Tout en Haut du Monde, ou le ravissement des images.

Ce film d'animation franco-danois est dans les salles depuis mercredi dernier et, croyez-moi, vous ne voulez pas le manquer. Tout en Haut du Monde est le premier long-métrage de Rémi Chayé, qui a également officié sur en tant que premier assistant réalisateur -entre autres-. Ici, il embarque le spectateur en 1882, à Saint-Pétersbourg. Sacha, jeune aristocrate de quinze ans, est aussi la petite-fille d'Oloukine, un explorateur audacieux dont le navire brise-glace, le Davaï, n'a jamais été retrouvé. La conquête du Pôle Nord fut la dernière expédition de ce grand-père dont Sacha rêve encore. Fatiguée des brimades au sujet de cet ancêtre, elle se lance dans une grande aventure à la recherche du Davaï, sur la piste de l'infatigable Oloukine. Sans surprise, l'écho des grands espaces vierges, du voyage et de la filiation captivera les grands comme les petits. D'autant plus que ce fabuleux voyage narratif est également une véritable évasion graphique. Tout en Haut du Monde est une fable poétique tout en simplicité et en efficacité.

Tout en Haut du Monde, ou le ravissement des images.

Graphiquement le style est très épuré : aplats de couleurs, absence de textures et de contours, tracés de crayon. Un soin tout particulier a été apporté au choix des couleurs comme aux effets de lumières dont l'efficacité n'a d'égal que sa sobriété. On vogue des couleurs fauves aux blancs les plus pleins et des décors les plus fourmillants aux plus sobres sans qu'aucune séquence semble avoir été négligée. Les traits sont fins, purs, parfois presque symboliques. Voilà la preuve que l'économie de moyens est aussi vertueuse, voire beaucoup plus, que l'accumulation d'effets spectaculaires. Sur le plan narratif, le film emprunte le chemin sinueux du récit initiatique. Le personnage de Sacha est immédiatement attachant puisqu'il défit les règles et s'affranchit des codes qu'on veut lui imposer. Rappelons qu'au XIXème siècle, un bateau ne constituait pas un lieu autorisé pour les femmes et encore moins les jeunes filles. Tout en Haut du Monde nous donne à voir la mutation de Sacha, d'une jeune fille contrainte par sa famille et son rang à une exploratrice invétérée. Un peu comme Siddhartha, la riche Sacha quitte le confort de son palais. Elle vole au secours de la mémoire de son grand-père, ce qui représente son propre héritage -tant pécuniaire que personnel-. Franche et honnête, Sacha est un genre de personnage que l'on croise trop rarement dans les films d'animation qui mettent de nos jours en avant des personnalités plus malignes et charismatiques. C'est l'entièreté de Sacha et l'authenticité de sa démarche qui font d'elle un personnage unique et adorable.

Tout en Haut du Monde, ou le ravissement des images.

En plus d'être un héro positif, Sacha nous donne une petite leçon de féminisme. Est-il nécessaire de relever qu'ici les personnages féminins forts s'élèvent en égaux des personnages masculins ? Et qu'ils sont peut-être ceux qui assument et provoquent le plus franchement leurs destins ? Le film tisse son récit sans surenchère dans l'explication et en laissant le temps aux séquences de se développer pleinement. Les quelques moments contemplatifs sont un vrai délice. Le film de Rémi Chayé fait appel à l'imaginaire de son spectateur en laissant volontairement des blancs à remplir, qu'il s'agisse de l'image ou de l'histoire. Un parti pris salutaire à l'heure où beaucoup de grosses productions d'animation s'échinent à tout expliquer et tout montrer au spectateur. Si vous hésitez encore, sachez que Tout en Haut du Monde a reçu le Prix du Public lors du dernier Festival d'Annecy, vous avez donc toutes les raisons d'être charmé par ce film d'animation aussi sensible qu'intelligent. Un ravissement d'image et d'histoire !