Chromosome 3 (Les enfants de la damnée)

Par Olivier Walmacq

Genre : horreur, gore (interdit aux - 16 ans)
Année : 1979
Durée : 1h32

Synopsis : Un psychiatre invente une thérapie révolutionnaire qu'il applique à ses malades. Il n'avait pas prevu les effets secondaires, particulièrement destructeurs. 

La critique :

Faut-il rappeler l'illustre carrière de David Cronenberg ? Tout d'abord influencé par le cinéma expérimental, le réalisateur signe ses deux premiers courts-métrages, Transfer et From the Drain, au milieu des années 1960. A travers ces premiers essais, on trouve déjà les thèmes de prédilection du cinéaste : la sexualité, la psychanalyse, la psyché et leur impact (voire leurs effets délétères) sur le corps humain.
Des thématiques qu'il affine et peaufine avec ses longs-métrages suivants, notamment Frissons (1975), Rage (1977), Scanners (1981), Vidéodrome (1983) et Dead Zone (1987), avant de connaître la gloire et la notoriété avec La Mouche (1986). Vient également s'ajouter Chromosome 3, réalisé en 1979. Un intitulé francisé et peu édifiant, très éloigné du titre original du film, donc The Brood ; que l'on pourrait traduire par "La portée", beaucoup plus fidèle à l'esprit du long-métrage.

Autant le dire tout de suite. On tient là une oeuvre éminemment complexe, digne des meilleurs crus de David Cronenberg. En outre, Chromosome 3 est un film (en partie) autobiographique puisqu'il s'inspire du divorce entre le cinéaste et sa propre femme, victime de délires paranoïdes et manipulée par une secte satanique. L'épouse ayant kidnappé leur progéniture, David Cronenberg se voit contraint de la libérer, mettant sa propre vie en péril. Evidemment, cet incident tragique va poursuivre pendant longtemps le réalisateur, bien conscient de la "portée" (c'est le cas de le dire...) de ce drame.
Ce sinistre épisode lui inspire évidemment le scénario de Chromosome 3. La distribution du film réunit Art Hindle, Cindy Hinds, Oliver Reed, Samantha Eggar, Henry Beckman, Nuala Fitzgerald et Susan Hogan.

Attention, SPOILERS ! (1) En pleine procédure de divorce, Frank Carveth (Art Hindle) découvre, en allant chercher sa fille Candice pour la garde du week-end dans un centre de thérapie alternative, des signes de lésions corporelles indiquant qu’on a battu l’enfant. Alors qu’il tente vainement d’entrer en contact avec son ex-épouse (Samantha Eggar), confinée dans le centre par le responsable de son analyse (Oliver Reed), des meurtres perpétrés par des créatures enfantines à la figure monstrueuse se multiplient dans l’entourage de celle-ci. (1) Certes, si The Brood est le titre original de Chromosome 3, le film aurait pu s'intituler aussi "Le cri de la furie", ou tout simplement "La fureur".
Dans tous les cas, c'est bien un cri de désespoir qui est asséné, non seulement par l'épouse de Frank Carveth, mais aussi par David Cronenberg lui-même.

D'une brutalité extrême, nihiliste, cynique et sans concession, Chromosome 3 préfigure déjà le marasme d'une société consumériste et l'avènement d'un féminisme castrateur et autocratique. Autant le dire tout de suite. Le film est résolument antiféministe. Tout du moins, il peut être vu et analysé comme une oeuvre pointant et morigénant le glas d'un joug dit "masculin".
Le long-métrage est donc l'aboutissement d'un divorce de masse et d'un féminisme conçu comme la nouvelle arme et le bras droit du capitalisme. Certes, David Cronenberg euphémise un peu ses ardeurs via la psychanalyse, le traitement mental et diverses manipulations génétiques dont il a le secret. Un simulacre pour mieux farder la vision (presque) eschatologique de son auteur. Car Chromosome 3, c'est aussi la longue décrépitude de la cellule familiale.

Une déréliction corroborée par un autre film, cette fois-ci beaucoup plus consensuel, Kramer contre Kramer (Robert Benton, 1980). Contrairement aux apparences, les deux films ne sont pas si différents. Le combat de Frank Carveth est peu ou prou identique à celui de Ted Kramer. En vérité, Chromosome 3 suit le long parcours d'un père (donc Frank Carveth) pour sauver dans un premier temps sa famille, sa femme puis sa fille. Résultat : il ne sauvera finalement personne, comme l'atteste la toute dernière image du film... En l'état, difficile d'en dire davantage...
Chromosome 3, c'est aussi la longue agonie de la famille libérale, nucléaire et occidentale. En ce sens, Chromosome 3 pourrait presque apparaître comme un film visionnaire annonçant la fin d'une civilisation, celle vouée à l'opprobre et aux gémonies et donc celle qui s'est fourvoyée dans l'hédonisme ; point culminant de la doxa libertaire.

Certes, certains contempteurs pourront taxer le film de mysoginie. Indubitablement, on sent et on ressent une grande souffrance dans le film. Pas seulement celle de l'hystérique et maléfique Candice (donc l'épouse du héros principal), mais aussi la propre neurasthénie de David Cronenberg lui-même, probablement encore très marqué par cette défaite cinglante et familiale. Le hurlement asséné par Candice n'est pas seulement une douleur morale. Ses cris d'orfraie sont marqués par l'apparition d'excroissances tout le long du corps, en particulier au niveau génital et abdominal.
Les enfants sont donc les produits et les substrats de la fureur. Pis, ces derniers se sont carrément transmutés en mutants sanguinaires, assassinant toutes les personnes qui ont le malheur de contrarier les désidératas de Candice. Ils sont les dignes épigones d'une humanité vouée à sa propre perte. En partie transfigurés et nantis d'un bec de lièvre, les bambins psychopathes attaquent, rudoient, hurlent et attendent patiemment le signal d'alarme. 
Bref, on tient là un très grand film d'horreur, d'une violence inouïe et à réserver à un public averti.

Note : 17/20

 Alice In Oliver

(1) Synopsis du film sur : http://www.dvdclassik.com/critique/chromosome-3-cronenberg