LES OGRES (Critique)

LES OGRES (Critique)LES OGRES (Critique)SYNOPSIS: Ils vont de ville en ville, un chapiteau sur le dos, leur spectacle en bandoulière.Dans nos vies ils apportent le rêve et le désordre.Ce sont des ogres, des géants, ils en ont mangé du théâtre et des kilomètres.Mais l'arrivée imminente d'un bébé et le retour d'une ancienne amante vont raviver des blessures que l'on croyait oubliées.Alors que la fête commence !

Le Davaï Théâtre est une compagnie de théâtre itinérante qui sillonne les routes du sud de la France pour présenter au public L'Ours de . Plus qu'une troupe, ces comédiens forment une grande famille d'écorchés vifs qui s'aiment, crient, se déchirent, se réconcilient. La paternité prochaine de Monsieur Déloyal ( Marc Barbé) et le retour dans la troupe de Lola ( Lola Dueñas), pour laquelle le metteur en scène ( François interprété par François Fehner, le père de la réalisatrice) quitta un temps sa femme Nina ( Marion Bouvarel), vont réveiller des blessures et des rancœurs qui mettront à rude épreuve la cohésion de la troupe. Diplômée de la Femis dont elle est sortie avec les félicitations du jury, nommée au Cesar avec un premier film ( Qu'un seul tienne et les autres suivront) très bien accueilli par la critique, Léa Fehner a fait une entrée très remarquée dans le paysage cinématographique français. Plutôt que de surfer sur cette hype, au risque de se couper de ce qui l'a construit en tant que personne et cinéaste, Léa Fehner a pris son temps, est devenue mère et a suivi le conseil de Fritz Lang " Si vous voulez faire de la mise en scène, n'achetez pas d'auto. Prenez le métro, l'autobus ou marchez. Observez de près les gens qui vous entourent. "

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Il aura ainsi fallu faire preuve de patience et attendre 7 ans pour enfin découvrir ce deuxième film très personnel, aussi survolté, excessif et fragile que ses personnages sur lesquels Léa Fehner pose un regard tendre mais sans concession. Ces ogres (et ogresses) elle les a intimement connus, étant elle-même issue d'une famille dirigeant une compagnie de théâtre itinérant. C'est avec la maturité acquise grâce à sa première réalisation et avec des acteurs qu'elle connaît particulièrement bien ( Marc Barbé qui jouait dans son premier film, ses parents, sa sœur et son fils), qu'elle a donc choisi de reprendre sa caméra pour nous faire partager le quotidien de cette troupe et quelque part livrer ainsi une part d'elle-même. La mise en scène de Léa Fehner transmet le sentiment d'urgence dans laquelle vivent les membres de cette troupe. Son engagement est total que ce soit dans les scènes de représentation de la pièce, de joie collective, de disputes ou dans les moments plus intimes ou ses personnages montrent leurs failles. Si vous aimez un cinéma où les cadres sont fixes, les sentiments mis sous l'éteignoir, où le regard l'emporte sur la parole, passez votre chemin ou munissez vous de boules quiès et de cachets contre le mal des transports. Entre l'énergie d'un Fellini et le chaos et le vacarme d'un Sono Sion, Léa Fehner pousse tous les curseurs à fond et sa caméra danse au rythme des états d'âme de ses personnages.

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Ce n'est pas sans risques et quelques scènes un peu trop longues et " louder than life " laissent parfois apparaître quelque chose d'artificiel et de forcé dans cette fureur qui embrase le film dès les premières minutes au risque de le consumer et d'étourdir le spectateur jusqu'à finir par le perdre. Néanmoins, au milieu de ce vacarme et de ces cris, Léa Fehner parvient à nous faire ressentir la profonde tendresse unissant les artistes de cette troupe qui s'aiment, se déchirent, se quittent pour mieux se retrouver et se trompent pour mieux se désirer. Ils n'ont pas de filtre, exposent aux autres leur corps et leurs sentiments et le spectateur est immergé dans leur quotidien, partage leurs excès, leurs joies, leur désespoir. Ces ogres ont des joies qui sont plus belles que les nôtres, des colères plus impressionnantes, des blessures plus profondes. On a envie de les connaître, de faire la fête et picoler avec eux mais pas forcément d'être leur ami, tant ils peuvent être parfois fatiguant et même cruels (notamment François avec sa femme Nina). A l'image de Sono Sion, Léa Fehner réussit brillamment à passer du tumulte au calme, de la colère à la douceur et ose les ruptures de ton d'une scène à l'autre . Dans une scène déchirante et d'une grande force symbolique, Monsieur Déloyal, comédien dépressif, perdant pied à l'approche d'une paternité désirée mais réveillant le souvenir du décès de son fils, va réussir à réprimer sa pulsion de mort pour rejoindre la scène sur laquelle son personnage doit entrer en criant " je suis heureux! je suis heureux! ". Elle s'aventure même avec beaucoup de réussite dans un registre de pure comédie, dans deux scènes probablement destinées à devenir cultes, bien servies il est vrai par deux excellents acteurs: Marc Barbé et Adèle Haenel. Cette dernière confirme son talent unique et son immense palette de . Dans un film explorant tout le spectre des sentiments de ses personnages, elle est solaire et en même temps porte en elle une gravité, une forme de colère sourde, d'humour à froid qui rend Mona terriblement attachante et émouvante.

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C'est notamment à travers l'histoire de son couple avec Mr Déloyal et celle du couple de François et Nina que Léa Fehner arrive, au milieu du tumulte, à traiter avec beaucoup de justesse de thèmes comme la dépression, l'impossible reconstruction et le refus du bonheur après la perte d'un enfant, l'infidélité comme moteur du désir dans le couple. Combien de films par an arrivent ainsi à passer du rire au larme, du futile au drame, d'une énergie de groupe à des scènes intimes? Essayer de répondre à cette question, c'est prendre conscience de la qualité de ce deuxième long métrage d'une réalisatrice dont il sera passionnant de suivre l'évolution. Les ogres est au final un film qui a les même défauts et les mêmes qualités que ses personnages, un film d'une générosité folle et d'une sensibilité désarmante, auquel on a envie de tout pardonner et dont on ne sort pas indemne.

LES OGRES (Critique)LES OGRES (Critique)TRÈS BIEN