Les Amants de Caracas (Desde Allá)

Par Cinealain

Date de sortie 4 mai 2016


Réalisé par Lorenzo Vigas


Avec Alfredo Castro, Luis Silva, Alí Rondon

Titre original Desde Allá


Genre Drame


Productions Vénézuélienne, Mexicaine

Desde Allá a été récompensé par le Lion d'or à La Mostra 2015

Premier long-métrage de Lorenzo Vigas

Synopsis

Caracas, de nos jours.


Armando (Alfredo Castro), la cinquantaine, attire régulièrement des jeunes hommes chez lui.

En échange d'une jolie somme d'argent, il leur demande de se déshabiller, mais refuse de les toucher. A la suite sa rencontre avec Elder (Luis Silva), une petite frappe des bas quartiers, il développe une fascination dévorante pour le jeune homme qui, attiré par l’argent, lui rend visite fréquemment.

Petit à petit, une relation singulière s’installe entre eux.

Luis Silva et Alfredo Castro

Note du réalsateur Lorenzo Vigas

Armando ne parvient pas à communiquer et à échanger pleinement avec les personnes qui l'entourent. D'une certaine manière, il vit de façon autarcique à Caracas. Le titre original, Desde Allá, peut être littéralement traduit par "De là-bas" : il fait référence à la distance qui sépare Armando de ce qu'il désire et à ces garçons qu'il attire chez lui, mais qu'il refuse toujours de toucher.


Le titre fait aussi référence à la distance qui sépare Armando de son obsession, incarnée par un vieil homme d'affaires. L'idée de faire un film au sujet d'un homme qui éprouve tant de difficultés à communiquer avec son entourage m'a immédiatement séduit.
 

Le père absent


Depuis mon court-métrage Los Elefantes Nunca Olvidan, j'ai toujours travaillé sur le thème de la relation au père. Los Elefantes Nunca Olvidan était centré sur le désir de vengeance d'un frère et une soeur contre leur père abusif. Les Amants de Caracas explore le même sujet, mais sous différents angles : les liens qui unissent Armando et Elder, qui ont en commun de souffrir de l'absence de figure parentale, se resserrent progressivement, et on découvre également la relation compliquée qui unit Armando à un père absent. Toutes ces perspectives s'associent pour construire la psychologie des personnages du film.
 

Du rêve à la réalité


Armando est rapidement fasciné par le personnage d'Elder, mais leur première rencontre est dramatique : Elder frappe violemment Armando. Peut-être parce qu'il refuse d'être touché par qui que ce soit, Armando est bouleversé par ce premier contact. À partir de cet instant un rêve prend forme : Armando se pense soudainement capable d'établir une véritable relation avec une autre personne. Mais est-ce que ce rêve peut véritablement devenir réalité ?

Elder est un jeune homme à l'énergie aussi puissante qu'incontrôlable. Ils viennent tous deux de mondes très différents, et Elder est confronté pour la première fois de sa vie à l'attention et à la stabilité financière qu'offre Armando, qui s'occupe de lui, le soigne et le nourrit. Cette nouvelle vie, offerte par Armando, révèle chez Elder des émotions qu'il n'avait jamais ressenties auparavant.

Luis Silva et Alfredo Castro

Ce que tous les êtres ont en commun


La crise sociale et économique a provoqué de nombreux bouleversements au Venezuela. Nous avons l'inflation la plus importante au monde, et l'écart de salaire entre les riches et les pauvres est incommensurable. Elder est attiré par le monde confortable d'Armando, mais tandis que l'histoire se développe, cet attrait pour l'argent se transforme en relation affective.


Les Amants de Caracas se déroule dans le Venezuela d'aujourd'hui, marqué par la lutte des classes, mais cette même histoire pourrait se dérouler dans n'importe quel autre pays. C'est ce besoin absolu d'affection qui lie les deux personnages – un besoin que tous les êtres ont en commun.

Besoins émotionnels


Nous vivons dans une société très machiste. De prime abord, Elder semble être un jeune homme très sûr de lui, mais ses certitudes sont ébranlées lorsqu'il assiste au geste désespéré d'Armando, qui se poignarde lui-même. Ce geste le pousse à reconsidérer sa propre identité, et le jeune homme fort et fougueux se transforme soudain en un être en plein questionnement. Bien que Les Amants de Caracas soit centré sur la relation qui unit Armando et Elder, le film repose avant tout sur une histoire universelle, qui va au-delà des problématiques sociales ou sentimentales que rencontrent les personnages. Si une femme âgée avait offert à Elder tout ce qu'Armando lui procure affectivement, il serait probablement tombé amoureux d'elle : la relation dépeinte dans Les Amants de Caracas est plus sentimentale que physique. Cela étant, l'homosexualité constitue une part essentielle du film et des personnages. Beaucoup de cultures sud-américaines restent très fermées à l'homosexualité, et l'homophobie est encore très répandue dans toutes les classes sociales.


Elder, à travers le personnage d'Armando, constate d'ailleurs à quel point l'homophobie peut être destructrice.

Problèmes paternels


La relation d'Armando et d'Elder présente des similitudes avec celle d'un père et son fils : on y retrouve de l'affection, mais aussi un souci de discipline, d'éducation et de contrôle de l'autre. Elder confie à Armando ses plus profondes blessures, notamment celles qui concernent son père, mais Armando, de son côté, reste beaucoup plus secret. Au cours du film, il se retrouve confronté à un passé qui le hante. Il ne parvient pas à oublier un moment spécifique de son enfance, en lien avec son père. Un traumatisme qui le ronge, et qui a un impact considérable sur sa sexualité. Ce père le tourmente, mais l'obsède également, puisque symboliquement, Armando en est complètement dépendant : comment peut-il se libérer de son emprise ?

Les rues de Caracas


Il était important filmer Caracas dans toute sa complexité sociale. Les Amants de Caracas montre toutes les strates de la société vénézuélienne, des quartiers pauvres de Caricuao aux quartiers riches. Et entre les deux, La Candelaria, le quartier dans lequel Armando habite. C'est un quartier de classe moyenne qui a été transformé en zone d'habitations à loyers modérés. À cause de la crise économique lourde que le pays a traversé, Caracas et toutes les infrastructures vénézuéliennes ont subies de nombreuses transformations.

Tel un fantôme


Au début du tournage, nous avons pris une décision importante : filmer la rue le plus naturellement possible, sans la mettre en scène. Je voulais que la vie qui emplit les rues de Caracas se ressente dans le film. On y trouve une énergie que nous n'aurions jamais pu mettre en scène autrement. Je voulais tirer avantage de ce bouillonnement et filmer Armando comme un fantôme, presque invisible, comme noyé parmi les habitants de la ville.
S'il est physiquement présent dans les rues, ses émotions, elles, sont prisonnières de son passé. La difficulté principale du tournage était de réussir à montrer l'effacement du personnage d'Armando sans que son interprète, Alfredo Castro, qui est chilien, ne passe pour un étranger, ou semble détonner dans les décors urbains de Caracas. Il a beaucoup observé les habitants de la ville marchant dans la rue afin de pouvoir se fondre plus facilement dans la masse, et pour renforcer les apparitions spectrales d'Armando, nous avons filmé les scènes avec une mise au point imprécise et une profondeur de champs changeante, pour le faire apparaître et disparaître en fonction de ce qui l'entoure.

Déclaration du réalisateur concernant ses principaux acteurs,

"De tous les acteurs sud américains, Alfredo était mon premier choix. Je l'avais vu dans Tony Manero et No. Je savais qu'il serait parfait pour jouer Armando, et quand je l'ai rencontré, j'en ai été certain. Alfredo peut exprimer des émotions extrêmement variées, mais il a également la capacité de les contenir, ce que je recherchais avant tout pour le personnage d'Armando. Après avoir lu le script et vu mon court-métrage, il a tout de suite accepté le rôle.

L'engagement d'Alfredo s'est révélé crucial : il avait sans arrêt de nouvelles idées, et il était extrêmement investi pendant le tournage. Il était fasciné par le personnage et l'a vraiment développé selon sa propre sensibilité."

Luis Silva fait ses débuts dans ce film. Âgé de 21 ans, il a grandi dans un des quartiers les plus difficiles de Caracas. Il envisage actuellement de poursuivre une carrière d'acteur.


"À partir du moment où j'ai rencontré Luis, j'ai tout de suite voulu qu'il incarne Elder. Il avait tout ce que je recherchais : un instinct très animal et une débrouillardise naturelle. En plus d'être charismatique, il a également un côté plus mystérieux et ténébreux. Aucune audition n'a été nécessaire, j'ai tout de suite compris qu'il était fait pour incarner Elder.

Il avait seulement 19 ans au moment du tournage, mais il avait déjà connu la pauvreté, les gangs et la violence, puisqu'il est originaire d'un quartier de Caracas plus dur encore que celui montré dans le film."

Mon opinion

Le premier long-métrage de Lorenzo Vigas, récompensé par le Lion d'Or à la Mostra 2015, n'est pas sans rappeler le film de Robin Campillo, Eastern Boys, lui aussi primé dans ce même festival par le prix du meilleur film, dans la catégorie Horizons, en 2013.

Selon une déclaration de Lorenzo Vigas, son film "se déroule dans le Venezuela d'aujourd'hui, marqué par la lutte des classes, mais cette même histoire pourrait se dérouler dans n'importe quel autre pays. C'est ce besoin absolu d'affection qui lie les deux personnages – un besoin que tous les êtres ont en commun."

Le scénario ne s'attarde pas sur les histoires personnelles des principaux protagonistes. Beaucoup de non-dits.

La photographie accentue le sentiment de solitude profonde du principal protagoniste. À ce sujet le réalisateur confesse : "nous avons filmé les scènes avec une mise au point imprécise et une profondeur de champs changeante, pour le faire apparaître et disparaître en fonction de ce qui l'entoure". Seuls, les acteurs, en premier plan, sont bien visibles. Perdus dans la confusion des rues de cette ville.

Deux solitudes vont se rencontrer, s'apprivoiser pour finir par se détruire. Deux êtres à la dérive avec un point commun. La haine du père. Les sentiments paraissent plus forts que le côté physique.

La cruauté des dernière images laissent le spectateur face à son propre jugement.

Un film glacial qu'il est difficile de conseiller. Pour ma part une très grande réussite.