ça. Et pendant ce temps, il ne travaille pas beaucoup, il sombre peu à peu dans la misère.

C’est la déchéance sociale qui le ramène vers les causses de Lozère et vers le loup.

India Hair et Damien Bonnard

Entretien avec le réalisateur relevé dans le dossier de presse.

Votre cinéma se singularise beaucoup par son goût pour la nature... et par une très forte incarnation sexuelle. vous êtes sans doute l’un des moins pudiques parmi les cinéastes français.


La question du sexe, je tourne autour depuis toujours, et comme pour beaucoup d’entre nous, elle me fascine autant qu’elle me fait peur. C’est même ça qui la rend si intéressante ! Mon approche part donc de très loin, peut-être même d’un point de vue si enfoui qu’elle était parfois difficilement repérable. Mais après avoir surmonté mes premières peurs, j’ai voulu dépasser les suivantes, et ainsi de suite comme un défi. D’où sans doute cette impression d’impudeur, mais ça n’est pas volontaire. Ce qui m’importe c’est que ça ne soit ni grave ni solennel.

Au début de Rester vertical, c’est très sage. On entre dans votre film comme dans un conte pour enfants qui se mettrait en place sous nos yeux : un vieil ogre, un jeune homme, l’orée d’une forêt et un noble chevalier qui débarque...


Je crois qu’il a toujours été très important pour moi d’établir des ponts entre ma vie d’hier et celle d’aujourd’hui à travers le conte, la légende, le mythe. C’est important pour moi d’aller chercher dans cette direction. Ça nous est essentiel depuis la nuit des temps. Cela grandit nos vies, les remet en perspective, nous fait communiquer avec ce qui nous dépasse, la grande aventure de l’homme et de l’univers.

Le personnage de Jean-Louis est, dans ce sens, tout à fait mythologique, avec son corps et sa tête hors du commun. Beaucoup d’éléments du film rejoignent en effet l’imaginaire du conte : le bourg de Séverac surplombé par un château, les zones mystérieuses du marais poitevin et, bien sûr, le loup...

Certaines scènes quittent le registre du conte pour emprunter celui du rêve, voire du cauchemar.

Il y a toujours eu dans mon travail une dialectique entre rêve et réalité qui me permet d’y voir plus clair, de dégager les horizons, d’ouvrir des brèches. J’ai toujours fait ça mais je le signale de moins en moins. J’arrive à me passer désormais des panneaux "Attention : rêve". Le processus cinématographique est lui même très proche de celui des rêves, qui incite à prendre beaucoup de liberté. Il y a une part du film qui est une sorte de vie rêvée, parfois cauchemardée, et cette part vient dialoguer avec l’autre, plus réaliste. Être à l’écoute de cette dimension onirique est peut-être un subterfuge pour ne pas perdre de vue mes rêves d’enfant. Et cette injonction que je ressens d’aller si souvent planter ma caméra en plein champ a sans doute aussi à voir avec ça. Enfant, j’ai adoré la nature et ces moments passés à faire des petits barrages sur les ruisseaux. Je vis maintenant en ville mais j’ai toujours besoin de revenir d’une manière ou d’une autre en pleine nature avec mes films.

Ces parfums d’enfance, de mythe, de rêve, n’empêchent pas Rester vertical de croiser de nombreuses questions urgentes qui agitent la société contemporaine. Mais vos intentions ne paraissent jamais intellectualisées ; elles gardent une spontanéité concrète.


Je ne filme pas les choses pour les forcer, mais pour les mettre sur la table, pour aborder des questions en étant le plus fidèle à la façon dont je me les pose vraiment. Forcer les choses ne me mène à rien. Je préfère l’idée de réinventer le réel, y introduire de la marge, du jeu. Cela permet d’échapper à l’idée de fatalité, de destin. Je ne me vis pas comme un intellectuel même si mon activité principale consiste à écrire. Je suis très travaillé par ces nouvelles questions autour du genre, de la procréation, de la GPA ou de l’euthanasie, mais il est vrai que je ne les théorise pas, et de toute façon, je n’ai pas une opinion très tranchée sur tout ça. J’écris et je filme inspiré par la réalité, l’actualité que je trouve souvent abordées au cinéma de façon trop dogmatique ou illustrative.

Rester vertical aborde également le thème très débattu aujourd’hui du suicide assisté, que vous traitez d’une façon fort spectaculaire, pourrait-on dire...


En commençant mon scénario, je me doutais que Marcel mourrait et que Léo serait impliqué mais je n’avais aucune idée préconçue du "comment". C’est en l’écrivant que j’ai compris qu’elle devenait naturellement une séquence-clef du film. Je n’avais pas interprété ça comme un "suicide assisté" au moment même où j’y ai pensé. Mais c’est en écrivant la scène suivante, avec les flics constatant le décès, que la formule a surgi de la logique des personnages. Quant au côté spectaculaire, enfin, ce n’est pas une grande nouveauté non plus : le sexe et la mort, c’est déjà dans la Grotte de Lascaux. Au fond, dans ce film comme dans la vie, ce sont des choses qui viennent intuitivement et arrivent à trouver a posteriori leur raison d’être, leur sens, leur nécessité... et ça fait un film très jubilatoire à construire.

Le film semble développer une forme de nostalgie sans regrets sur une époque évanouie, disparue.

"Nostalgie sans regrets", c’est une formule qui me plaît beaucoup. Et même si c’est un lieu commun de penser qu’on était davantage ensemble, plus solidaires, plus collectifs dans les années 70 et même 80 qu’aujourd’hui, je ne peux pas m’en empêcher. Je ne sais pas si ça relève d’une réalité ou si c’est un point de vue subjectif. De façon générale, lorsqu’on est jeune, on est plus en bandes, avec les autres dans une envie de proximité. C’est peut-être plus ma jeunesse (qui au fond n’était pas si géniale) que les années 70 dont j’ai la nostalgie. Il y avait un pays et une façon de vivre auxquels j’étais très attaché, comme ce Larzac qui était pour moi un  "ailleurs" très intense de ma jeunesse, un ailleurs à la fois politique, géographique et affectif, mais ce n’est pas du tout ce pays-là que je filme dans Rester vertical, ou alors pour évaluer la distance qu’on a pris avec cette époque, un monde dont j’ai l’impression qu’il pourrait disparaître. Ce parfum seventies, je me le trimballe, je le cultive même. Il y a une part éternelle en moi qui reste du côté de l’internat de mon adolescence, des virées en meule et des bals du samedi soir.

La nostalgie, c’est un peu inévitable : c’était plus émoustillant de découvrir les Pink Floyd à 15 ans que les Wooden Shjips aujourd’hui, mais je sais que c’est subjectif. Avec l’âge, les découvertes ont moins d’intensité.

D’ailleurs votre film est sans doute moins directement politique que les précédents.


Je ressens pourtant quelque chose de fondamentalement politique dans ce film mais je suis incapable de dire quoi. La question politique ne se pose plus sur le même mode. Comme pas mal de monde, plus j’avance, plus je tâtonne, et plus je suis largué. Bien sûr j’ai stabilisé deux ou trois trucs, forgé quelques principes, gardé quelques certitudes, mais dans l’ensemble, je suis dans le doute... Les choses deviennent de plus en plus compliquées, non ? La question politique la plus directe dans le film, c’est la question du loup. C’est une question très clivante et plutôt indémerdable. Qu’est-ce qu’on fait avec cet animal que certains souhaitent protéger et qu’est-ce qu’on fait avec les bergers ? Si on veut encore des brebis élevées en plein air, un pastoralisme traditionnel, il faut supprimer le loup. Le film fait état de mon propre embarras sur une foule de questions qui en découlent. Est-ce que c’est si important d’avoir des loups en France ? En creusant la question du loup, en discutant avec ceux que cette affaire concerne, j’ai découvert combien ce problème concret pouvait devenir une métaphore, une métaphore politique mais aussi existentielle. Elle fait résonner des thèmes ancestraux, bibliques et débouche sur des impasses très contemporaines.

C’est aussi un film sur des hommes seuls.


Des hommes et des femmes. Je n’ai jamais vraiment filmé autre chose : des histoires de gens qui sont seuls ensemble. Et puis je voulais inverser l’image du "parent isolé", montrer que cela peut-être le cas, parfois le souhait, d’hommes d’élever leur enfant seuls, exactement comme une femme qui ne choque plus personne lorsqu’elle fait "un bébé toute seule".

Au fond, n’est-ce pas ce que le héros du film voulait : avoir l’enfant sans s’emmerder avec la femme ? Cela permet aussi de faire un sort à certains clichés : toutes les femmes n’ont pas à être sommées d’avoir l’instinct maternel, par exemple. Je me suis plu à retourner ou à triturer ces questions de société.

La scène finale avec les loups est baignée dans une lumière très mythologique, avec un petit parfum biblique façon peinture italienne renaissance... elle a un côté bigger than life qui donne une dimension nouvelle à votre cinéma.


Je suis de plus en plus attaché à ça, je crois, le "bigger than life". On en a besoin. Grandir le réel, l’amener vers autre chose. Tout le film tendait vers ça. On dit souvent que toutes les histoires ont été racontées mais je ne trouve pas : Rester vertical, au moins, c’est typiquement le genre d’histoire que je ne vois pas au cinéma. J’ai envie de continuer à pratiquer un cinéma de la rêverie mais aussi, de plus en plus, de le conjuguer avec la brutalité du réel, d’aller chercher l’adversité, les choses pas toujours reluisantes. La contradiction profonde dans laquelle se trouve le héros culmine dans cette scène finale où il voudrait réunir le loup et l’agneau. Il cherche à réaliser une utopie où ils coexisteraient sans dommage. D’une certaine façon, pour résoudre l’équation du film, je me suis davantage laissé porter par l’émotion. Il y a des cas où la logique ne suffit plus. Rester vertical est le premier film où je fais ça aussi clairement.

Justement, ce titre...


J’ai lu quelque part que, pour le loup, l’homme est un animal vertical, et que cette verticalité lui inspire la prudence, le respect ou la crainte. En Lozère, j’ai rencontré des gens qui ont entendu dire ça par leurs grands parents : face au loup, il faut rester debout. J’ai aimé la formule. Elle contient aussi cette dimension politique et programmatique qui m’importe beaucoup. Quant à sa connotation sexuelle elle n’est évidemment pas pour me déplaire.

Mon opinion

Solitude, instinct paternel, peur du loup, entre autres, sexe, masculin et féminin, baby blues, monoparentalité, gérontophilie, doute, mort assistée, l'étoile du berger, aussi.

Tous ces thèmes côtoient l'histoire chaotique d'un scénariste paumé. Entre Brest et la Lozère, la route sinueuse est longue, improbable aussi.

Des rencontres incertaines et quelques courts dialogues viendront ponctuer ces allers et retours. Un arrêt chez une naturopraticienne, ou plus simplement guérisseuse, finit par semer un certain scepticisme.

L'ensemble est âpre, trouble, souvent cauchemardesque.

À la toute fin du film, sous un ciel magnifique, le principal protagoniste, barbu comme les représentations de Moïse, reste debout devant les loups. Un nouveau film de ce réalisateur, libre, très loin de la candeur qui baignait ces premières réalisations.

Je suis ressorti de la salle chaos.