Au cinéma : «Les délices de Tokyo»

Les délices de Tokyo est un film réalisé par Naomi Kawase. Difficile à appréhender, le long métrage propose tout de même une quête spirituelle où se mêle une société réaliste et profondément ancrée dans ses clichés. Naomi Kawase réussit-elle  à rendre compte de ce réalisme ?

Synopsis : Les dorayakis sont des pâtisseries traditionnelles japonaises qui se composent de deux pancakes fourrés de pâte de haricots rouges confits, « AN ». Tokue, une femme de 70 ans, va tenter de convaincre Sentaro, le vendeur de dorayakis, de l’embaucher. Tokue a le secret d’une pâte exquise et la petite échoppe devient un endroit incontournable … 

Le cinéma de Naomi Kawase est assez difficile à digérer, en effet, c’est souvent lent, assez contemplatif, mais c’est surtout l’occasion de voir de très belles images du Japon et de faire quelques dénonciations sur des inégalités présentes au sein de cette société. Pour cause, l’histoire de Les délices de Tokyo est certes sur la fabrication de l’An, mais c’est aussi un film qui dénonce beaucoup de problèmes au cœur des villes japonaises. Kawase prend le temps d’introduire ses personnages. ils sont au nombre de trois et ont tous une vie oppressante. Entre l’homme chargé de gérer un restaurant pour couvrir ses dettes, une jeune étudiante qui ne supporte plus d’être tiraillée par les études et une sexagénaire qui cherche à travailler, ces trois êtres se rencontrent au sein d’un même endroit. Ce qui fait la force du récit, ce n’est pas la recette de l’An au contraire, c’est comment autour de cette manière de faire, les personnages arrivent à oublier leur vie pour permettre de s’en sortir. Cela donne une histoire à la fois belle, tendre et assez juste sur les inégalités au Japon. Pour ne pas trop en dévoiler, le film propose des thèmes majeurs comme le deuil, le remord, alors qu’il enchaîne avec des thèmes plus mineurs sur la condition de vie de certains Japonais. Le long métrage fait un portrait cruel de la société. Comme souvent, c’est la beauté du corps qui gagne sur la beauté psychologique de la personne. Kawase démontre au travers de l’histoire, le récit de trois personnages qui se complètent, qui deviennent touchants et qui bouleversent par moment.

Malheureusement, Les délices de Tokyo pêche surtout par sa lenteur, qui est en soi nécessaire. On notera que la réalisation et la mise en scène entraînent le spectateur très proche des personnages. Rarement on se sent libéré de ses trois personnages, même lorsque Naomi Kawase filme des fleurs de cerisier. Il y a l’idée de développer l’oppression, mais aussi les liens forts qui unissent nos trois protagonistes. Dans un sens, la réalisatrice pousse les limites du petit restaurant, pour faire un film inspiré à la réalisation. Ce n’est pas incroyable, mais ce qui prime, ici, c’est la sincérité de chaque plan pour être poétique et réaliste. Le film change même de moyen de réalisation, ça provoque un choc, mais ça donne un véritable tour de force qui donne un côté légendaire au film, loin de toute naïveté. Les délices de Tokyo est plus qu’un film sur la nourriture, c’est aussi un film avec des plans sublimes qui ne manquent pas d’idées. Finalement, le film noue entre réalités modernes et japon d’après guerre, rien que pour le plaisir de nos yeux. Bien entendu, le montage s’accorde à être très lent, et il reste même très classique au fond. Sur la forme, il arrive à faire de très beaux parallèles faisant de certains plans des symboliques assez fortes sur le train de vie quotidien japonais.

Musicalement, le film garde ce côté réaliste en accentuant les sons présents dans la cuisine, Kawase accorde une importance majeure aux dialogues. Ce sont eux qui dirigent le récit que l’on suit, c’est grâce aux dialogues que l’on est bouleversé par le film. Pourtant, le film possède quelques musiques qui donnent une touche lyrique au film. Elles apportent même des instants de tendresse au cœur d’une société qui va toujours trop vite.

Les acteurs, par ailleurs, ne manquent pas d’être émouvants, surtout la sexagénaire, qui fait preuve de tendresse et qui est naturelle. Le personnage de la jeune étudiante est le moins touchant de tous, mais elle apporte sa pierre à l’édifice. Le couple majeur reste l’homme et la vieille dame qui partagent ensemble les mêmes problèmes, d’autant que cette transmission des générations est intéressante sur le plan formel et sur le fond. Le film se repose aussi sur le casting qui demeure juste, tout en conservant une histoire touchante.

Les délices de Tokyo est un film qui vous fera voyager au Japon, dans un restaurant où chaque rencontre marque le spectateur. L’histoire, la réalisation, la mise en scène et les personnages arrivent à toucher, en proposant une société moderne, très dure envers sa population. Beaucoup pourrait y voir un cliché, mais l’oppression est telle que Kawase tente de dépeindre ce sentiment par sa mise en scène, en restant très proche des personnages. Toutefois, le film n’est pas une œuvre à conseiller à tous, au vu d’un rythme très lent, qui risquerait d’en ennuyer beaucoup. Cela dit, on ne peut que remercier la réalisatrice de nous faire vivre un voyage émotionnellement réussi et surtout très réaliste.

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Les délices de Tokyo. De Naomi Kawase. Avec Kirin Kiki, Masatoshi Nagase, Kyara Uchida, Miyoko Asada, Etsuko Ichihara, Miki Mizuno, Taiga, Wakato Kanematsu, …

Sortie le 27 janvier 2016.