CAPTAIN AMERICA – CIVIL WAR : Le choc des titans ★★★★☆

La confrontation tant attendue entre les héros de l’écurie Marvel est-elle le magnum opus de la franchise ?

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© Captain America Civil War

Il faut croire que le mot « modération » a perdu de son sens au sein de la critique américaine. Après le bashing disproportionné de Batman V Superman, c’est au tour cette fois-ci de Marvel d’être assommé de superlatifs avec Captain America – Civil War, mais dans l’autre extrême. Considéré par certains comme le meilleur Marvel, voire l’un des plus grands films de super-héros, on avait de quoi rester circonspects, surtout après les déceptions plus ou moins importantes que le studio nous a livrées l’année passée avec Avengers 2 et Ant-Man. D’autant plus que cette adaptation de l’une des sagas les plus acclamées de l’éditeur partage de nombreux points communs avec le film tant décrié de Zack Snyder : une noirceur revendiquée malgré le fun de l’entreprise, une remise en question du super-héros par rapport à sa perception par la société, et enfin une confrontation entre ces icônes de la pop-culture, désormais en désaccord. Éventons de suite le suspense : non, Civil War n’est pas le chef-d’œuvre espéré, mais ses ambitions plus que louables et ses partis-pris ont font clairement l’un des volets les plus aboutis du Marvel Cinematic Universe. Avec les frères Russo de nouveau à la réalisation, le long-métrage réitère la réussite de Captain America – Le Soldat de l’hiver, en troquant l’aspect habituellement coloré, irréel et décomplexé du MCU pour un urbanisme froid, un ancrage dans une société contemporaine où l’humanité n’est pas qu’une simple masse à sauver, et possède un regard attristé et indigné sur les dommages collatéraux des climax d’une franchise qui nous ont jusque là fait jubiler.

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© Captain America Civil War

On le sait, Marvel a instauré une nouvelle façon de penser le cinéma. Pour le meilleur et pour le pire, son système d’univers partagé, hérité de la série télévisée, a permis de plus facilement développer la logique d’un monde fictionnel tout en approfondissant l’attachement pour les personnages qui le peuplent. Le problème, c’est que le studio montre depuis son incapacité à oser des choix dramatiques forts, qui se présenteraient comme les charnières de leur découpage en phases. Mis à part Captain America 2, et dans une moindre mesure Iron Man 3, la Phase II n’a pas vraiment rempli son contrat, qui aurait consisté à remettre en question les acquis posés par le premier Avengers et ses prédécesseurs. Fort heureusement, Civil War rattrape ce retard avec la dure tâche de débuter sur les chapeaux de roue la Phase III. Tandis que Bucky (Sebastian Stan), l’ancien compagnon lobotomisé du Captain, est traqué à cause d’une série d’attentats dont il est désigné responsable, l’ONU reproche aux Avengers leur manque de supervision, responsable de la mort de nombreux civils, et se décide à leur en donner une grâce aux accords de Sokovie. Mais ce traité ne convainc pas tout le monde dans la grande famille des super-héros, et si Tony Stark (Robert Downey Jr., toujours impeccable) est prêt à accepter ces restrictions à cause de sa culpabilité, Steve Rogers (campé par un Chris Evans au jeu de plus en plus complexe) se montre méfiant face à ces mesures qu’il juge liberticides.

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© Captain America Civil War

Ainsi, Civil War se révèle passionnant d’un point de vue sociologique, tant il confirme les interrogations autour du super-héros quant à sa dimension de symbole sécuritaire. Le traumatisme du 9/11 a ouvert la voie à Christopher Nolan et à sa saga Dark Knight, modèle indétrônable dont les frères Russo ont visiblement compris la portée, et qu’ils essaient d’adapter à leur sauce depuis Le Soldat de l’hiver. Ce nouveau volet, lui, s’appuie plus que jamais sur la peur d’un terrorisme international trouvant ses racines dans les vestiges de la Guerre froide. Cette dimension géopolitique puise sa raison d’être dans les multiples décors que choisissent les cinéastes, déroulant une grande partie du film dans des pays européens auxquels ils s’efforcent de donner une identité, loin des champs de bataille sans visage habituels du genre. Peut-être pour la première fois dans l’histoire du MCU, le monde existe autour des Avengers. Il a conscience de leur impact et les rejette. Et si cette crise identitaire n’atteint jamais le brio des Batman de Nolan ou des Spider-Man de Raimi, elle s’illustre d’une bien belle manière au travers de cette guerre intestine divisant le groupe d’amis en deux camps. Certains y décèleront probablement la défense d’un communautarisme si contemporain, prônant le repli sur soi au point même d’intimer au spectateur de choisir entre Captain America et Iron Man, – et ils n’auront pas complètement tort –, mais elle reflète avant tout le besoin du super-héros de se raccorder coûte que coûte à une cause, à une image, à un symbole qui lui permet d’exister. Il doit défendre et se battre. Sans ennemi, il n’a pas de raison d’être parmi nous. En cela, Civil War réussit à décrire ce délitement relationnel qu’il manquait à Batman V Superman, tout simplement parce que Marvel nous développe ses personnages depuis maintenant treize films, d’où une attache évidente donnant plus d’impact à leur confrontation. Le studio a su reculer pour mieux sauter, retardant le plus possible une implosion que l’on savait inévitable, jusqu’à surprendre avec un troisième acte beaucoup plus profond et dramatique qu’on aurait pu l’imaginer, pensé et mis en scène comme une tragédie shakespearienne.

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© Captain America Civil War

Néanmoins, les frères Russo n’en oublient pas pour autant les codes du divertissement made in Marvel. Ils lui rendent juste le sérieux suffisant pour que ses enjeux soient consistants, et que son avancée narrative ne ressemble pas à un énième patchwork accumulant les morceaux de bravoure et les passages forcés pour fanboys sans réelle structure. Dans Civil War, les coups ne sont pas juste là pour le fun, ils ont un impact qui inspirent plus aisément les réalisateurs pour la construction de leurs scènes d’action, et ce malgré les limites évidentes de leur découpage et de leur montage, plus cut et moins élégant que celui d’un Joss Whedon. Mais les frères Russo choisissent les bonnes références, s’inspirent autant de Michael Mann pour une scène de poursuite dans un tunnel routier que de la scénographie resserrée de The Raid pour un immense combat dans une cage d’escalier. Et puis, les deux cinéastes parviennent même à lorgner sur la cinétique fantasmatique de Zack Snyder, et sur sa faculté à mettre en mouvement une case de comics tout en en gardant la classe. De ce fait, Civil War est avant tout focalisé sur son deuxième acte, menant à un affrontement absolument dantesque entre tous les super-héros sur le tarmac d’un aéroport, arène neutre laissant place aux délires les plus fous que leurs corps et leurs pouvoirs permettent. Outre une habile gestion de chacun des combattants, et du passage de l’un à l’autre, Marvel retrouve dans cette séquence magistrale tout le poids mythologique du super-héros que le film interroge, et que le studio avait tendance à désacraliser par un humour de plus en plus envahissant. Les frères Russo parviennent donc à nouveau à transcender le cahier des charges ingérable du MCU, et même à insérer dans leur gros blockbuster un vrai drame intimiste faisant exister tous ses personnages, à commencer par les petits nouveaux qu’ils doivent introduire au lance-pierres. On ne peut alors que les féliciter pour l’efficacité avec laquelle ils nous rendent attachant et badass Black Panther (convaincant Chadwick Boseman), mais surtout leur Spider-Man incarné par Tom Holland, qui redonne en une vingtaine de minutes le vrai caractère espiègle et touchant de l’Homme-Araignée, que Marc Webb n’a pas été capable de livrer en deux longs-métrages.

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© Captain America Civil War

Cependant, on peut s’interroger quant à la réussite de ce Civil War. N’est-il pas en partie dû à la retenue des derniers films de la Phase II ? N’est-il pas l’arbre qui cache la forêt dans un système qui montre très clairement ses limites ? Probablement, et cela ne ferait que plaider en soi à la cause du long-métrage, qui parvient à maîtriser avec une fluidité étonnante le problème de sous-intrigues sur lesquelles Marc Webb, Joss Whedon ou Zack Snyder se sont plus ou moins cassés les dents. Pourtant, si Civil War se révèle, encore une fois, comme l’un des meilleurs volets du MCU, il n’est pas exempt de défauts, majoritairement présents dans la dernière bobine. Outre le fait que le climax aurait pu se doter d’une densité dramatique encore plus forte, le film déçoit dans sa dernière séquence, qui met en perspective de façon bien trop joyeuse tout ce que nous venons de voir. On se rend dès lors compte que cette fameuse « guerre civile » n’a pas fait tant de victimes, et n’a pas tant changer les protagonistes. Certes, il le dissimule mieux que d’autres et pose malgré tout les bases d’une situation que l’on a hâte de voir évoluer au cours de la Phase III, mais il conserve ce manque de prise de risques qui gangrène le cinéma de Marvel. De cette façon, la réussite quasi-miraculeuse de Civil War se voudrait presque inquiétante, tant elle semble désigner la limite qualitative dont serait capable le studio à force de trop marquer ses contraintes. Peut-être que ce Captain America 3 est le dernier envol d’Icare, avant que celui-ci ne s’approche trop près du soleil.

Réalisé par Anthony et Joe Russo, avec Chris Evans, Robert Downey Jr., Sebastian Stan, Scarlett Johansson, Anthony Mackie

Sortie le 27 avril 2016.

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