SPOTLIGHT : En toute humilité… ★★★★☆

Le récit prenant d’une enquête à scandale, magnifié par sa sobriété.

SPOTLIGHT : En toute humilité… ★★★★☆

C’était en 2002. Le Boston Globe publie une enquête mûrie pendant de longs mois par son équipe d’investigation surnommée « Spotlight ». Elle concerne des prêtres accusés de pédophilie mais protégés par le diocèse de la région. Un scandale qui valut à ce groupe de journalistes acharnés le prix Pulitzer, ainsi que l’attention d’Hollywood. Et avec un sujet pareil, on aurait pu craindre que Spotlight ne fonce tête baissée dans le mélodrame indigné, appuyant sa dramaturgie pour mieux la tuer de l’intérieur. Pourtant, un élément vient enrayer la machine dès les premières minutes du film : l’arrivée de Marty Baron, le nouveau rédacteur en chef du journal (Liev Schreiber). On pourrait s’attendre à la fameuse figure de l’autoritaire grande gueule qui cherche à étouffer une affaire, de peur de s’attaquer à un trop gros morceau. Mais le personnage se révèle à l’exact opposé, introverti et en quête du vrai journalisme. C’est d’ailleurs lui qui propose à l’équipe de se charger de l’affaire, tandis qu’un énième prêtre parvient à éviter les procédures judiciaires après son acte infâme. Et tout du long, ce leader discret gardera la tête froide, guidera parfois ses enquêteurs, en restant constamment intègre et simple. En bref, avec cet « élément déclencheur » du récit, le réalisateur Tom McCarthy dévoile toute la note d’intention de son long-métrage.

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Car la principale force de Spotlight est de croire au pouvoir de son scénario et de ses personnages. Sans esbroufes, il laisse sa narration évoluer, dévoiler au fur et à mesure l’horreur de la vérité sans jamais la rendre spectaculaire. McCarthy a compris son rôle de cinéaste, et préfère mettre en valeur le point de vue de ses protagonistes plutôt que celui qu’il porte sur l’histoire. Sa mise en scène jouit dès lors d’une sobriété bienvenue, portée par un format 16/9 qui marque la même verticalité à la fois imposante et fragile d’une colonne de journal. A moins qu’il ne s’agisse de celle de la spiritualité, bafouée et vidée de son sens, dirigée vers un ciel obstrué par les cadres rapprochés et claustrophobes du réalisateur. Le silence généralisé de la ville en est presque matérialisé, tandis qu’augmente encore et encore le nombre de prêtres concernés par l’affaire. Cette sensation d’impasse qu’il faut repousser constamment permet au long-métrage de se révéler passionnant du début à la fin, conservant ses références au film d’investigation des années 70 (Les Hommes du président, pour ne citer que lui) tout en se tournant vers le thriller paranoïaque plus contemporain, à l’instar d’un David Fincher et de son Zodiac.

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Et comme Fincher, McCarthy fait exister ses décors, les imprègne de ce mensonge qui semble les désagréger. A travers les yeux des journalistes, Boston se découvre en tant que personnage, telle une énième victime des crimes du clergé, alors que les puissants de la ville veulent justement garder le secret pour protéger son nom et son aura. C’est tout un système qui se dessine sous nos yeux, complexifié par celui de la justice tout aussi inaccessible, l’ensemble étant marqué par des piles sans fin de documents et autres bibliothèques qui résonnent comme un leitmotiv. Mais au sein de tous ces agrégats, Spotlight tient à conserver une ligne directrice claire, qui est celle de ses protagonistes. McCarthy aime se focaliser sur la simplicité de leur regard, attentif et concerné, malgré le sacerdoce que représente cette vérité. Néanmoins, le cinéaste n’en vient pas à idéaliser ces investigateurs comme des chevaliers blancs. Ils ne sont que des hommes, perfectibles, capables de passer à côté d’un sujet qu’il fallait traiter, et essayer tant bien que mal de se racheter. Porté par un Mark Ruffalo plus attachant que jamais, le casting quatre étoiles du film (Michael Keaton, Rachel McAdams, Brian d’Arcy James) décrit avec brio cette rage intérieure qui leur permet d’avancer, mais qu’ils doivent apprendre à contrôler. En réalité, Spotlight nous rappelle tout simplement ce que devrait être le journalisme, dont nous oublions de plus en plus la définition. Sa plus grande réussite est certainement de métaphoriser, aussi bien dans sa forme que dans son fond, l’enquête de ses héros, afin d’en puiser une œuvre que l’on peut qualifier d’un adjectif que l’on aimerait employer plus souvent : intègre.

Réalisé par Tom McCarthy, avec Mark Ruffalo, Michael Keaton, Rachel McAdams, Brian d’Arcy James

Sortie le 27 janvier 2016.