Cher Andrew Niccol

CHER ANDREW NICCOL,

andrew-niccol

Il y a un moment déjà que j’envisage de t’écrire. J’ai retourné la question plusieurs fois dans ma tête et même si d’autres noms me sont venus à la longue, le tien s’est imposé en premier. Quel réalisateur-scénariste propose aujourd’hui des concepts de cinéma à la fois totalement originaux et visionnaires ? C’est là que je me suis rendu à l’évidence. Depuis tes débuts, tu regardes vers l’avenir et échafaudes de toutes pièces des mondes possibles, légèrement dystopiques mais toujours criants de vérité. La part prophétique de tes films évolue sans cesse, à mesure que la fiction se vérifie dans le présent. Avec Bienvenue à Gattaca, film pour lequel je voue un amour sans bornes, tu explores la manipulation génétique sans forcer le trait, en imaginant simplement les dérives qui pourraient en découler et nous concerner tôt ou tard.

Pour autant, et cela explose véritablement dans The Truman Show, un seul individu peut faire la différence et renverser le système en place. Le romantisme presque désuet qui habite chacun de tes personnages, rêveurs intrépides, épris de liberté, me touche à chaque fois. C’est aussi ce rapport au créateur et à sa créature qui me fascine dans ton cinéma. Après Truman, héros malgré lui, enfant victime d’un « père » démiurge, je découvre S1m0ne, femme-pixels plus vraie que nature, et je ne peux m’empêcher de trouver l’illusion absolument brillante. Là encore, tu anticipes certains des maux qui nous occupent désormais comme l’ingérence médiatique ou la starification spontanée, mais surtout tu interroges la virtualité de nos vies, soumises à des flux parfaitement intangibles. Time Out, que je défends envers et contre tout, prolonge cette réflexion et reste à mes yeux ton film le plus novateur. Comment le temps se gagne ou se perd sur la base d’un compteur qui défile à même la chair ? L’idée, d’abord visuelle, sidère, faisant de chaque être humain une bombe à retardement, puis génère dans le fond son lot d’angoisses existentielles. Une belle réussite selon moi, quand bien même il s’agit d’une modeste série B.

Quelque part, derrière l’optimisme rêveur de tes personnages, j’ai le sentiment que l’amertume gagne du terrain. Pour t’avoir écouté en interview, je sais combien tes projets ont été durs à financer. J’imagine aussi que l’époque, faite de conflits, de guerres, t’affecte d’abord comme citoyen avant de t’inspirer en tant qu’auteur, à travers des oeuvres telles que Lord of War ou Good Kill, plus immédiatement réalistes et donc désabusées en un sens. Tu y retrouves Ethan Hawke, un peu ton alter ego depuis Bienvenue à Gattaca, et lui offre à nouveau l’occasion de prouver tout son talent, dans des rôles exigeants, entre désir de contrôle et peur de l’aliénation. Un antagonisme également présent dans Les Âmes Vagabondes, joliment schizophrénique mais trop édulcoré au niveau du discours. Qu’importe, tu restes intègre avec toi-même et oses prendre des risques, au point d’être malmené par les majors américaines. Alors ne lâche rien parce qu’il me tarde de voir la suite.

Le Cinéphile Intrépide.