Éperdument, romance à corps perdus

Publié le 09 mars 2016 par Rémy Boeringer @eltcherillo

Deuxième film de Pierre Godeau, Éperdument, s’inspire librement et discrètement du livre Défense d’aimer de Florent Gonçalves, directeur de prison qui s’éprit d’une de ses détenues, la tristement célèbre Sorour Arbabzadeh qui fut la rabatteuse du gang des barbares en 2006. Prenant la tangente, le long-métrage évacue cet encombrant héritage pour évoquer une émouvante et difficile histoire d’amour interdit.

Jean (Guillaume Gallienne que l’on a entendu prêter sa voix au serpent dans Le petit Prince), directeur pénitentiaire, est troublé lors de sa première rencontre avec Anna (Adèle Exarchopoulos que l’on a vu dans La vie d’Adèle – Chapitre 1 et 2), une de ses détenus au passé trouble. Tandis qu’une relation de confiance se crée peu à peu, tout deux vont se lancer à corps perdus dans une idylle dangereuse. Anna (Adèle Exarchopoulos) et Jean (Guillaume Gallienne)

Éperdument met en scène deux êtres lancés dans une course éperdue vers un désastre qu’ils savent déjà annoncer. Pourtant, ils s’y jettent corps et âme poussés par la force irrésistible de la passion amoureuse. Dans cet optique, le film est une réussite totale. Contre toute attente, Guillaume Galienne et Adèle Exarchopoulos forment un duo convaincant dont la force érotiquement évocatrice est étonnante. C’est avant tout un rapport de séduction, renforcé par l’interdit bravé, que vivent les deux tourtereaux. Évidemment, le contexte laisse supposer que le premier profite de son statut tandis que la seconde est sûrement manipulatrice. Il est fort difficile d’ailleurs de savoir qui tient les rennes. Peut-être, car il ne s’agit pas de cela, finalement. De nombreuses pirouettes scénaristiques nous font douter à nouveau alors que l’on venait de se convaincre de la sincérité de leurs démarches. C’est ainsi que le choix de taire le passé de l’héroïne est essentiel. À peine s’étonne-t-elle elle-même qu’il lui témoigne une telle confiance. Il s’agit de ne pas phagocyter l’histoire d’amour offerte au public par des considérations morales parmi lesquelles, à la fin, l’amour est aveugle. Chose agréable, même si l’on regrettera peut-être sa révolte atone, Éperdument s’attarde sur le sort et le ressenti d’Élise (Stéphanie Cléau), la femme de Jean, ce qui est assez rare dans les romances qui font souvent l’impasse sur les cocus. Jean (Guillaume Galienne) et Anna (Adèle Exarchopoulos)

Évidemment, l’histoire d’amour de Jean et Anna, où ils risquent tous, sa carrière pour lui, son avenir pour elle, est poignante, mais ce genre d’histoire dans un couple aimant, même empli de tendresse, est toujours un drame. C’est aussi la triste résignation d’Élise qui rajoute un côté encore plus dramatique à la situation. En parallèle, Éperdument révèle certains travers de l’administration pénitentiaire. En premier lieu, le directeur de prison concentre beaucoup trop de pouvoir entre ses mains ce qui peut facilement mener à des situations de complaisances et à des dérives autoritaires. Présenté comme telle, la relation entre la prisonnière et son geôlier prend des allures cupidonesque alors qu’en réalité, elle pourrait tout avoir d’une relation malsaine de dépendance et de contrition d’un supérieur sur un subordonné. De la même manière qu’il octroie des avantages à Anna, il pourrait tout à fait faire d’une autre son souffre-douleur. Éperdument se conclue forcément de manière dramaturgique mais laisse toutefois ouverte une porte vers un avenir radieux ou une folie sans limite. Seul le spectateur pourra se faire son avis sur ce que signifie réellement les sourires entendus entre les deux soupirants. Le film clôture son sujet en laissant chacun libre de juger de la moralité de l’histoire, pénalement condamnable, à laquelle il vient d’assister. Après tout le thème central est bien de trouver la limite entre course folle et cause perdu. Pourvu que l’ivresse de l’amour soit là, la frontière devient très fine. Anna (Adèle Exarchopoulos) et Jean (Guillaume Galienne)

Éperdument est un mélange subtil entre la sensualité, au cœur du récit, et les questionnements moraux, aussi centraux, qui assaillent Anna et Jean. Éperdument, nous vous conseillons de vous laisser happer par le charme fou des deux acteurs.

Boeringer Rémy

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