l'Echine du Diable

Par Inglourious Cinema @InglouriousCine
En Espagne, durant la guerre civile, Carlos, un garçon de douze ans dont le père est décédé, débarque à Santa Lucia, un établissement catholique pour orphelins. Il est remis au bons soins de Carmen, la directrice, et du professeur Casares. Mais il doit faire face à l'hostilité de ses camarades et de Jacinto, l'homme à tout faire. Par ailleurs, ce lieu hostile dissimule derrière ses murs deux secrets : l'or de la cause républicaine, et le fantôme d'un enfant qui hante le sous-sol.Carlos aperçoit dès la première nuit cet esprit errant et s'efforce de communiquer avec lui par tous les moyens. Le petit orphelin découvre très vite que ce spectre n'est autre que celui de Santi, un ancien pensionnaire de Santa Lucia disparu dans de mystérieuses circonstances.

l’Échine du Diable – 8 Mai 2002 – Réalisé par Guillermo Del Toro
Après l’inconstant « Mimic » ou Guillermo Del Toro n'aura eu qu'un contrôle d'apparence sur son œuvre, revoici le réalisateur que je préfère pour son nouveau projet, l'intimiste « El Espinazo del Diablo » ou encore en français « l'Echine du Diable » ! Avant de le voir, je savais juste l'importance qu'il avait aux yeux de son réalisateur ainsi que de sa place auprès du « Labyrinthe de Pan » et de « Crimson Peak » ! Et je le comprend maintenant tant ses films partagent d'énormes points communs. Ils se parlent, se répondent et cela donnent une ampleur folles à ces 3 films mais aussi à l’œuvre en général de Guillermo Del Toro.
Pendant la guerre civile qui ravage l'Espagne, nationalistes comme républicains ne font guère attention a la population. Des milliers de gens fuient à l'étranger, pour éviter les bombes, la misère ou la mort, mais les enfants qui n'ont pas cette chance, ils finissent dans des orphelinats, comme celui de Santa Lucia. Un jour, le jeune Carlos est abandonné à son sort dans l'établissement tenu par Carmen. Il fait connaissance de plusieurs autres enfants, du docteur Caseres, de l’inquiétant Jacinto, mais surtout il doit faire face à la violence qui hante les murs de cet orphelinat. Des secrets tourmentent les pensionnaires de ce lieu, de l'or pour les adultes, la disparition du jeune Santi pour les plus jeunes et le spectre de la guerre qui approche, sous le regard d'une bombe qui n'explose pas ….


« What is a ghost? A tragedy condemned to repeat itself time and again? An instant of pain, perhaps. Something dead which still seems to be alive. An emotion suspended in time. Like a blurred photograph. Like an insect trapped in amber. »
Au fond du trou après l’échec de « Mimic », Del Toro se pose moult questions sur son avenir, notamment sur sa capacité a faire encore des films. Malgré tout, son talent a tapé dans l'oeil de gens comme Pedro Almodovar qui autour d'une conversation lui propose de produire son prochain film ! C'est ainsi qu'il reprend un projet vieux de 16 ans qui lui tient particulièrement à cœur l'Echine du Diable. Un film qui aurait pu être son tout premier sans l'intervention de l'un de ses mentors Jaime Humberto Hermosillo, qui lui avait déchiré son scénario car il était mal présenté ! Et pendant qu'il se consacre à « Cronos », il développe patiemment son premier véritable long métrage ….
A l'instar de « Crimson Peak » le film commence par une voix off qui présente le thème du film, en l'articulant autour d'images énigmatiques et symboliques posant par la suite les bases de l'intrigue. L'histoire qui est écrite à trois, par Del Toro en personne ainsi que par deux journalistes espagnols (David Munoz et Antonio Trashorras), pose l'action au cœur de d'un orphelinat loin de tous et si proche de la terrible guerre d'Espagne ! Une approche intelligente pour développer le cœur de cette histoire, celle de Santi le fantome, de Carlos, de Jacinto, du docteur Caceres et de Carmen la directrice.


Tous sont enfermés dans leurs propres indécisions, dans le confort imaginaire d'un lieu qu'ils connaissent tous, ils sont tous comme la voix-off le dit au début « An emotion suspended in time. Like a blurred photograph. Like an insect trapped in amber. », des fantômes en manque d'amour, qui ne voient plus le monde comme il est réellement, un état dont Guillermo Del Toro va se nourrir pour les faire évoluer.
L'orphelinat est un lieu de vie, de joie, de peine, mais aussi de mort ! Un lieu qui n'épargne rien, qui use les personnes et les âmes jusqu'au point de non retour. On y découvre les joies de l'amour, consommé (Jacinto) ou non (Casares et Carmen), fraternel (Carlos et ses nouveaux camarades), filial (Carlos/Casares), mais aussi la cruauté, la vengeance et la mort. De ce tourbillon d'émotions naîtra « Santi », un jeune garçon devenu revenant, une figure bienveillante quoi qu'on en dise , vestige de l'inhumanité des hommes, qui revient plus vrai que jamais !


A partir de là, deux histoires se croisent, celle de Carlos qui veut savoir pour Santi et celle du triangle amoureux entre Casares/Carmen/Jacinto, deux histoires qui ont en commun Jacinto, le prince sans royaume, un personnage fascinant ou l'on sent la rage qui l'habite et qui le consume lentement prostré dans un orphelinat qu'il déteste. Casares et surtout Carmen savent qu'il est quelqu'un d'instable, mais pris par leurs inactions, ils ne le voient pas faire et c'est seulement dans un dernier élan de lucidité qu'ils décident de s'opposer et de prendre la vie des enfants en main ! D'un autre coté, on trouve des jeunes enfants, pugnaces et combatifs qui n'ont que trop soufferts. Un avenir incertain leurs tend les mains, mais il passera d'abord par Jacinto, car le véritable monstre de ce récit c'est bien lui ! Un démon au visage angélique qui s'est corrompu avec le temps, par une vie sans but au milieu de la campagne. Coincé par le confort du lieu et par la guerre qui fait rage et comme la bombe qui trône comme un symbole de vie au milieu de la cour, il n'attendait qu'une chose,- exploser !
Cette bombe au calibre irréel est le symbole le plus marquant de ce film. Imposante comme la statue d'une divinité, elle domine tout le monde, enfant comme adulte, elle se pose comme un rappel de la guerre d'Espagne, mais aussi comme un signe d'espoir pour des enfants qui voient en elle un symbole de vie !
Mais c'est aussi l'occasion pour Del Toro de parler politique, de jeter un regard sur la guerre d'Espagne, à travers les yeux de ses personnages. Une guerre qui fut les prémices sanglants de la seconde guerre mondiale. La vision de cette période est sans concession, que cela soit d'un point de vue politique, civil ou militaire, Del Toro nous épargne rien et illustre avec soin les contradictions de cette période noire. L'inaction des parties de gauche par rapport a une situation qui se détériorait rapidement, l'immobilisme de leurs partisans a ne pas voir le fascisme à ses portes, comme Carmen et Casares qui n'ont pu arrêter Jacinto !


On trouve aussi dans ce récit d'une implacable précision, une part de son auteur, de son enfance, mais aussi de sa carrière sa concession ! Une métaphore sans complexe de son propre parcours et de sa motivation, de son désir de toujours vouloir faire ce qu'il désire et surtout d'avoir sur se relancer alors qu'il n'y croyait plus, en laissant derrière lui le doute qui l'habitait. Caseres et Carmen sont comme lui au moment de son film « Mimic » ou il n'a pas vu les problèmes arriver et à la façon du jeune Carlos en transit dans l'orphelinat, Guillermo Del Toro a attendu le bon moment pour refaire surface, car il avait simplement décidé !Une volonté qui habite les enfants à la fin du film, car ou vont ils ? On ne le sait pas vraiment, sauf que la seule chose que l'on sait, c'est qu'ils ont fait le choix d'avancer et de vivre …
Si ce film se nourrit de la richesse intrinsèque d'un scénario de qualité, il n'en oubli jamais la forme ! Et très honnêtement pour un troisième film, Guillermo del Toro fait très fort en livrant un résultat plus qu'honorable. « L'Echine du Diable » c'est un peu le portfolio animé de toutes ses idées, ou encore une version live de ses carnets ! Minutieux, élégant, poétique, étrange et d'une beauté a coupé le souffle, Del Toro allie a merveille l'image et l'histoire pour raconter au mieux ce qui l'a a dire. C'est bien rythmé, élégamment monté par Luis de la Madrid. Le film bénéficie aussi de la compétence du talentueux chef opérateur Guillermo Navarro, un collaborateur fidèle de Del Toro qui apporte ici sa science de la lumière pour un rendu exceptionnel, notamment dans les séquences de nuit, qui vous évoquera aussi bien Crimson Peak que la littérature gothique et les films de Mario Bava. Un atout de poids dans l'escarcelle du réalisateur qui complète la beauté des effets visuels, ainsi que le travail des maquilleurs comme David Marti ! On pourra aussi apprécié la belle composition musicale de Javier Navarrete qui accompagne avec mélancolie ce voyage dans l'Espagne en guerre.
Quant au casting, il est d'une grande homogénéité et d'une qualité sans faille ! Tout d'abord on y trouve le jeune Fernando Tielve dans le rôle de Carlos, un acteur mature pour un rôle qui demande une belle dose de nuance ; tout comme celui de Jaime le rival et ami de Carlos joué par Inigo Garces, un acteur avec beaucoup de ressources et une belle palette d'émotions. Pour jouer a leurs cotés, il y a l'un des acteurs phares du cinéma argentin, monsieur Federico Luppi ainsi qu'une muse du cinéma de Pedro Almodovar, la talentueuse Marisa Paredes. Deux acteurs immenses qui apportent tout leurs charismes, leurs maîtrise et leurs expériences pour incarner au mieux la romance qui les unit à l'écran. Puis il y a aussi Eduardo Noriega qui prête son physique avantageux pour joué au mieux l'ange déchu, le prince sans royaume qui se nomme Jacinto, une évidence tant le personnage l'habite et le possède tout au long du film ; pendant lequel on apprécie la justesse de son jeu ! 

"L'Echine du Diable" est une franche réussite ! 

"l'Echine du Diable" by Juan Hugo Martinez