Analyse et Explication : Suicide Squad

Notre analyse quant à la polémique qui entoure Suicide Squad, le dernier film de l'univers étendu DC au cinéma réalisé par David Ayer. A promettre moult merveilles dans ses nombreux trailers, le studio de production Warner Bros aurait-il fait fausse route ?

Qui se frotte à Marvel se pique sur les critiques. Avec le succès colossal du MCU en route depuis 2008, la Warner flaire le bon filon et lance son propre univers étendu avec les héros de chez DC Comics en commençant en 2013 avec Man of Steel. Cette année 2016 complète le tableau avec deux autres films, Batman v Superman et enfin l'intéressé du jour, Suicide Squad. Deux films très différents, mais en fait très liés du point de vue de la réception du grand public. En effet, après sa sortie, Batman v Superman- ou BvS - n'a pas convaincu, malgré des qualités scénaristiques et narratives évidentes - et les mauvaises critiques ont emmené la Warner à revoir leur équipe de super vilains de Suicide Squad. Sans doute la plus mauvaise décision qu'ils pouvaient prendre. Explication.

Analyse et Explication : Suicide Squad

Simplicité et efficacité

Rien qu'à l'annonce de son éventail de personnages, nous étions prévenus, Suicide Squad ne fait pas dans la dentelle. Harley Quinn, Deadshot, Killer Croc, El Diablo, l'Enchanteresse... nous voici face à une équipe de super vilains. L'ennui avec une équipe, c'est qu'on a rarement le temps en deux heures de présenter tout le monde, surtout lorsque l'on choisit comme la Warner de ne pas se diriger vers un mode de production " un personnage, un film ". Pour aller au plus simple, les scénaristes et membres de la production derrière Suicide Squad ont décidé de mettre l'accent sur quelques membres de l'équipe, soit Deadshot, interprété par Will Smith, et la tant attendue Harley Quinn, incarnée par Margot Robbie (vue dans Le Loup de Wall Street ainsi que dans Diversion aux côtés de... Will Smith !). Une inégalité de développement de personnages qui pourrait cependant bien être réglée si le film sera bien disponible en version longue pour sa sortie blu-ray, à l'image de Batman v Superman. Une fois le défilé des CV de nos super vilains terminé, place à l'histoire. L'action se situe après Batman v Superman, et le monde se prépare à affronter d'autres méta-humains. Amanda Waller (Viola Davis de How to get away with murder) décide de réaliser l'irréalisable et de rassembler des criminels pour servir d'équipe fusible face à cette menace. Avec un postulat de départ aussi bateau, il parait évident que les enjeux majeurs de Suicide Squad ne se concentrent pas autour de son scénario.

Suicide Squad s'applique en fait à étoffer un univers que l'on ne connaît aujourd'hui que par ses héros, Batman et Superman. On montre l'envers du décor en plaçant en tant que protagonistes des personnages que l'on ne souhaiterait pas forcément voir gagner dans d'autres circonstances. Jamais on ne cherche à justifier leurs actes, si bien que le film montre peu de leur backstory, hormis pour Deadshot et Harley Quinn. En ce qui concerne Deadshot, on ne nous présente qu'une histoire très basique avec un père criminel cherchant à protéger malgré tout sa fille. Néanmoins, il s'impose rapidement en tant que chef d'équipe, et réunit autour de lui " la famille Suicide Squad ", où chacun de ses membres semble trouver sa place : El Diablo cherche la rédemption d'avoir tué les siens ; Killer Croc et Captain Boomerang, deux solitaires, s'intègrent enfin à un groupe ; Katana trouve de nouveaux proches après le meurtre de son époux. Un ensemble un peu maladroit, mais efficace à l'écran, un peu comme tout le film. Avec Suicide Squad, on est loin de l'ambition des deux heures et demie d'exposition et d'enquêtes avant le combat final dantesque de Batman v Superman. L'action se déroule en une nuit, dans une ville en ruines où le groupe progresse jusqu'à son objectif : arrêter le méchant encore plus méchant qu'eux. On est ici dans la simplicité pure. D'ailleurs, l'antagoniste, qui n'est autre que June Moone alias l'Enchanteresse (jouée par Cara Delevingne), avait été bien caché dans les trailers, et la voir vouloir détruire le monde alors qu'on la pensait membre de l'équipe reste une surprise. Une surprise de moindre qualité vu ses piètres qualités d'archéologue et la futilité de son plan diabolique, mais une surprise quand même.

Harley Quinn, l'héroïne du film

Pour Harley Quinn et sa toute première interprétation sur grand écran, quoi de plus simple que de reprendre les grandes lignes de son histoire canon, développée dans le désormais célèbre épisode Mad Love de la série animée Batman de 1992. Et comment parler de Harley sans évoquer son cher et pas si tendre Monsieur J. Sous le sourire du Joker, Jared Leto, qui nous offre une version très différente de celles déjà interprétée par Jack Nicholson en 1989, ou de Heath Ledger dans la trilogie Batman de Nolan. Avec des looks plus actuels et très bling-bling, le duo Harley/Joker formé par Jared Leto et Margot Robbie fonctionne à merveille. On sent que les personnages ont été écris ensemble, et on apprécie la justesse du fanservice, géré avec plus de finesse qu'on ne pourrait le croire, notamment avec une superbe scène se déroulant dans l'usine d'Ace Chemicals où le Joker récupère Harley dans une cuve de produits chimiques. Clairement, le Joker a façonné de A à Z cette Harley, au final proche et en même temps assez éloignée des versions de la série animée ou des jeux Batman Arkham. Aguicheuse et presque vulgaire perchée sur ses talons aiguilles, elle garde sa personnalité folle et enfantine qui a fait sa réputation. Bref, 20/20 pour Harley Quinn.

L'ennui d'avoir écrit Harley avec le Joker, c'est d'avoir un Joker écrit avec Harley. Si on apprécie voir un nouveau Joker, on imagine mal ce chef de gang tatoué et cerclé de colliers en or affronter le Bat de Gotham. Il manque à la version de Leto ce quelque chose qui rendrait son Joker plus convaincant face au Batman de Ben Affleck (en particulier un rire emblématique, symbole du Joker, loin d'être convaincant dans Suicide Squad). Avec son gang de peluches armées jusqu'aux dents, on l'intègre à la pègre de Gotham, mais cela lui retire son aspect sociopathe, et les flashbacks montrés dans Suicide Squad ne le montre pas particulièrement obsédé à l'idée d'arrêter Batman. Le Joker de Jared Leto paraît fou dans le sens versatile ou instable, montré à la caméra par des changements brusques de lumière. Mais avec le peu d'éléments gardés au montage final, il ne semble pas tout à fait encore à la hauteur de sa réputation.

Une réputation qui le précède et qui dépasse les frontières du film. Depuis la sortie de Suicide Squad, on voit fleurir nombre de posts et commentaires quant à la relation entre Harley et le Joker, jugée ici trop romantique. A-t-on vraiment envie de voir que ce l'on sait déjà, c'est-à-dire une relation abusive où le Joker manipule Harley, voire la frappe carrément si elle fait une erreur ? La réponse est non. Décrire Harley comme une femme battue, souffrant du syndrome de Stockholm mais croyant quand même en l'amour ne correspond pas à ce que souhaite faire la Warner pour son DCEU. En effet, il est intéressant de regarder la situation dans son ensemble pour comprendre pourquoi cette relation est inédite. Après un Batman v Superman sinistre où nos héros torturés s'affrontent et meurent, dépeindre des antagonistes comme le Joker et Harley Quinn comme formant un couple - et non un geôlier et sa prisonnière - prouve bien que le DC Extended Universe est foncièrement décalé, voire anti-manichéen. Là où Superman et Batman paraissent dépressifs, Harley et le Joker semblent - à première vue - plus transis l'un de l'autre que dans n'importe quelle autre version déjà parue. Cet univers cinématographie revisite les codes, et ne serait-ce que pour la prise de risques, on valide. Néanmoins, il manque clairement des scènes avec Harley et le Joker, qui pourrait sans doute se révéler bien plus manipulateur qu'on ne le pense. Affaire en suspens donc.

Une production chaotique

L'un des problèmes majeurs de Suicide Squad est son montage final, ou plus exactement, les choix qui ont été faits pour le montage final. Fin 2014, à l'annonce du calendrier des films DCEU, les choses étaient claires : la Warner se lançait sur le même chemin que Disney avec les films Marvel Studios. De octobre 2014 à sa sortie ce mois-ci, la Warner n'a eu de cesse de changer son fusil d'épaule quant à la production et à la promotion de Suicide Squad. Mise en avant abusive du personnage du Joker pour rassurer les fans (malgré les mauvais retours quant aux premiers visuels de la version Leto), changement brusque entre ambiance très sombre et affiches très colorées, comparaison intempestives avec les productions Marvel, la pression et les attentes autour de Suicide Squad n'ont cessé d'augmenter, notamment à la sortie de Batman v Superman. Les mauvaises critiques de ce film n'ayant pas rassuré la production, il a été décidé de faire pour Suicide Squad deux montages foncièrement différent, l'un plutôt sombre et l'autre plus coloré et fun, pas franchement dans l'esprit du DCEU jusqu'ici.

Le résultat final diffusé en salles est un fait un mélange de ces deux montages, approuvé par le réalisateur David Ayer. Si repartir en reshoot une fois le tournage terminé est une pratique courante au cinéma (une pratique toutefois coûteuse, puisqu'on ne rappelle pas les acteurs et on ne remonte pas les décors uniquement pour " rajouter des blagues "), on s'interroge néanmoins sur cette méthode à deux montages. Le film final, hybride entre une ambiance assez dark et des efforts évidents pour allécher l'ensemble, n'a clairement pas convaincu le public. Le pire de l'histoire ? Les scènes coupées du montage final qui, si on en croit les nombreuses rumeurs qui circulent depuis la sortie du film, concerneraient principalement le Joker, et certains membres de l'escouade, comme El Diablo ou Killer Croc. Bientôt, le plus simple serait de sortir directement les versions longues au cinéma, quitte à avoir des films de 3h en salles, parce qu'à persister dans ce modèle de " Final cut " VS " Director's cut ", les films en salles vont finir par devenir des teasers du véritable film qui sortira 6 mois plus tard en blu-ray. Les studios devraient se pencher sur la question, car le verdict du public est sans appel : le montage est ce qu'il y a de plus raté dans Suicide Squad.

Suicide Squad face à la concurrence

Dans la même idée que le point soulevé précédemment avec le résultat hybride fun/dark de Suicide Squad, et les doutes de cohérence de voir le Joker de Leto face à Batfleck, on est en droit de se demander si l'univers étendu créé par la Warner va tenir la route. Ou plutôt si la Warner va tenir sa ligne de conduite face à la concurrence. En près de 10 ans de règne Marvel sur la production de films de super-héros, le public s'est clairement habitué à un rythme de sortie et à un style d'écriture particulier. L'esprit Marvel pourrait se résumer autour de ces quelques concepts : une démarche très proche des comics avec une construction en arcs, les fameuses phases, et une ambiance toujours prompte à la légèreté avec beaucoup d'humour pour attirer un large public par forcément adepte des comics à la base. La Warner a pris le contrepied en choisissant un déroulement chronologique, où les films se suivent et où les personnages, à l'inverse d'un film " prétexte " à les rassembler, se rencontrent au fur et à mesure (comme on peut le voir avec les caméos de Flash). Un autre aspect important du DCEU est son atmosphère, bien plus sombre que chez Marvel, tant au niveau de la photographie que des thèmes abordés. Batman v Superman résume en lui-même tout le concept du DCEU, mais, comme évoqué plus tôt, les mauvais retours ont sans doute amené le studio à revoir Suicide Squad. Légitimement l'équivalent des Gardiens de la Galaxie de chez DC, Suicide Squad souffre depuis sa sortie de cette comparaison. Même idée de groupe de criminels, même intention d'étoffer leur univers respectif, même notion de bande-originale avec beaucoup de titres célèbres... mais définitivement loin d'être le même film. Là où les Gardiens sont arrivés assez tardivement dans le MCU, c'est-à-dire en fin de deuxième phase, Suicide Squad n'est que le troisième film du DCEU. L'univers est donc encore en pleine construction, il est donc normal d'avoir beaucoup d'exposition de personnages. Ainsi, pour éviter l'indigestion d'avoir deux heures d'un film lent ne faisant que de l'exposition, le parti-pris d'avoir fait un film d'action simple avec un scénario des plus basiques n'est absolument pas un problème.

Quant à la question de l'incohérence de Suicide Squad dans le DCEU, elle n'a pas encore lieu d'être. Jusqu'ici, aucune incohérence majeure n'a eue lieu - incohérence du style Thor qui protège Londres seul dans Thor 2 : Le Monde des Ténèbres, là où le SHIELD ou les Avengers auraient pu être présents pour intervenir - et le changement brusque d'ambiance entre Suicide Squad et ses prédécesseurs peut se justifier sur le fait que le film se concentre sur des personnages très différents. Le DC Extended Universe part donc sur de bonnes bases, avec un principe simple s'appliquant à chacun des trois films sortis à ce jour : les méta-humains, et leurs responsabilités face au reste du monde. Un principe pas si éloigné de ce que fait Marvel dernièrement, puisque les conséquences des actions des Avengers étaient le cœur de Captain America : Civil War. Peut-être faudrait-il alors voir comment chaque univers cinématographique traite leurs super-héros et en quoi chacun complète l'autre, plutôt que de les opposer systématiquement en affirmant que l'un est meilleur que l'autre. En résumé, Suicide Squad n'est pas un mauvais film pour ce qu'il est réellement : c'est un film pour lequel sa production a fait les mauvais choix, que ce soit pour le montage final ou la campagne promotionnelle, dans le seul but de se rapprocher d'un univers semblable et mieux installé dans l'horizon cinématographique du genre des super-héros. Regarder Suicide Squad, c'est regarder un film simple, qui étend l'univers DC au cinéma avec de nouveaux personnages et qui propose quelque chose de nouveau au sein même de cet univers. Mais avec Harley Quinn, et ça, c'est cool.

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