The Strangers, thriller multigenre et borderline.

Par Lakshmiz

Ovni en vue ! The Strangers est le dernier-né du réalisateur coréen Na Hong-jin, coutumier du festival de Cannes où ses deux précédents films ont également été nommés : The Murderer , en 2011, et , en 2008. Ne dérogeant pas à la règle, The Strangers a été accueilli à Cannes cette année, hors compétition toutefois. Na Hong-jin poursuit dans la veine qu'il affectionne tant, celle du thriller sombre et sans concessions. Un tranquille village coréen voit les cas de meurtres sauvages se multiplier sans que la police locale ne parvienne à les élucider. Face à l'incompréhension ce sont bientôt les rumeurs qui vont resurgir avec d'autant plus de force. Il se murmure qu'un vieil ermite japonais serait la cause des malheurs qui touchent la bourgade. Jong-gu, policier gauche mais sincère, va très vite constater que sa fille est également menacée par les forces surnaturelles qui frappent le village. Pour palier l'incompétence des autorités, les villageois vont convoquer l'aide d'un chaman... Pitch alléchant et promesse d'un thriller pastoral sur fond d'analyse de la société coréenne. Je m'imaginais déjà assister à un polar sombre et social, comme le sont de Park-Chan Wook ou I Saw The Devil de Kim Jee-woon. En fait, pas du tout. Enfin, pas vraiment. Bref, c'est compliqué.


The Strangers s'ouvre sur la découverte du premier crime et la réaction de la police locale : déboussolée et incompétente. Cette première partie est traitée de façon assez burlesque, ce qui a de quoi déboussoler un spectateur habitué aux codes ultra-sérieux du polar. Le personnage principal, Jong-gu, policier provincial maladroit et penaud, ne correspond pas non plus à l'archétype du flic ténébreux et hanté par ses démons. Il convoque à lui seul de très nombreuses scènes comiques. En parlant de démons, la pente mystique que l'on croyait présente pour nous dérouter de la nature humaine du tueur est finalement assez rapidement embrassé par le scénario. Là encore, nos habitudes de spectateur sceptiques en prennent un coup. Alors qu'il croyait assister à un polar, le spectateur se trouve tantôt plongé dans un film fantastique, un drame familial, un film d'horreur ou de zombie. Le mélange des genres détonne et étonne. D'autant plus, qu'il ne semble pas toujours justifié par l'intrigue. J'ai cru y voir un clin d'œil au de Sam Raimi où le mal est une sorte de menace floue, sans règles définies, prenant tantôt l'apparence d'un virus ou d'une possession sans qu'on fasse bien la différence. Na Hong-jin avoue bien volontiers que L'Exorciste de William Friedkin et de Roman Polanski ont énormément influencé son projet. On reconnaît également dans l'ambiance poisseuse des décors l'influence du de Fincher. Inspiration ou totale compilation de ses films favoris, le réalisateur choisit de brasser toutes les facettes du mal ou presque : criminel, fantôme, chaman, monstres, diable, infecté, possédé... Un joyeux mélange qui nous laisse par moments au bord de l'indigestion. Les personnages arborent masques après masques, rendant leur dévoilement d'autant plus pénible. Le dernier tiers du film, qui voit les retournements rocambolesques se succéder, vient relancer une intrigue qu'on espérait voir se conclure. Rappelons tout de même que le film dure deux heures et demie et aurait pu facilement sacrifier quarante minutes sans rien compromettre de son intrigue. Cette dernière partie passe donc pour un dernier et douloureux détour avant une conclusion dont on avait déjà subodoré la teneur.

Vous l'aurez compris, l'histoire est dense et les intentions du réalisateur nombreuses. Probablement trop denses et nombreuses pour parvenir à un résultat maîtrisé de bout en bout. The Strangers laisse une nette impression de débordement, comme si le réalisateur s'était finalement laissé dépasser par toutes les thématiques qu'il souhaitait aborder. Il n'y aura donc pas vraiment d'enquête policière, mais plutôt une sorte de lutte à l'aveugle et sans véritables enjeux. Si l'on prend du recul par rapport à l'intrigue, il semblerait que le propos du cinéaste coréen soit de montrer l'état d'un monde devenu un joyeux bazar sans règles où les héros n'existent pas. Il fustige aussi cette tendance qui nous pousse à nous auto-flageller, en créant nos propres monstres. Si la famille de Jong-gu se trouve ainsi menacée c'est peut-être parce que ce partisan du moindre effort verse dans la superstition et se met à croire au diable. A tel point qu'il finit par entériner l'existence d'un mal qui n'était que rumeur. A bien y réfléchir, on pourrait presque y voir une référence à l'actualité politique outre-Atlantique, ou comment un homme que personne ne pensait éligible va peut-être devenir le prochain président des États-Unis... Si tel est le message du réalisateur, à savoir que nous créons nos propres monstres par notre naïveté et notre paresse, force est de constater que le message est passé, moyennant de grosses longueurs malheureusement. Il reste que The Strangers est un film pétri d'intentions louables, d'un esprit malin -c'est le cas de le dire- et d'une qualité visuelle certaine. Je retiens notamment la beauté des scènes sous la pluie ou encore celle des séances de chamanisme. Malheureusement, les nombreux rebondissements et autres lenteurs ainsi que variations de genre ternissent le propos général. A vous de voir si le jeu en vaut la chandelle.