INTERVIEW : Les Films de la Mouche

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Nous sommes allés à la rencontre de Rémy Barbe, Joséphine Hopkins et Joseph Bouquin des Films de la Mouche, un jeune collectif spécialisé dans le cinéma de genre dont le dernier court-métrage intitulé Justines vient d’être sélectionné au festival Mauvais Genre de Tours le 25 mars prochain.

Bonjour Les Films de la Mouche, pouvez-vous vous présenter et expliquer ce qui est à l’origine de votre amour pour le cinéma ?

Rémy Barbe : J’ai 22 ans, je viens d’un bac ES. Après 2 ans de fac de droit, je me suis orienté vers les études de cinéma à 21 ans. Mon père me montrait énormément de films de genre quand j’étais gamin. En ce qui me concerne, La Mouche de Cronenberg a été un énorme coup de cœur de cinéma. J’avais 8 ans quand mon père me l’a montré, il me faisait découvrir beaucoup de films d’horreur, notamment Shining, Alien… C’était un peu le terrain dans lequel je fuyais, là où mon imaginaire d’enfant se développait. J’aimais beaucoup les monstres, ce genre de choses. Mon vrai traumatisme, dans le bon sens du terme, c’était La Mouche. J’ai grandi avec ces références-là, je collectionnais les figurines issues de films. C’est toujours resté au fond de moi, jusqu’à mes 13-14 ans où j’ai commencé à écumer tous les films violents, subversifs, interdits aux moins de 16 ans, tout ce que je n’étais pas censé voir à cet âge-là. J’ai commencé à me construire dans mon coin une contre-culture, et j’ai développé un goût prononcé pour les films un peu extrêmes comme La Colline a des yeux ou Hostel au point de ne plus penser qu’à ça.

Joseph Bouquin : J’ai 23 ans, j’ai toujours aimé le cinéma et voulu faire de la réalisation, notamment pour le côté bricolage. Je viens d’une fac d’art, puis j’ai choisi d’aller dans une école de cinéma dans l’espoir de réaliser quelques projets. Mes parents sont profs de philo, j’ai grandi à Annonay et ma culture s’est en partie faite sur le festival du premier film d’Annonay, donc plutôt sur des films dits d’auteur. Je suis vite tombé dans une analyse très formelle de la mise en scène, mais parallèlement j’ai aussi plongé dans une contre-culture plus pop notamment avec les films de Fincher. Je suis aussi beaucoup influencé par l’humour barré des films de Jeunet, que j’essaie de retrouver dans mon propre travail. Je suis tombé dans le cinéma de genre à l’adolescence, et je me suis vite rendu compte qu’il y avait quelque chose d’intéressant derrière.

Joséphine Hopkins : J’ai 20 ans, je viens de Londres, je suis venue en France à l’âge de 9 ans. Après un bac L, je suis partie vivre un an au Mexique et je suis revenue en France pour faire l’ESRA, car j’ai toujours voulu faire du cinéma. Le hobby préféré de mon beau-père a toujours été de regarder des films, et c’était un peu une tradition chez moi de découvrir un nouveau film chaque soir. C’était le moment de la journée que j’attendais le plus. C’est quand j’ai découvert à 14 ans le cinéma de Von Trier ou des films comme Morse et Shining que j’ai trouvé cette passion. Des réalisateurs comme Fabrice du Welz ou Peter Strickland ont aussi contribué à forger mon amour pour le genre. Mais c’est surtout en arrivant à l’ESRA et en rencontrant Rémy et Joseph que ma culture a pleinement explosé. Maintenant je ne me vois pas faire autre chose, c’est ce qui m’obsède constamment.

Comment est né le projet Les Films de la Mouche ?

R.B : C’est né assez naturellement. Quand j’étais en terminale, j’avais un ami qui aimait beaucoup les giallos, et on voulait en réaliser un avec une petite caméra DV complètement pourrie, environ 2€50 de budget et des protège-cahiers comme gélatines pour se rapprocher des films d’Argento. Le résultat était bien sûr complètement amateur, mais j’ai pris énormément de plaisir à le faire.

J.B : On a tous commencé par du bricolage. Par exemple le premier court-métrage de Joséphine est un film d’animation, j’en ai moi-même réalisés quelques-uns aussi, Rémy se servait de ses protège-cahiers… Je crois qu’on se retrouve bien là-dessus.

R.B : J’avais envie de remettre ça, j’ai fait par la suite plein de petits films en DV tous plus cheap les uns que les autres. La personne avec qui j’étais n’était pas aussi motivée que moi, ce qui a fait que je me suis retrouvé seul assez rapidement. Et puis un jour pendant mes études de droit, j’ai eu envie de former un truc dans lequel je ne serais pas tout seul en essayant de rameuter d’autres gens autour de moi. J’ai fait par la suite deux ou trois courts-métrages un peu plus sérieux et je suis arrivé en école de cinéma dans l’espoir d’embarquer d’autres gens dans mon délire. J’ai imaginé dès le départ Les Films de la Mouche comme un collectif, comme il y en a trop peu d’ailleurs en France.  Je ne voulais pas être tout seul, mais fonder un véritable collectif dans lequel on serait tous au même niveau, où l’on aurait tous un pouvoir décisionnaire égal. Même si cela n’empêche pas des projets plus personnels, le travail de groupe est de mise et je pense que ça manque un peu en France malheureusement. Pour ce qui est du nom, c’était logique pour moi de choisir David Cronenberg comme mentor spirituel, d’autant plus qu’il fait référence à un classique qui parle à tout le monde. J’ai ensuite eu beaucoup de chance en arrivant à l’ESRA de rencontrer Joseph, dont notre première discussion s’articulait autour de Wes Craven. Ca a tout de suite collé, notre collaboration s’est révélée complémentaire et très productive. On a ensuite été rejoint par Joséphine.

J.H : Nous n’étions pas dans la même classe, mais en voyant le clip qu’ils avaient réalisé, je me suis dit qu’il fallait absolument que je bosse avec eux. C’était exactement ce que je voulais faire.

On sait que les fans de cinéma d’horreur et fantastique sont en minorité et qu’il est devenu de plus en plus rare de voir des projets dits de « genre » se concrétiser dans l’hexagone. De ce fait, vous considérez-vous comme des militants ?

J.H : C’est pas vraiment être militant, on est juste passionnés, on croit en ce qu’on fait sans chercher à plaire, réussir ou quoi que ce soit. On fait juste ce qu’on aime et on verra où ça nous mène. On entend souvent dire que le genre est mort, mais en allant au festival de Gérardmer par exemple, ça redonne pas mal d’espoir, on y rencontre une vraie communauté de passionnés. Qu’ils soient dans le ciné ou pas, il y a toujours énormément de gens prêts à travailler gratuitement pour tes projets, tout simplement parce qu’ils aiment profondément cet univers.

J.B : Notre groupe fonctionne un petit peu en communauté, mais on essaie avant tout de donner une légitimité au genre en montrant qu’il y a clairement un fond avec une mise en scène qui peut être profonde et importante. Et surtout, que la violence n’est pas toujours gratuite et qu’elle peut véhiculer énormément de choses. On essaie de jouer sur une poésie, un fond, en espérant aussi toucher des gens qui ne sont pas forcément nourris de cette culture-là. C’est important de ne pas s’autarciser.

R.B : Le problème du militantisme est qu’il a une consonance péjorative, dans la mesure où il est communautarisant. Le cinéma de genre, c’est le vilain petit canard, et plus particulièrement en France où on le perçoit comme dégradant, régressif ou pas très intéressant artistiquement. Personnellement, je me sens militant mais il faut éviter de tomber dans un militantisme refermé sur lui-même. Plus que vouloir appartenir à cette niche du genre, il faut profondément défendre la mentalité qu’il y a derrière et la rendre accessible à tous. Il ne faut pas oublier aussi que le cinéma de genre est marginal parce qu’il l’a voulu, qu’il défend ses différences et en les revendiquant s’enferme forcément un petit peu. Mais si ce cinéma existe c’est avant tout parce que, dans le fond, il parle à énormément de monde, je ne connais personne qui rejette en bloc le cinéma de genre, car il comporte des ingrédients universels, c’est un langage à proprement parler. En revanche il y a une vraie forme de militantisme vis-à-vis de l’industrie française, où l’on a affaire à des gens qui ne misent pas un sou sur ce genre de production, car selon eux ça n’intéresse personne. Mais le public est là et l’a toujours été.

Comment préparez-vous vos films ? Les idées découlent-elles d’une envie commune ?

J.B : Tout d’abord car nous discutons énormément. C’est en parlant qu’on trouve notre inspiration. Les thèmes abordés sont souvent partagés, et on arrive très vite à se mettre d’accord pour concrétiser un projet. Techniquement, chacun a ses qualités et ses défauts ce qui fait qu’on se complète plutôt bien.

J.H : Les gens sont très étonnés quand on leur dit qu’on a écrit un scénario à trois par exemple, car la plupart du temps ils préfèrent écrire dans leur coin. On partage exactement la même vision des choses tout en ayant des différences, ce qui permet de rejeter tout ce qui peut être un peu lourd et d’optimiser nos idées au maximum.

R.B : C’est pas tant une question de vision mais plus une question d’amitié. Car je crois que c’est ce qui fonctionne réellement dans un groupe. On a tous les trois nos différences, mais on parle le même langage, qui est une volonté commune de créer. On rebondit sur l’idée de l’autre, chacun apporte sa patte ce qui donne une espèce de tambouille sans pour autant diluer nos identités. C’est important pour la longévité d’un groupe de constamment s’abreuver les uns les autres.

J.B : C’est important de saisir ce que veut l’autre, quels sont ses thèmes de prédilection etc…

J.H : Même quand on fait des projets séparément, on est toujours là pour s’entraider et se donner des idées.

R.B : Evidemment, il n’est pas toujours question de réaliser à trois. Cela dépend des envies de chacun, parfois il y en a un qui prend les rênes car il a initié l’idée par exemple, mais cela se fait toujours avec le même esprit collectif. C’est pas vraiment dans la culture française, dans laquelle il y a un auteur-réalisateur qui fait tout, avec une vision unilatérale. Avec le créateur et les techniciens autour en quelque sorte. Nous tenons vraiment à être autant techniciens que artistes, au sens de la création pure.

J.H : On fonctionne aussi beaucoup sur la débrouille, nous n’avons jamais vraiment été produits jusqu’à maintenant. On travaille forcément en petite équipe, en cadrant, écrivant et montant nous-mêmes.

R.B : On essaie d’être polyvalent, de manière à ce que chacun ait son mot à dire quelque soit le moment dans la chaîne de production.

Quand on regarde vos films, deux aspects se dégagent en particulier : un côté viscéral et extrêmement violent, et un autre plus onirique, poétique…

J.B : L’une des premières fois où j’ai été frappé par la poésie d’un film, c’était sur The Descent, qui est un film qu’on aime beaucoup avec un sous-texte marquant. On essaie de donner un fond intelligent à nos films tout en proposant un spectacle intéressant sans tomber dans un discours pompeux. On essaie de trouver le bon équilibre entre les deux car à mon sens, le mélange de poésie et de frontalité marche très bien.

R.B : L’un ne va pas sans l’autre en fait. Malgré sa frontalité et son côté extrêmement graphique, le cinéma de genre recherche toujours une forme de poésie. La dimension allégorique est toujours présente sinon ce n’est plus du cinéma fantastique.

J.H : Comme on écrit nous-mêmes nos scénarios, on y injecte forcément des choses très personnelles. Il y a toujours quelque chose à dire en sous-texte. On retranscrit toutes nos histoires avec du recul, et il y a forcément une part de vécu, de névroses qui se traduisent de façon métaphorique. Personnellement, je vois le cinéma comme une thérapie, comme un moyen d’exorciser ses névroses, de rendre poétique les choses les plus noires.

J.B : La difficulté est de penser en même temps à soi, ses névroses, ses obsessions et à l’intérêt du spectateur, qui a besoin qu’on lui raconte une histoire.

R.B : A mon sens, l’art est un exorcisme absolu des pulsions. L’intention créative émane d’une pulsion presque animale, qu’il faut ensuite travailler et mettre en forme. C’est là que le cinéma de genre est une niche parfaite car il est un formidable terrain d’expression, un puits sans fond de thématiques sans aucune limite dans sa forme. Le défi est d’offrir un spectacle pour les sens tout en ayant quelque chose à dire, sans tomber dans un pensum prétentieux comme il y en a beaucoup.

On ressent beaucoup d’influences dans vos films sans pour autant réussir à en déterminer précisément l’origine. Est-ce que ces références sont conscientes au moment de l’écriture ? Ou est-ce que cela se fait rétrospectivement ?

J.H : On ne va jamais écrire un scénario dans le but d’imiter une référence, même si évidemment les films qu’on aime nous inspirent. Quand tu parles d’influences, j’imagine que tu fais référence à Justines, dont les personnages sont clairement inspirés de ceux de Funny Games. On adore ce côté gentlemen sadiques à la Orange Mécanique et on trouvait que ça collait bien avec le propos sur le féminisme qu’on voulait développer.

R.B : On a effectivement cherché à utiliser les codes du home invasion, qui est un genre bien préétablit et même un peu prémâché, pour accompagner au mieux notre propos. On a tous une base cinéphilique, une bibliothèque mentale de références, mais ce qui fait un bon film c’est quand ces influences sont digérées car il est impossible de créer totalement du neuf. On ne peut pas créer du neuf à partir de rien, mais seulement quand on arrive à mixer intelligemment diverses influences. Au moment où on écrit, on part d’abord d’un sujet qui nous touche et on cherche ensuite quel outil de mise en scène le traduit le mieux.

J.B : Un bon moyen pour digérer nos influences et éviter de les recracher en bloc est d’en parler énormément. Ca nous permet de réfléchir plus en profondeur et de ne pas juste citer la référence.

Pour en revenir à la question de la pulsion, j’ai remarqué qu’il s’agissait d’un thème récurrent dans vos créations. Est-ce une obsession chère à vous trois ou vient-elle de l’un d’entre vous en particulier ?

R.B : On a tous les trois des avis différents sur la question donc j’aurais plutôt tendance à dire que c’est moi. En ce qui me concerne, c’est ce côté pulsionnel qui me donne envie de créer, ma propre animalité en tant qu’être humain me donne envie de dire beaucoup de choses sur ce thème. C’est notamment pour cette raison que je chéris des films comme Les Chiens de paille ou Délivrance, qui traitent des pulsions animales de l’homme à travers des schémas codés. Car pour moi l’homme, derrière sa vitrine d’animal civilisé, reste avant tout un animal.

J.B : C’est un long débat qu’on a effectivement souvent. Je suis moins dans ce rapport à la pulsion, mais j’apprends justement à creuser ce thème et c’est forcément enrichissant. Mes propres obsessions sont plus basées sur la traversée du temps, l’errance, les questionnements existentiels, l’amour…

J.H : Comme je le disais tout à l’heure ce n’est pas tant ce rapport à la pulsion mais plus une thérapie, j’essaie de traduire à travers la fiction des choses qui ont pu me marquer au cours de ma vie. Comme il faut du temps pour digérer un film, il faut du temps pour digérer ce que t’as vécu.

Pour vos futurs projets, y a-t-il d’autres horizons ou sous-genres que vous aimeriez explorer ?

J.B : Tout à fait, par exemple j’aimerais m’essayer avec le groupe à la science-fiction.

J.H : On a juste pas envie de faire des comédies ou des drames sociaux. (rires)

R.B : Tout ce qui appartient de près ou de loin à un cinéma qui est codifié. C’est intéressant d’explorer toutes les pistes, par exemple notre film de fin d’année sera un film de monstre sur fond de drame. Là on s’apprête à réaliser un found-footage pour une anthologie horrifique qui sera normalement distribuée outre-Atlantique. On ne veut surtout pas se travestir pour le genre, mais plutôt l’utiliser comme un moyen d’expression, et il y aura toujours des choses à dire. C’est un cinéma inépuisable et c’est ce qui le rend magnifique.

Pour découvrir leurs créations et suivre leur actualité, vous pouvez retrouver Les films de la Mouche sur YouTube et Facebook.