The Witch, ou la forêt des bigots.

Le titre est un brin moqueur et pourtant il s'agit là d'un bon film d'épouvante. est le premier long-métrage de Robert Eggers, nouveau venu à la réalisation certes mais pas inconnu du genre de l'horreur. Il a notamment officié comme costumier sur un film d'épouvante qui avait également pour cadre une inquiétante forêt de la Nouvelle-Angleterre. Cette fois, c'est donc en tant que réalisateur et auteur qu'il s'attaque à une nouvelle fable d'horreur, en grande partie inspirée des chasses aux sorcières qui ont précédé le célèbre procès des sorcières de Salem en 1692. L'histoire de se déroule donc en 1630, dans une région de la Nouvelle-Angleterre. William et Katherine, couple dévot rejeté par la colonie dans laquelle ils s'étaient installés, décide de partir peupler d'autres horizons en marge de la civilisation. Ils espèrent y mener une vie pieuse et laborieuse au milieu d'une étendue demeurée vierge. Mais, la disparition de leur nouveau-né va déclencher une suite d'événements inquiétants et sanglants qui résulteront dans la confrontation de tous les membres de la famille. Reste à savoir, si la mystérieuse sorcière que l'on brandit comme responsable peuple la forêt avoisinante ou se trouve déjà habiter le logis de la petite famille... Vous l'aurez deviné, n'est pas qu'un simple film d'épouvante, et encore moins un film de sorcière. Bien au contraire. Sous le prétexte du film de monstre, Robert Eggers cherche à explorer des thèmes beaucoup plus profonds. Tant et si bien qu'à mesure que l'action avance, le spectateur en vient à douter de l'argument surnaturel du film. Si, pour cette famille pieuse, le mal ne peut émaner que de forces occultes extérieures, il devient évident que la présence de cette figure mystique sert de bouc émissaire à ceux qui ne veulent pas reconnaître leurs fautes.

The Witch, ou la forêt des bigots.

Lentement mais sûrement, le film se mue en véritable drame familial. Impossible d'ignorer la présence d'une critique de l'intégrisme religieux, tant il motive toute l'action. Le film s'ouvre sur le procès de la famille dont le jugement sera d'être bannie de la colonie. Les tenants et aboutissants de ce péché qui leur vaut de s'exiler à la lisière des bois ne seront jamais explicités. Cependant, on devine à l'occasion de ce procès toute l'aversion et le ressentiment que nourrit le patriarche pour une société qu'il ne juge pas assez pieuse à son goût. Une attitude qui pousse la famille dans la défiance et le repli sur soi.C'est un discours d'une actualité malheureusement assez saisissante que le réalisateur parvient à faire ressentir sans jamais avoir à l'expliciter. Et tant mieux. , c'estégalement l'occasion pour lui d'étudier la place de la femme et les modalités de sa domination au sein de la cellule familiale. Cellule familiale qui n'est finalement rien d'autre qu'une boîte de Petri représentative d'une société tout entière. Le spectateur est amené à suivre le point de vue de Thomassin, l'aînée de la famille. En pleine puberté, il semble qu'elle doive faire acte de contrition à chaque instant de son quotidien pour un état de fait naturel que le regard des hommes sexualise. Ainsi, elle doit s'occuper des deux cadets - des jumeaux infernaux et moqueurs - mais également du bétail, de l'approvisionnement en eau, du linge... bref, des tâches ménagères, là où son père ne semble bon qu'à couper du bois, à voir l'état de ses récoltes et ses tentatives de chasse infructueuses. Les tentatives de prise d'indépendance de la jeune fille, aussi rares soient-elles, sont autant d'occasion de l'accuser de mauvais esprit, de rébellion et, en définitive, d'insulte envers Dieu. Et voilà comment une famille, qui cherche a priori à vivre selon ses propres règles, reproduit indubitablement les injustices sociales. Thomassin se trouve rejeté d'une famille elle-même rejetée de la société. Doublement maudite, puisqu'elle porte en elle l'éternel péché d'Eve mais aussi la réalité sociale et contraignante de la dot, Thomassin n'a d'autres choix que de se plier à la volonté familiale. L'autre voie envisageable serait celle de l'indépendance, mais celle-ci la condamnerait à devenir une sorcière, soit cet être mystique indépendant qu'aucune règle n'atteint, donc forcément inquiétant, criminel et maléfique. De l'existence de la sorcière il est difficile de se convaincre. S'agit-il de simples croyances bigotes permettant ainsi de condamner celles qui, d'aventure, oseraient clamer leur indépendance, ou bien y a-t-il vraiment une ombre menaçante régnant dans les bois ? Le fin mot de l'histoire est laissé à l'appréciation du spectateur, notamment à l'occasion d'une séquence dont on ne parvient à dire si elle est hallucinée ou purement métaphorique.

The Witch, ou la forêt des bigots.

Pour les besoins de son film, Robert Eggers a effectué de nombreuses recherches sur les premiers colons et les procès faits aux sorcières. Grand bien lui en a pris, puisque tout dans transpire le réalisme : de la ferme familiale empruntée à la plantation de Plimouth, aux costumes des colons anglais, en passant par le paysage, ou encore l'accent des acteurs. Ces derniers livrent d'ailleurs, adultes comme enfants, d'incroyables performances. Parmi eux, on compte deux habitués des temps ancestraux et sanglants : Kate Dickie et Ralph Ineson, qui ont tous deux eu un rôle dans Game of Thrones. Leur sérieux n'a d'égal que l'inquiétude qui parcourt le spectateur à leur vue. Mentionnons également le jeu irréprochable de Anya Taylor-Joy et Harvey Scrimshaw, deux jeunes et nouveaux venus au cinéma. Tous ces éléments concourent à installer une ambiance incroyablement dense et pesante qui prend sans conteste le spectateur à la gorge. Notons également la beauté de la photographie : la très grande profondeur de champ permet à l'objectif de ne rien manquer des subtilités du paysage, ménageant ainsi une angoisse face au fourmillement de détails, et les couleurs désaturées renvoient une étrange sensation d'austérité et de vétusté. Si a été très bien accueilli par la critique -des nominations dans divers festivals américains dont Sundance et le prix Syfy du Jury à Gérardmer-, il peine à trouver son public en salle. La faute, probablement, à son pari sur une ambiance angoissante au détriment de l'action, plus étiolée. Et peut-être aussi à ses nombreuses suppliques religieuses qui prêtent par moments à sourire, bien qu'elles ne fassent que renforcer le réalisme de la narration. Quoi qu'il en soit, le film semble avoir fait forte impression sur le Satanic Temple qui s'est fendu d'un communiqué louant cette " expérience cinématographique puissante ". Une publicité qui a probablement dû faire sourire le réalisateur. Dans un autre registre, a aussi été salué par le chantre de l'horreur, Stephen King, qui s'est fendu d'un tweet fort sympathique. est encore projeté dans quelques salles en région parisienne, n'hésitez pas à aller le découvrir si vous en avez l'occasion.

The Witch, ou la forêt des bigots.