L'Economie du couple

Date de sortie 10 août 2016

L'économie du couple


Réalisé par Joachim Lafosse


Avec Bérénice Bejo, Cédric Kahn, Marthe Keller,

Jade Soentjens, Margaux Soentjens, Catherine Salée,


Genre Drame


Production Belge et Française

Synopsis

Après 15 ans de vie commune, Marie (Bérénice Béjo) et Boris (Cédric Kahn) se séparent. Or, c'est elle qui a acheté la maison dans laquelle ils vivent avec leurs deux enfants, mais c'est lui qui l'a entièrement rénovée.

À présent, ils sont obligés d'y cohabiter, Boris n'ayant pas les moyens de se reloger. A l'heure des comptes, aucun des deux ne veut lâcher sur ce qu'il juge avoir apporté.

L'économie du couple - Cédric Kahn et Bérénice Bejo

Cédric Kahn et Bérénice Bejo

Entretien avec Joachim Lafosse relevé dans le dossier de presse.

D’où est née l’idée du film ? Comment l’avez-vous écrit ?


L’idée est venue d’une rencontre avec Mazarine Pingeot et d’une envie de filmer le couple. Nous avions tous les deux le désir de montrer les émotions, très fortes, qui sous-tendent les conflits conjugaux et dont l’argent est très souvent le symptôme. Mazarine a l’habitude d’écrire en binôme avec une autre scénariste, Fanny Burdino. Je travaillais de mon côté avec Thomas van Zuylen. Elles faisaient une version et nous l’envoyaient. Nous la retravaillions et la leur renvoyions. Et ainsi jusqu’à la préparation du film. À partir de là, je n’ai plus travaillé qu’avec Thomas et les comédiens. En ce qui me concerne, l’écriture n’est vraiment terminée qu’une fois le film tourné. Pour être juste, il faut chercher et essayer en permanence ; et, surtout, réussir à se débarrasser des idées pour permettre l’incarnation. L’écriture doit aussi appartenir aux acteurs pour qu’ils puissent s’emparer du jeu avec justesse et le film ne serait pas ce qu’il est sans leur apport.

L’argent est-il le symptôme ou la cause de leurs conflits ? Boris, issu d’un milieu moins favorisé, n’a pas d’argent. Marie en a.


Dans un couple, l’argent représente ce sur quoi on peut se disputer : il n’en est pas la cause. Ce n’est pas à cause de lui que Boris et Marie n’arrivent plus à s’aimer. Derrière le sujet de discorde qu’il représente, il y a la manière dont l’un est reconnu ou ne l’est pas, celle dont il a envie que l’on reconnaisse ce qu’il a fait ou ce qu’il n’a pas fait.

L'économie du couple - Cédric Kahn et Bérénice BejoIl n’y a pas d’effort uniquement économique ou financier. Boris et Marie ne parviennent pas à s’entendre sur la manière dont ils auraient à reconnaître ce qu’ils se sont apportés l’un l’autre parce qu’ils n’ont pas eu la lucidité d’aborder concrètement et dès le début l’investissement de chacun dans leur couple.

Les bons comptes font aussi les grandes histoires d’amour.

Pas de lecture politique, donc, derrière ce titre – L'économie du coupe  ?


C’est une lecture possible. Un metteur en scène est là pour rendre son film le plus multiple possible, avec le plus d’identifications possibles. Mais je n’ai pas voulu le prendre sous cet angle là. Je suis parti de l’idée simple qu’a priori, quand on a des enfants avec quelqu’un, ce n’est jamais parce qu’on a imaginé que ça n’allait pas durer. Ce qui oblige à constater qu’il y a toujours une émotion à observer la tristesse de la séparation… de ce qu’on n’avait pas imaginé.

La situation de ce couple est d’autant plus douloureuse que, Boris n’ayant pas les moyens de se reloger, le couple est obligé de continuer à cohabiter ensemble.


Il était impossible de ne pas tenir compte de cette réalité économique : le coût des loyers dans les grandes villes est devenu tel qu’énormément de gens mettent du temps à se séparer parce qu’ils ne parviennent pas à se reloger chacun de leur côté. Autrefois, on restait ensemble pour des raisons morales ; aujourd’hui, on le fait pour des raisons financières. Cela dit quelque chose sur notre époque…

Pourquoi avoir souhaité opposer un couple d’adultes à des jumelles ?


Il y a des années que je voulais mettre en scène un couple qui se sépare face à un couple d’enfants jumeaux : dès leur naissance, et malgré le fantasme que l’on peut avoir lorsqu’on est amoureux de parvenir à former un couple gémellaire, leurs parents se trouvent confrontés à ce qu’ils ne seront jamais. Moi-même jumeau et demi-frère de jumeaux, j’ai vécu cela à travers ce que nous ont raconté mon père et ma mère, puis mon père seul lorsqu’il a refait des jumeaux avec une femme qui était elle-même une jumelle. C’est notamment ce que j’espère avoir filmé à travers la scène de la danse lorsqu’ils sont tous les quatre.

On sent les deux petites filles très perturbées par la situation. En même temps, elles se montrent plutôt compréhensives vis-à-vis des règles très strictes imposées par Marie à Boris, comme vis-à-vis des transgressions du père : "C’est pas son jour", dit Jade à Margaux pour expliquer le malaise qui suit la présence de Boris dans la maison un mercredi après-midi.


L'économie du couple

En effet, Marie semble fixer les règles. Toutes les règles. Or, Boris, en n’en fixant aucune, n’impose-t-il pas aussi d’une autre façon sa propre règle ? Aucun d’eux ne parvient à créer un terrain de jeu commun. Il y a un côté infantile dans leurs querelles.

Winnicott dit : "La catastrophe a toujours eu lieu avant" : c’est intéressant d’observer les adultes en fonction des enfants qu’ils ont été et des disputes de récréations qu’ils ont eues. Mais je veux éviter de parler de l’un ou de l’autre. C’est aux spectateurs de prendre parti - ou non d’ailleurs… Le film permet cela.

La mère de Marie, qu’interprète Marthe Keller, milite, quant à elle, pour une réconciliation du couple.


Elle est dans la logique de sa génération. Elle prône une forme de compromission qu’est l’amitié en amour. J’ai envie de penser que l’amour est différent : on vit avec quelqu’un parce qu’on le désire. Or, le désir est, par définition, la chose la plus complexe, la plus risquée et la plus inconfortable qui soit. Le personnage joué par Bérénice Béjo envisage qu’il soit possible de vivre autrement que ses parents. C’est une femme qui s’émancipe.

Revenons aux enfants. Durant la scène de la danse puis du coucher, on sent qu’elles ont un immense plaisir à pouvoir dire "Papa, Maman" en même temps.


J’ai été un enfant du divorce mais je suis en même temps un père du divorce. C’est un atout pour envisager le possible et c’est aussi un inconvénient parce qu’on ne peut pas ne pas voir la tristesse que cette situation représente. Une séparation est toujours un échec. Mais le film laisse entrevoir qu’il y a du possible.

Malgré les conflits du couple, il circule en effet énormément de sentiments entre les deux personnages.


Oui, ce n’est pas un film tragique. Le tragique a peut-être longtemps été pour moi une manière de me défendre face à l’existence et je suis heureux de dévoiler cette tendresse qui anime les personnages ; ils se déchirent et, malgré tout, ils ont encore des choses à faire ensemble. Si le spectateur en arrive à se demander comment il est possible de dénouer ce type de situation avec l’envie de prendre soin de l’autre, j’aurai atteint mon but.

L'économie du couple

Parlez-nous du choix des comédiens.


Le casting est toujours un moment compliqué : je passe par beaucoup de doutes et peux souvent faire marche arrière ; il n’est vraiment terminé que lorsque les acteurs sont sur le plateau et que l’on tourne le film. Une fois là, je n’ai jamais regretté mes choix. Est-ce parce qu’elle a un père et un mari réalisateur ? Bérénice Béjo est une complice incroyable : elle est vraiment avec l’auteur. C’est une grande actrice - touchante, très impressionnante. Bérénice n’est pas une star et c’est pour ça qu’elle est aussi juste dans le film ; elle est "dans la vie".

Cédric Kahn a apporté toute sa finesse et son intelligence au personnage de Boris - pas seulement grâce à son jeu, mais aussi grâce à sa réflexion sur ce couple. Nous n’étions pas toujours d’accord, nous avons parfois lutté, mais cette lutte a porté le film. Comme je l’ai souligné, j’écris toujours mes films avec mes acteurs.

De quelle manière cela se traduit-il sur un plateau ?


Je vois le metteur en scène comme une éponge : il n’est pas là pour que les personnages lui ressemblent mais pour rendre le film le plus complexe possible. Pour aller vers cette complexité et la faire vivre, mon travail est d’entendre les gens, de reconnaître leurs points de vue différents sur une histoire et de les pousser à être les plus proches d’eux-mêmes, les plus subjectifs. Ensuite, la balle est dans mon camp et je dois essayer de faire ma cuisine avec ça. Dans L’économie du couple, j’ai construit et déconstruit de nombreuses scènes pour finalement parvenir à un résultat très proche de ce que j’avais imaginé mais peut-être avec un ton plus juste : sur le plateau, je faisais part de mes doutes aux acteurs. Je n’hésitais pas à leur dire que je cherchais et je leur demandais de me faire des propositions. C’était assez compliqué pour eux puisque, dans un premier temps, je leur faisais croire qu’ils étaient libres et que, dans un second, ils comprenaient que je ne leur laisserais pas la responsabilité du choix. C’est très frustrant ; il leur a fallu beaucoup de générosité pour accepter cela. J’espère qu’ils savent et qu’ils sentent tout ce qu’ils ont apporté au film. On n’est jamais fertile tout seul…

Aviez-vous demandé aux acteurs de visionner des films en particulier ?


Un seul – Qui a peur de Virginia Woolf ?, de Mike Nichols. Je leur ai dit : "Nous sommes dans un lieu unique qui nous oblige à trouver le cinéma. Mon rêve serait que vous soyez aussi libres que ce que Mike Nichols a réussi à faire avec Elizabeth Taylor et Richard Burton". Ce film est pour moi une référence magnifique.

Comment avez-vous trouvé Jade et Margaux, les deux petites filles ?


Ma directrice de casting avait vu une cinquantaine d’enfants, dont l’une des jumelles. Quand je l’ai vue arriver, j’ai aussitôt demandé à sa mère si sa soeur voudrait jouer aussi. Je ne leur ai pas fait passer d’essais. Pour moi, il était évident que des jumelles seraient formidables, qu’elles allaient d’abord jouer ensemble puis avec Bérénice et Cédric. Il s’est avéré qu’elles avaient l’une et l’autre un énorme talent. Il m’est arrivé d’enchaîner quarante ou cinquante prises avec elles. Elles ont suivi : de vraies petites pros.

La maison constitue vraiment un personnage à part entière …


C’est un outil dramatique formidable : elle est l’incarnation de ce que ce couple a eu envie de construire ensemble et de l’investissement de chacun ; la preuve tangible de ce qui a été désiré auparavant, mais qui ne l’est plus.

Une sorte de miroir…


Et c’était passionnant de pouvoir discuter avec Olivier Radot, le chef décorateur avec lequel j’avais déjà travaillé sur Les chevaliers blancs, de la manière dont un décor pouvait réussir à représenter l’amour qui se vit si difficilement dans le film. Qu’est-ce qu’une maison dans laquelle on a vécu heureux ? Selon moi, elle doit symboliser l’altérité. Ce n’est pas un lieu où l’on achète tous les objets ensemble, mais, au contraire un espace où chacun peut y amener ce qui compte pour lui en réussissant à faire coexister ces objets. J’espère que le décor raconte cela. La maison s’est imposée, exactement comme un acteur s’impose dans un film. Il était important qu’elle ait une cour. Nous filmions un huis clos, il fallait un peu d’air.

Dans cet espace clos qu’est la maison, on sent une incroyable fluidité dans les mouvements de caméra…


Ce qui m’intéresse et que j’aime mettre en scène est le lien : pouvoir passer d’un personnage à l’autre sans brutalité. Le steadycam offre cette souplesse et je rêvais depuis longtemps de tourner tout un film avec cet outil. Mais il demande une maîtrise qui autorise peu de personnes à l’utiliser. Il se trouve que Jean-François Hensgens, mon chef opérateur qui est aussi mon cadreur, m’a parlé d’un nouvel appareil, le Stab-One, plus rapide d’utilisation et permettant plus de mouvement dans des configurations de plateaux exiguës. Il l’avait utilisé sur son film précédent, m’en a montré quelques séquences qui m’ont épaté, et nous avons décidé de tourner entièrement L'économie du couple avec ce nouvel appareil.
Iñárritu l’a d’ailleurs employé pour ses deux derniers films, Birdman et The Revenant, en se servant de courtes focales. Nous n’avons en ce qui nous concerne utilisé que des longues focales. Cela nous autorisait à tourner des plans-séquences d’une manière fluide et permettait surtout de rendre au mieux le lien qu’entretiennent tous ces personnages. Formellement, ce film m’a donné énormément de plaisir.

Après Les chevaliers blancs, et avec ce film, vous revenez à un registre intimiste…


Le couple est sans doute la grande affaire de ma vie. J’ai toujours été deux. Comme tout jumeau, j’ai dû sortir de la fusion gémellaire, ce qui n’empêche pas que, devenu adulte, je reforme un couple avec la femme que j’aime. À quarante ans, c’est important pour moi de ne plus cacher l’importance que cela représente à mes yeux, de dire la possibilité du couple. Je mets cela en scène à travers une histoire triste mais cette histoire dit aussi combien le couple est une émotion, un lieu où il y a de l’affection possible.
Enfant, mon père, photographe, me disait : 'Un photographe est quelqu’un qui partage son regard avec les autres et qui assume la particularité de son regard". Avec ce film, j’ai vécu le plaisir d’avoir des acteurs qui m’ont laissé les regarder et qui m’ont permis, grâce à leur travail, de montrer au public une part de ce regard que je me connaissais mais que je ne parvenais pas à dévoiler.

L'économie du couple

Mon opinion

Des jumelles, sont les témoins de multiples brouilles parentales qui prennent racines dans un intérêt financier. L'apport de l'une, le travail manuel fait avec "amour" par l'autre, seront les deux pôles qui attiseront l'entêtement de la femme face à l'amour-propre de son mari.

Le scénario, coécrit par le réalisateur avec Thomas van Zuylen, vient d'une envie de Mazarine Pingeot d'écrire sur la vie d'un couple avec une autre scénariste, Fanny Burdino. Deux êtres, dont on ne connaîtra, rien ou pas grand chose, de leur passé. L'intérêt du film est ailleurs.

Entre cuisine, salle de bains, chambres ou salon, l'ensemble d'un appartement bourgeois sera le cadre étouffant, de la quasi durée du film. Un élément essentiel aussi. Dans un décor, qui ne manque pas de raffinement, les bouquets de fleurs n'apporteront aucune sérénité. Seule une ouverture sur une belle cour fleurie apportera un souffle extérieur bienvenu. Un lieu dans lequel un dîner entre amis, finira par plomber davantage encore, une ambiance déjà lourde et étouffante.

Dans le cadre exigu de cet appartement, la mise en scène fait preuve d'une grande virtuosité.

À retenir le casting de choix dans lequel on retrouve avec plaisir la toujours excellente Marthe Keller. Bérénice Bejo, à la fois exaspérante dans son entêtement, colérique, ou d'une profonde tristesse est particulièrement convaincante. Cédric Kahn dans le rôle du mari est fascinant, désarmant quand il endosse celui du père.

Une voix-off viendra ponctuer la fin du film en laissant deux visages ravagés par la tristesse. Joachim Lafosse a déclaré : "Avec ce film, j’ai vécu le plaisir d’avoir des acteurs qui m’ont laissé les regarder et qui m’ont permis, grâce à leur travail, de montrer au public une part de ce regard que je me connaissais mais que je ne parvenais pas à dévoiler."

Particulièrement bien vu et réussi.