[Critique] – Elle, un « Huppert-cut » signé Paul Verhoeven

[Critique] – Elle, un « Huppert-cut » signé Paul Verhoeven

Le mois dernier, Mia Hansen-Love revenait dans le paysage cinématographique français avec " L'Avenir" . Un film au charme demeurant, sublimé par l'actrice Isabelle Huppert, mais dont les détracteurs du cinéma d'auteur français pourraient facilement s'attaquer en conséquence des nombreux plans fixes et personnages bavards présents tout long s'assimilant aux clichés de ce genre de films. En ce mois de Mai, le réalisateur hollandais Paul Verhoeven reprend les codes du genre et son actrice-reine pour nous balancer une oeuvre déconcertante.

Michèle fait partie de ces femmes que rien ne semble atteindre. À la tête d'une grande entreprise de jeux vidéo, elle gère ses affaires comme sa vie sentimentale : d'une main de fer. Sa vie bascule lorsqu'elle est agressée chez elle par un mystérieux inconnu. Inébranlable, Michèle se met à le traquer en retour. Un jeu étrange s'installe alors entre eux. Un jeu qui, à tout instant, peut dégénérer.

En prenant comme matériau de base le roman " Oh... " de Phillipe Dijan, le cinéaste se prête à un exercice de style efficace par la réappropriation du cinéma français dans touts ses traits les plus familiers avec les plans fixes filmant des personnages vivants dans une certaine bourgeoisie, une photographie austère et grisâtre ainsi un casting rempli d'acteurs issus du théâtre et du cinéma indépendant où se croisent des légendes comme Isabelle Huppert, Laurent Laffite, Charles Berling mais aussi des actrices montantes comme Vimala Pons ou Alice Issaz.

L'un des principaux objectifs du réalisateur rappelle celui de l'un des ses films cultes : " Starship Troopers" . Sorti en 1997, un an après le succès d' Independance Day de Roland Emerich, le film transformait le simple blockbuster divertissant et patriotique en une fausse oeuvre de propagande portant un discours vibrant sur le fascisme. Dans " Elle ", Verhoeven s'attêle au même exercice en pervertissant ce cinéma français que certaines mauvaises langues jugeraient d'un cinéma très austère. Les traditionnelles scènes de familles, de travail ou de rencontres se succèdent sous un humour grinçant et une extrême violence qui ne laissent pas indifférents. Les dialogues sont crus, les jeux d'acteurs semblent volontairement faux et les situations choquent par leur violence et leur absurdité, nous sommes donc contaminés par le rire nerveux et la gêne grâce au malaise instauré par Verhoeven.

" Elle" , c'est aussi ce personnage de femme forte joué par Isabelle Huppert.Accumulant les traumatismes depuis sa plus jeune enfance, cette héroïne fascine pour sa persévérance à rester debout coûte que coûte tout en dérangeant. Ses dialogues ravageurs font mouches, impossible d'oublier cette conversation entre elle et Laurent Laffite, où le passé obscur (euphémisme) de l'héroïne nous est dévoilé sur un ton des plus surprenants. Manipulant sans cesse son tortionnaire, elle donne vie à un jeu sacrément tordue.

Mais la grandeur du film, en tant qu'exercice, se trouve être aussi sa principale faiblesse. La détraction du genre s'accorde parfaitement à la perversité de l'histoire et de ses personnages mais le sentiment de n'y voir rien de transcendant au-delà de cela submerge notre esprit des heures après la projection. Verhoeven fait sensation par son humour ravageur suscitant souvent l'horreur et le rire gênant mais les moments de grâce n'arrivent jamais et le temps paraît long vers la fin.

Embarquez donc dans 2h10 de malaise dans ce film fou qui vous mettra dans un état de choc total en quittant la salle de cinéma. " Elle " fait office d'onde de choc en France mais aurait pu s'échapper de cette approche stylistique pour encore mieux nous surprendre. Tant pis, on peut déjà remercier Paul Verhoeven de nous avoir offert ce qui sera probablement le film le plus dérangeant de cette année.