Les Délices de Tokyo, ou la douceur du dorayaki.

Par Lakshmiz

Après Still The Water et La Forêt de Mogari, Naomi Kawase nous revient avec une petite douceur intitulée Les Délices de Tokyo. Le pitch est simple comme la recette de la pâte à crêpes : Sentaro, petit vendeur de dorayakis, voit débarquer Tokue dans sa boutique. La septuagénaire est bien décidée à se faire embaucher comme assistante et son meilleur atout n'est autre que sa recette de la pâte an, utilisée pour la confection des dorayakis. Voilà le point de départ de la réalisatrice japonaise et dont le film a été présenté en ouverture de la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2015. Le film est l'adaptation du roman de Durian Sukegawa, An. L'auteur avait d'ailleurs tenu un rôle dans , une précédente réalisation de Naomi Kawase. Et c'est très probablement cette proximité originelle qui donne un film aussi doux et touchant que l'est . Bien évidemment, le scénario n'en reste pas aux seules considérations culinaires. A travers une histoire simple, Naomi Kawase revisite la hantise du Japon des années 40-50 pour la maladie et les marginaux.

Sous des abords de tendre comédie, Les Délices de Tokyo nous présentent des personnages déchirés par les drames qu'ils ont vécu qu'ils soient moderne ou anciens. A l'image des dorayakis qui renferment un cœur fondant et sucré, les personnages de la réalisatrice renferment des blessures à l'âme sous des allures a priori lisses. Revenue du cinéma un peu arty et franchement expérimental, la réalisatrice livre cette fois un feel good movie très subtil et derrière lequel se cache une véritable harangue aux sordides lois eugénistes qu'a connu la société japonaise. La réalisatrice parvient à donner corps, chaleur et vie à ses personnages qui sont pour beaucoup dans le succès du film. Car, oui, Les Délices de Tokyo, c'est avant tout des personnages incroyablement attachants. Leur fragilité et leurs blessures nous touchent autant que leurs défauts et leurs particularités nous font sourire. Chacun est différemment frappé par un sentiment d'isolement qui lui est propre et qui a trait à son passé, lointain et proche, mais également son présent. Et c'est en se rencontrant que Sentaro, Tokue et Wakana pourront penser leurs plaies dans un mouvement de cohésion temporaire.

Il y a un autre grand personnage qui peuple le récit : c'est l'invisible, le spirituel. On se remémore les nombreuses scènes où Tokue, la pâtissière septuagénaire, converse avec les feuilles des arbres ou fait des promesses à la lune. Il y a quelque chose de l'invitation au recueillement dans le film de Naomi Kawase qui oppose aux petites étudiantes survoltées et rivées à leurs portables une vieille dame fantasque à la vie intérieure riche. Ce discours des émotions et cette invitation à la spiritualité font du film une oeuvre universelle qui saura toucher tous les spectateurs par des biais à la fois différents et pourtant très communs. En parallèle à ce discours universel, la réalisatrice a porté une attention toute particulière aux décors. Elle a pris le temps de s'inspirer de l'atmosphère de vrais lieux pour restituer leur essence à l'image. Prendre le temps de faire les choses, voilà la leçon du film à l'attention du spectateur. La recette du bonheur c'est un peu celle du dorayaki : elle demande des gestes tendres, de la patience et de la solidarité. Vous ressortirez forcément chamboulé de la salle par ce diamant brut.