Fear And Desire (Le 1er film de Stanley Kubrick)

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Genre : guerre, drame

Année : 1953

Durée : 1h01

Synopsis :

Dans une guerre abstraite en terre inconnue, une patrouille militaire de quatre hommes, le lieutenant Corby, le sergent Mac et deux soldats, Fletcher et Sidney, se retrouvent derrière les lignes ennemies après que leur avion se soit écrasé. Ils avancent dans la forêt, surprennent deux militaires ennemis et les massacrent. Puis ils rencontrent une jeune fille et, craignant qu'elle ne les dénonce, l'attachent à un arbre. Pendant que ses trois camarades vont vers la rivière construire un radeau qui, espèrent-ils, les ramènera chez eux, Sidney garde la jeune femme. Il se révèle alors avoir l'esprit dérangé, autant à cause des violences de la guerre que de son désir naissant envers la prisonnière…

Critique :

Je crois bien qu'il est absolument inutile de vous présenter Stanley Kubrick, considéré à juste titre par beaucoup, comme l'un des plus grands réalisateurs de tous les temps. Cinéaste controversé, sa carrière fut semée de polémiques en tout genre qui ont davantage contribué à sa réputation. Ainsi, Orange Mécanique causera un gigantesque scandale dans sa représentation stylistique de la violence alors que l'époque n'était pas encore préparée à l'ultraviolence. Considérons aussi le cas de Lolita qui fera scandale dans les milieux puritains en narrant une relation juvénile.
Et bien sûr, comment ne pas parler du cas de Les Sentiers de la Gloire dénonçant les exactions douteuses moralement de l'armée française durant la 1ère guerre mondiale ? Si ce réalisateur est aujourd'hui adulé par toute une génération de cinéastes et de cinéphiles, il ne faut pas oublier qu'il fut quelque peu indésirable pour certaines personnes à l'époque.

Chronique plutôt courte aujourd'hui en raison de la très faible durée d'une petite heure de bobine, laissez-moi vous présenter le tout premier (et l'un des plus méconnus de sa filmographie) premier film de notre réalisateur, à savoir Fear And Desire. Film qui a d'ailleurs sa petite histoire en raison des nombreuses épreuves qui lui sont tombées dessus pour arriver entre nos mains aujourd'hui. Ainsi, pour "bien" commencer, le film bénéficiera d'une diffusion limitée au grand public et ce, dès sa sortie, avant de devenir tout simplement introuvable par son absence d'exploitation commerciale, bref aucune cassette ou DVD. Mais le calvaire ne s'arrête pas là car s'il y a eu absence d'exploitation, cela fut due à la destruction de la quasi totalité des copies connues du film par la volonté même du réalisateur qui considérait ce film comme un travail d'amateur. A ce stade, je pense que nous pouvons clairement parler de film indésirable. Fort heureusement, une restauration du film fut entreprise à partir de l'une des rares copies conservées pour aboutir à la sortie officielle en DVD et Blu-Ray en 2012.
Tout est bien qui finit bien et maintenant refermons cette parenthèse historique pour passer à la critique.

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ATTENTION SPOILERS : Nous voici plongés dans une guerre abstraite dont nous ne savons rien. Un bataillon de 4 soldats se retrouve en plein territoire ennemi après que leur avion se soit écrasé. Possédant en tout et pour tout une arme, ils trouvent une patrouille de 2 soldats et les massacrent. Par la suite, ils croisent une jeune fille isolée revenant d'une rivière située en contrebas et l'attachent à un arbre pour éviter qu'elle ne les dénonce. Pendant que 3 des soldats se préparent à construire un radeau pour tenter de retourner en territoire allié, Sydney est affecté à la surveillance de la jeune. Déstabilisé mentalement par les conséquences de la guerre ainsi que de son désir naissant envers la prisonnière, il sombre peu à peu dans la folie. FIN DES SPOILERS.

Voilà qui a de quoi intéresser les amateurs de thrillers psychologiques et adeptes d'un cinéma de guerre différent. Comme vous pouvez vous en douter, inutile de rechercher ici des combats renforcés à grand coup d'explosions avec des morts par dizaine car déjà, ce n'est pas là le but du récit et deuxièmement, c'est aussi le premier film d'un réalisateur loin d'être déjà reconnu. Mais qu'à cela ne tienne, Fear And Desire, comme j'ai dit une ligne au-dessus, n'a pas cet objectif de spectacle et se révèle être davantage un survival où nous assistons à cette tentative de fuite et de survie d'un bataillon totalement déconnecté de leur patrie. Clairement, Fear And Desire est un film particulièrement étrange embarquant ses spectateurs dans une ambiance déstabilisante et plutôt glauque.
Le simple fait d'évoluer du début jusqu'à la fin dans un contexte nébuleux d'une guerre inconnue dont nous ne connaîtrons jamais les tenants et les objectifs déstabilisera plus le spectateur qu'autre chose.
Deuxièmement, la quasi absence de combats au profit d'une ambiance à mi-chemin entre la survie et la folie, rend ce moyen-métrage davantage obscur et il est évident que le traitement opéré ne plaira pas à tout le monde mais est-ce que j'avais besoin de le rappeler ? Kubrick nous livre ici un film où la guerre apparaît comme une toile de fond dans ce récit (logique me direz vous !), mais où les questionnements philosophiques sont davantage omniprésents. Nous pourrions presque parler de film de guerre expérimental mais avant tout d'un réel film d'auteur.
Les questionnements philosophiques sont légions et le film nous invite à suivre une véritable introspection des personnages face à une guerre dont on devine un ressenti hostile. Ainsi, nous assisterons à de nombreuses reprises aux pensées de chaque soldat par le biais d'une voie intérieure où ils s'interrogeront en permanence sur leurs actes, leurs décisions, leurs états d'âme et leur avenir. Un pari très intéressant, osé mais vite casse-gueule. Mais le hic est que si ce traitement reste plutôt bien pensé, il en devient vite barbant dans la dernière partie avec ces dialogues intérieurs du sergent Mac aux tournures de phrases recherchées cachant plus du vide qu'autre chose. 

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Fear And Desire se casse un peu les pattes en s'enfonçant par moment dans de la branlette intellectuelle et c'est assez gênant je dois dire (mais c'est une opinion assez subjective). Maintenant, passons au point central du récit où l'on verra cette séquence principale, la plus intéressante forcément, d'une jeune fille séquestrée par notre bataillon afin de se protéger d'une éventuelle dénonciation. Je ne vais pas aller par 4 chemins en vous disant que cette séquence est d'excellente qualité et retranscrit déjà ce scepticisme de Kubrick envers la guerre, ses participants et aussi la hiérarchie, dénonciation de nouveau présente avec Les Sentiers de la Gloire.
Ici les soldats ne sont pas des êtres héroïques et irréprochables mais apparaissent davantage comme des personnalités opportunistes qui n'hésiteront pas à pavaner et à prendre presque avec le sourire la situation de la femme se retrouvant purement séquestrée. Une dénonciation assez bien faite du pseudo héroïsme des soldats au cinéma.

Evidemment, Fear And Desire ne s'arrête pas là et atteindra aussi cette dimension psychologique de la guerre avec le soldat Sydney basculant dans la folie face à ce flash-back des 2 soldats massacrés combiné à cette femme, véritable mystère féminin dénuée de parole dont l'apparition sensible et belle apparaît presque comme un havre de paix dans cette guerre. Ainsi, Sydney incarné par Paul Mazursky est complètement investi dans son personnage et nous donne vraiment cette impression de démence. Une séquence qui restera franchement malsaine et ne pourra que déstabiliser et mettre le spectateur mal à l'aise, cela renforcé par des gros plans sur le visage de Sydney.
Chapeau bas mais dommage que la dimension psychologique du SSPT (syndrome de stress post-traumatique) soit trop peu développée.
Au delà de ça, l'interprétation des autres personnages sera largement correcte avec ce sergent Mac antipathique et mesquin et ce lieutenant quelque peu dépassé par les évènements. En revanche, le soldat Fletcher se montrera absolument inutile et transparent. Un petit souci encore une fois.

De plus, comme premier film, la crainte d'avoir affaire à un métrage au budget dérisoire est logiquement bien présente mais Kubrick a bien anticipé la chose et s'est justement concentré, comme dit plus haut, sur un climat davantage anxiogène difficile à décrire exactement mais assez inédit dans un film de guerre. Malheureusement, cela n'empêchera pas le spectateur de tiquer devant l'écran face à cette scène du massacre des 2 soldats complètement dépassés, où la suggération du meurtre au couteau tient plus d'un manque de budget. De même, la séquence finale avec tous les soldats se battant d'une façon risible fait plus sourire qu'autre chose. N'oublions pas aussi que les acteurs incarnant le lieutenant Corby et Fletcher interprétent aussi le général ennemi et son associé.
Mais je ne serai pas trop sévère car le budget limité est là et je suis persuadé que cela a limité un peu Kubrick dans son approche. Il est évident que les marques du réalisateur sont présentes déjà ici avec ce goût prononcé pour la dimension psychologique dans le cinéma et cette affection pour la création d'une véritable ambiance permettant au film d'avoir une vraie consistance.

En conclusion, il est indéniable que Fear And Desire possède plusieurs défauts mais s'en sort sans trop de problèmes majeurs si l'on ferme un peu les yeux sur le manque de budget. Fear And Desire n'est pas un film de guerre ordinaire, loin de là. Si l'action est présente dans la majorité de ce genre de films, le rythme relativement posé et l'ambiance austère et glauque seront les fers de lance de notre film ajouté à un cheminement philosophique du pourquoi d'une guerre. Malgré sa petite heure de bobine, le film se révèle complet et il n'y aurait pas eu de nécessité de rajouter davantage de minutes.
Avec en prime, un final lorgnant du côté du cauchemar éveillé, Fear And Desire renforce davantage son caractère expérimental. Un film de guerre atypique pas indispensable pour les uns mais nettement plus recommandable pour tous les friands de Stanley Kubrick. Une petite curiosité difficile d'accès qui a divisé et divise encore maintenant dans la filmographie du réalisateur. Pour ma part, le pari est réussi sans être transcendant et montre les premiers pas d'un géant. 

Note : 13/20

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